«La Belgique, ce n’est pas qu’un paradis fiscal, c’est un paradis tout court…»

Pas facile de trouver des exilés français qui acceptent de parler des raisons de leur déménagement en Belgique.Installé à Ohain depuis 2012, Pierre-Edouard Stérin le fait sans retenue.Nous l’avons rencontré.

Journaliste en charge du Soir Immo Temps de lecture: 6 min

Chez Pierre-Edouard et Amandine Stérin, ça fleure bon la campagne. Il y a des prairies avec des vaches, un potager au fond du jardin et même une piscine où le petit dernier fait trempette en cette belle journée de septembre.

Chez Pierre-Edouard et Amandine Stérin, ça fleure bon aussi l’accent français. Et à plein nez. Sauf qu’on est à… Ohain, dans cette belle commune du Brabant wallon où ils ont trouvé refuge il y a plus de deux ans.

Un mot un peu fort, sans doute, mais qui, en les entendant conter le récit de leurs aventures, résume parfaitement leur situation. « On en avait marre de l’acharnement et du harcèlement de l’administration française, soutiennent-ils en chœur, un œil sur le rejeton dans la piscine et l’autre sur le robot qui tond la pelouse tout seul. Que voulez-vous, la France est animée par une jalousie et une haine envers ceux qui réussissent. Dès qu’une start-up se crée, le système ne fait preuve d’aucune souplesse. Je subissais un contrôle par an de l’Inspection du travail qui me cherchait clairement des noises. En dix ans d’entrepreneuriat, j’ai dû subir une dizaine de procès et même si je n’en ai jamais perdu un seul, à la fin, ça use… »

Alors voilà, un beau jour, Pierre-Edouard se dit que trop, c’est trop. S’il ne peut rien changer aux sociétés qu’il possède dans l’Hexagone, la suivante qu’il vient de lancer, c’est en Belgique, le « paradis des entrepreneurs », qu’il la développera. « Nous sommes partis car nous ne voulions plus vivre dans un stress permanent, soutient Pierre-Edouard Stérin. Mais aussi parce que, je ne le cache pas, sur le plan fiscal, la Belgique et la France, c’est le jour et la nuit ! En France, quand on revend une entreprise, la taxation sur la plus-value se chiffre à 34,5 %. Ici, c’est… 0 %. Deuxième gros avantage : quand on lance une société qui exploite des brevets, le chiffre d’affaires réalisé peut être exonéré de l’impôt sur les sociétés à hauteur de 80 %… »

La nouvelle société belge de Pierre-Edouard s’appelle Reload Labs et est installée, depuis fin 2013, au sud de Waterloo. Elle emploie déjà une dizaine de personnes mais le patron ne veut pas en dire plus pour l’instant. « C’est une société dans le secteur du parfum, sourit-il. Disons que j’ai mis au point une nouvelle façon de se parfumer. Le lancement mondial est prévu pour mars 2015, c’est pourquoi je ne veux rien dévoiler. »

Propriétaire au niveau mondial de Gault & Millau ainsi que de Weekendesk, un site de réservations de week-ends qui réalise un chiffre d’affaires de 60 millions d’euros, Pierre-Edouard détient également la société Bongo, les célèbres coffrets-cadeaux appelés « Smartbox » en France et dans le reste de l’Europe. Une boîte qui occupe pas moins de 800 personnes et qui a longtemps été considérée comme illégale outre-Quiévrain. « Le tribunal correctionnel considérait qu’il s’agissait de produits de voyage et l’administration avait commencé à s’en prendre à mes distributeurs, se souvient notre hôte qui n’a visiblement rien oublié de cette période mouvementée de sa vie. J’ai même risqué la prison ! Et François Hollande n’a rien à voir là-dedans, la majorité de mes soucis avaient commencé sous l’ère Sarkozy. »

C’est d’ailleurs à l’ancien chef de l’Elysée que les patrons d’entreprise français doivent l’exit-tax. « Lancée en 2007, elle a pour but de freiner l’exil fiscal, notamment vers la Belgique, explique Pierre-Edouard Stérin. Si un entrepreneur veut quitter la France, il doit déclarer la valeur de sa société au moment de son départ. Le jour où il la revend, même s’il s’est établi à l’étranger, il paiera des taxes en France. La plus-value potentielle est donc mise en sursis jusqu’à la revente. »

C’est la raison pour laquelle avant 2007, sentant que le vent tournait dans une (très) mauvaise direction, beaucoup de patrons français prirent les devants et vinrent s’installer à Bruxelles. Six mois après leur installation, ils revendaient leur société. « Pour les sociétés que j’ai gardées en France, je n’ai donc aucun intérêt à être en Belgique, soutient ce diplômé en sciences économiques de la Sorbonne. Même si toute la valeur qu’elles continueront à prendre depuis notre installation à Ohain ne sera pas imposée en Belgique. Par contre, si je revends un jour la nouvelle boîte que j’ai créée en Belgique, ce sera zéro impôt… »

Revendre Reload Labs serait-il (déjà) à l’ordre du jour ? « Je ne sais pas mais ce qui est sûr, c’est que nous sommes ici pour cinq ans, intervient Pierre-Edouard Stérin. Mon rêve, c’est d’aller là où ça se passe au niveau entrepreneurial, c’est-à-dire en Californie… »

Pour cela, monsieur devra toutefois convaincre madame. Et là, quelque chose nous dit que ce n’est pas gagné d’avance. Car Amandine se plaît énormément à Ohain, un petit « pays de Cocagne ». L’école pour ses trois enfants, l’opulence des soins de santé et la sécurité contribuent pleinement à l’excellente qualité de vie que le couple dit avoir trouvée en Belgique.

La villa d’Ohain comprend 6 chambres et 3 salles de bains et est plantée au beau milieu d’un terrain de 20 ares. Prix du loyer : 3.000 euros par mois. « J’ai bien dû visiter trente maisons au total, explique-t-elle. Cela m’a pris trois allers-retours en Thalys et j’ai contacté 3 ou 4 agences spécialisées dans la vente et la location à destination des Français. Mais nous ne voulions pas d’une maison à Uccle, où se trouvent la majorité de nos compatriotes, car nous souhaitions jouer à fond le jeu de l’intégration en Belgique. »

Aux dires du couple, celle-ci leur apporte de multiples réjouissances, même si tout ne fut pas rose au début. « Un déménagement en Belgique, ou ailleurs, est fort déstabilisant pour nous, les femmes, poursuit Amandine. On quitte ses amies et on doit meubler ses journées dans un pays qu’on ne connaît pas. »

Au rayon des difficultés, la gastronomie arrive en tête. « Ici, je ne trouve pas une bonne baguette pour le petit-déjeuner, raconte madame Stérin. Mais ce n’est pas trop grave car la famille est passée au craquelin ! Pas de trace, non plus, de boudin truffé ou des rôtis ficelés que je trouvais dans les Yvelines. Et quand je demande une canette chez le boucher, il me dit qu’il a du Coca ou du Fanta… »

Le beau climat de Belgique ? « Avant de quitter la France, j’ai dit à mon mari que j’acceptais à la condition de partir au soleil une ou deux fois par an, en dehors des grandes vacances. Pour l’instant, l’accord tient : il m’emmène au Maroc ou dans les îles… »

Dernier point : le couple attend un quatrième enfant qui naîtra donc en Belgique. Au cas où il chercherait des prénoms bien de chez nous, en voici quelques-uns : Eddy, Arno, Niels, Tom, Johan, Anke, Kim…

 

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