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La réforme fiscale : mourir pour des idées ; d’accord, mais de mort lente ?

La Vivaldi a échoué à s’accorder sur une réforme fiscale. Un non-accord que commente dans une carte blanche Christian Valenduc, économiste à l’UNamur (Cerpe), professeur à l’UCLouvain (Fopes) et ancien directeur de la politique fiscale au service d’études du SPF Finances.
Carte blanche -
Par Christian Valenduc 
Temps de lecture: 1 min

Ainsi chantait Brassens… Pour le sujet de cette carte blanche, il y avait des idées, assurément. Mais au terme d’une ultime tentative, après plusieurs semaines de négociations elles-mêmes précédées d’une longue période de gestation, le Premier ministre a donc acté l’impossibilité d’un accord sur la réforme fiscale. Les dernières propositions étant devenues pour le moins maigrichonnes par rapport à la « vaste réforme fiscale » dont on parlait initialement, c’est à une agonie que nous avons assistée plutôt qu’à la mort subite.

Une réforme nécessaire et des propositions initiales audacieuses

La taxation des salaires est particulièrement élevée en Belgique et ce dès le bas de l’échelle salariale. Toutes les comparaisons internationales nous classent dans le top. A l’inverse, nous taxons moins la consommation et nettement moins le rendement du patrimoine financier. Une autre caractéristique de notre système fiscal est que des taux élevés coexistent avec des bases étroites, du fait de régimes dérogatoires, taux réduits et réductions d’impôt diverses. Ces « dépenses fiscales » pèsent plus de 6 % du PIB. A l’impôt des personnes physiques, elles représentent plus d’un cinquième du rendement de l’impôt, à la TVA plus du tiers. Voilà pour « le problème à traiter ».

La réforme avait été préparée par un groupe d’experts et leurs propositions (juillet 2022) étaient en phase avec le constat : une baisse de la taxation des salaires partiellement ciblée sur les bas et moyens salaires, un financement par la suppression de dépenses fiscales, une taxation accrue de la consommation et du rendement du patrimoine financier, tant pour les revenus que pour les plus-values. En mars 2023, les propositions du ministre des Finances maintiennent l’option de base pour la baisse de la taxation des salaires et les deux axes de financement. Pour la première fois, un ministre des Finances osait s’attaquer aux taux réduits de TVA. Ceux-ci sont coûteux et notoirement inefficaces en termes de redistribution : à titre d’exemple, deux-tiers du bénéfice du taux de 6 % sur l’alimentation va à la moitié supérieure de la population.

Intégrer le cadre budgétaire

La réforme était un tax shift, ainsi que le prévoyait l’accord de gouvernement. Trois ans plus tard, la neutralité budgétaire s’impose encore davantage. La crise sanitaire et la crise énergétique ont grevé le budget de l’Etat et il y a devant nous le vieillissement de la population et des besoins très importants de financement de la transition climatique. De plus, les règles budgétaires européennes sont de retour et les modifications apportées ne dispenseront pas la Belgique d’une trajectoire de désendettement et donc d’une réduction obligée des déficits. Un tax cut significatif est un impôt sur le futur et, de ce fait, injuste à l’égard des générations futures. L’option du tax shift est donc entièrement justifiée. Pour ce qui est d’un financement par une réforme du marché du travail, rappelons simplement que le montant total des dépenses de chômage est de 5.481 millions d’euros en 2022 et que l’enveloppe initiale de la réforme était de 6.000 milliards. Pour financer celle-ci par une mise au travail des chômeurs, il fallait environ 300.000 nouveaux emplois, pour des postes correspondants au profil des chômeurs.

Redistribuer, ce n’est pas « reprendre »

Un tax shift, c’est baisser certains impôts pour en augmenter d’autres. Est-ce pour autant « reprendre d’une main ce qu’on a donné de l’autre ? » C’est nettement plus nuancé. Quand une baisse d’impôt sur les salaires est financée par une hausse de la TVA, celle-ci se retrouve dans l’indice des prix et donc que les salariés et les allocataires sociaux sont globalement protégés par l’indexation automatique de leurs revenus. Il n’y a donc pas de « reprise de l’autre main », au moins à court terme. A moyen terme, la hausse des salaires bruts bute toutefois sur la norme salariale et réduit donc d‘autres hausses de salaire réel (au-delà de l’inflation).

De plus, l’assertion évacue le débat sur la redistribution de la charge fiscale, qui est précisément un des objectifs de la réforme. Or, une redistribution s’imposait, tant entre les types d’impôt qu’entre taxation des revenus du travail et des revenus du patrimoine.

Un sentier politique (trop ?) étroit

L’économiste s’intéresse aussi aux processus de décision politique : c’est l’approche Political economy. Dans ce qu’elle nous dit, épinglons quatre points.

Le premier est la nécessité de documenter clairement la redistribution de la charge fiscale opérée par la réforme. Une communication claire, basée sur des rapports d’experts permet de prendre la main sur l’inévitable débat qui accompagne toute politique de redistribution.

Quand on fait cet exercice, on tombe fréquemment sur le problème de la distribution asymétrique des gains et des pertes : du côté des gains, beaucoup de personnes gagnent un peu mais du côté de pertes, il peut y avoir des perdants moins nombreux mais qui, par tête, perdent plus. C’est typiquement le cas quand on finance une baisse d’impôt généralisée (par exemple, une hausse de l’exonération de base à l’IPP) par une suppression de niches fiscales. L’écueil était évité en partie avec un financement par la TVA mais il était bien présent avec la hausse de la taxe sur les comptes titres ou encore avec la suppression d’une série de réductions d’impôt à l’IPP. De plus, présenter celle-ci comme de la simplification sans se poser la question de l’efficience, c’est ouvrir la porte aux lobbys qui les défendent.

Car, troisième point, les lobbys sont bien là. Dans chaque niche fiscale, il y a un chien qui aboie, m’a dit un jour une collègue française. Augmentez la taxe sur les comptes titre et les milieux financiers sont là. Réduisez l’avantage du diesel professionnel et les routiers sont là. Montez la TVA de 6 à 9 % sur les livres et vous avez les libraires sur le dos et vous pouvez faire l’exercice avec chaque ligne d’un tableau qui énumère les articles bénéficiant d’un taux réduit de TVA. Gardons cet exemple : une telle hausse de TVA sur un livre qui se vend 20 euros, cela porte son prix à 20,56 euros. D’un point de vue social, ce n’est pas un drame et le chiffre d’affaires des libraires ne devrait pas en souffrir sauf qu’à un an des élections, la portée politique d’une taxation accrue du livre a plus de poids que les 56 centimes.

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Et nous voilà au quatrième point : compte tenu de ces difficultés, une telle réforme doit se faire en début de législature et non pas à un an des élections. Le projet de réforme fiscale a buté sur le timing. Une bonne préparation, des axes globalement en phase avec les problèmes à traiter, mais un timing in fine trop court.

À lire aussi « Trop de taxes », « pas une surprise »… les politiques réagissent après l’échec de la réforme fiscale

De quoi la réforme fiscale est-elle morte ? D’un manque de consensus sur la redistribution, tant contemporaine qu’entre générations, elle-même peu documentée et d’un problème de timing. A retenir pour la législature suivante.

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6 Commentaires

  • Posté par Chalet Alain, vendredi 21 juillet 2023, 10:55

    "un manque de consensus sur la redistribution". Presque personne ne nie que la redistribution est nécessaire, mais certains jugent qu'on en fait trop, d'autres pas assez. Par ailleurs, pourquoi ne pas mieux encourager l'emploi et pourquoi ne pas rationaliser ce qui coûte trop cher, comme notre enseignement? Les syndicats et les planqués auraient-ils trop à y perdre?

  • Posté par Delpierre Bernard, jeudi 20 juillet 2023, 15:53

    la solidarité actifs-inactifs préside au système des pensions et pourtant aucune mesure correctrice n'était prévue dans ce plan pour imposer une cotisation de solidarité (à aménager en fonction du niveau des pensions) sur le brut des pensions de ceux qui résident totalement ou en grande partie à l'étranger et qui donc vu leurs dépenses minimes aur le marché belge ne contribuent plus ou trop faiblement à notre économie et donc à alimenter les rentrées fiscales.

  • Posté par Byloos Dominique, jeudi 20 juillet 2023, 11:07

    Excellent article.

  • Posté par Moriaux Raymond, jeudi 20 juillet 2023, 9:43

    Pour la première fois, je crois avoir un peu capté ce qui se passe et de quoi on parle. Donc, merci M Valenduc. Mais peut-on penser que c'est la gestion obligatoire des deux crises évoquées qui a rendu matériellement impossible la mise en route de ce dossier en début de législature ?

  • Posté par Lecocq Annie, mercredi 19 juillet 2023, 19:22

    Les clowns de TOUS les partis, ne font plus rire personne !! Adieu veau vache, cochon, couvées. ( Perrette et le pot au lait. Jean de La Fontaine))

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