Entre Oxi et Nai, le coeur des Grecs balance

À deux jours d'un référendum crucial pour le sort de la Grèce, deux idéologies opposées s’emparent des rues d’Athènes. Reportage au coeur des manifestations.

Maria Udrescu (envoyée spéciale à Athènes)
Entre Oxi et Nai, le coeur des Grecs balance
©AFP

“Oxi” ou “Nai”. Le futur de la Grèce se joue à quelques lettres près. Avant le dernier combat par les urnes dimanche, les armées du “oui” (“nai”) et du “non” (“oxi”) se sont divisées les rues d’Athènes, vendredi soir. Ils étaient près de 25 000 partisans du "non" au référendum sur la place Syntagma, dans le centre d’Athènes. À moins d’un kilomètre, devant le Stade panathénaïque, lieu où les premiers Jeux olympiques modernes ont eu lieu en 1896, 20 000 personnes se sont rassemblées pour le "oui". Deux Grèce face à face et que tout semble opposer.

Le peuple hellène doit se prononcer dimanche sur les réformes proposées par les créanciers du pays (FMI, BCE et pays de la zone euro) qui prévoient une série de mesures budgétaires en échange d'une nouvelle aide financière. Les Grecs doivent répondre si “oui” ou “non” ils acceptent le projet d’accord soumis par la Commission européenne, la Banque centrale européenne (BCE) et le Fonds monétaire international (FMI). En réalité, le vote a une symbolique bien plus lourde, qui diffère selon les opinions.

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©Maria Udrescu

Un “non” pour sauver la dignité du peuple grec

Un ‘non’ permet de garder notre dignité et de montrer qu’on peut résister à cette campagne incroyable d’humiliation du peuple grec, commencée il y a cinq ans par l’établissement international. Une campagne de mensonges. Cette histoire que les Grecs ne travaillent pas, qu’ils sont paresseux, prend des dimensions racistes. Le peuple a besoin d’affirmer sa dignité à travers un non fort qui va nous aider à survivre dans les temps difficiles qui arrivent” , explique Errikos Finalis, membre du Comité central de Syriza, le parti de la gauche radicale, au pouvoir en Grèce.

“Oxi” n’est pas un simple mot. Il est un symbole de l’histoire du pays. Tous les 28 octobre, le peuple hellène célèbre “Le jour du non”, une fête nationale qui commémore la résistance de la Grèce à l’invasion allemande durant la Seconde Guerre mondiale. En 1940, le Premier ministre Ioannis Metaxas refusa de se plier à l’ultimatum lancé par Mussolini qui demandait à la Grèce de laisser les troupes de l’Axe s’installer sur son territoire. Un refus devenu symbole de la résistance aux injonctions étrangères.

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©Maria Udrescu

Rassemblés devant la Vouli (le Parlement grec) qui s’élève au sommet de la place Syntagma, un groupe d'adolescents brandit des pancartes affichant “oxi”. “Nous sommes ici pour notre président et pour notre pays. Seul le “non” peut apporter un vrai changement dans ce pays. Si on dit ‘oui’, on continue dans la même lignée. Je travaille déjà tous les jours alors que j’ai seulement 15 ans parce que je dois aider ma famille à survivre. Nous avons besoin d’un changement, d’un héros” , explique l’un d’entre eux. Quelques mètres plus loin, au milieu de la place, un jeune bénévole de Syriza chargé de vendre le journal du parti, scande : “Dites non à la Troika, non à l’austérité et au programme capitaliste, non au chantage !” . Même une petite fille âgée d'environ trois ans et portant un bouquet de ballons trois fois plus grand qu'elle, lève ses mains pour montrer son t-shirt rose arborant un “oxi” dessiné avec des paillettes. Comprend-elle réellement pourquoi elle est là? “Pour la Grèce, c’est aussi simple que ça” , réplique son père.

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©Maria Udrescu

Non” à l’austérité

Le ton de la manifestation est pugnace. Le ras-le-bol palpable. Dans cette mer interminable d’opposants aux mesures de rigueur proposées par les créanciers de la Grèce, une pancarte affichant “Unfuck Greece” (littéralement, “Débaisez la Grèce”) s’élève. “Libérons-nous des monstres de l’austérité” , scande la fière propriétaire du panneau. Depuis cinq ans, les Grecs sont dépeints comme ce peuple indolent qui refuse de faire des économies. La réalité est cependant plus rude.

Le taux de chômage dépasse les 25%, soit plus du double de la moyenne des pays de la zone euro, et atteint 60% chez les jeunes de moins de 25 ans. “J’ai un double Master en Finance et en Relations humaines. Mais lorsque la crise a commencé, j’ai été viré parce que je coûtais trop cher. Soit je restais au chômage parce que je suis surqualifié soit je mentais sur mon CV. J’ai choisi la deuxième option. Je travaille maintenant comme chauffeur de taxi” , raconte Nikos, âgé de 30 ans. “Ils veulent nous faire peur, en nous disant que si on refuse cet accord, tout ira mal. Tout va déjà mal. Je suis déjà pauvre. Je n’ai plus rien à perdre.”

Scandalisé, Errikos Finalis rappelle que “près de trois millions de Grecs vivent en dessous du seuil de pauvreté dans des conditions pitoyables . Si on ne peut pas adopter une loi qui donne, par exemple, 500 millions d’euros aux plus démunis, à quoi cela sert d’avoir un gouvernement? On pourrait directement mettre un gars de Berlin ici pour gouverner au lieu de payer des parlementaires. Je le dis de manière cynique, mais en réalité, ce pays n’existe plus. Dès lors nous, nous voulons exister.”

Entre austérité et calamité, je choisis l’austérité.”

Pourtant, à quelques centaines de mètres au Sud-Est du bastion du “oxi”, c’est toujours l’existence de la Grèce qui se joue. Avec un “oui”, cette fois. Une marrée de drapeaux grecs se mélangent à ceux de l’Europe. Portée par des ballons jaunes et bleus, une énorme banderole affichant le mot “Nai” entouré de 12 étoiles jaunes, domine la foule. Un homme âgé, dont la peau semble avoir été profondément creusée par le temps, par la vie, se tient fièrement devant l’immense Stade panathénaïque.

Entre Oxi et Nai, le coeur des Grecs balance
©Maria Udrescu

Immobile, Imperturbable par les va-et-vient constants et les flashs des photographes, il garde un drapeau de la Grèce qui, lui, s’agite vigoureusement sous le vent. À ses côtés, sa fille Alexandra, âgée de 54 ans, est engagée dans un échange fervent avec une de ses amies. “Notre futur c’est l’Europe. Nous sommes un petit pays, nous n’avons pas d’industrie, nous ne produisons rien, nous importons 90% de nos produits. Comment allons-nous survivre seuls?” , demande-t-elle.

“‘ Europe’ est un mot grec, ne l’oublions pas” , précise Dimitris, un avocat de 53 ans, venu soutenir un vote favorable aux mesures proposées par l’Eurogroupe. Pourquoi ce choix? Même si les partis de l’opposition assurent qu’ils ne se soumettront pas à des mesures budgétaires sans assurer une aide aux plus démunis, plusieurs partisans du “oui” reconnaissent qu’il s’agit d'un “oui” pour l’austérité. “Mais entre austérité et calamité, je choisis l’austérité” , exprime avec regret Dimitris. Les 20.000 personnes réunies devant le Stade panathénaïque d’Athènes semblent convaincues qu’un vote négatif plongerait la Grèce dans un désastre économique.

Nai”, un vote pour l’Europe

Mais surtout, ils soulignent que la question qui figurera dimanche sur le bulletin de vote n’est pas vraiment celle qui est posée dans ce référendum par le gouvernement d'Alexis Tsipras, le Premier ministre grec.

Un groupe d’adolescents, arborant fièrement un autocollant “Nai”, brandit des drapeaux de l’Union européenne, le sourire jusqu’aux oreilles, alors que les énormes baffles déversent un air de musique traditionnelle grecque. “La vraie question est : voulez-vous que la Grèce reste membre de l’Union européenne et garde l’euro? Mais, nous, Grecs, nous appartenons à l’Europe. Si nous votons non, la Grèce ne “sortira” pas de l’Union européenne. Elle en sera exclue. Et nous ne méritons pas d’être traités de cette manière” , explique d’une voix tremblante, Eva, âgée de 17 ans. Danae, une jeune étudiante en médecine de 25 ans, explique, quant à elle, qu’elle votera “oui” ce dimanche car “la Grèce a tellement souffert ces cinq dernières années, qu’on ne peut pas revenir à zéro” .

Le doute et la confusion sur le futur du pays

Selon un sondage publié vendredi par le journal Ethnos , le oui l’emporterait avec 44.8 % (contre 43.4 %). Et ensuite? Qu’arrivera-t-il à la Grèce après ce dimanche fatidique? Si le référendum a pour objectif de décider l’avenir du pays, paradoxalement, la confusion est totale quant aux scénarios possibles, quelque soit le résultat. Nora, dont le “Oxi” tracé au feutre bleu sur sa joue gauche a l’air de fondre sous la chaleur tropicale qui règne encore sur Athènes en cette fin d’après-midi, elle, est certaine : “La Grèce ne sortira pas de l’Union européenne parce qu’ils ont besoin de nous. Ils ne veulent pas l’admettre, mais notre exclusion leur coûterait beaucoup trop d’argent, près de 87 milliards d’euros” . Mais en réalité, personne ne sait.

L’opposition assure qu’un “non” provoquerait une catastrophe économique en Grèce et entraînerait le pays vers le chemin d’une sortie de la zone euro et de l’Union européenne. “Nos banques sont fermées, il n’y a plus de liquidités. Qui va nous financer? Personne. Nous devrons revenir au drachme (ndlr : l’ancienne monnaie nationale) . Un drame pour ce pays” , s’inquiète Alexandra. Si le peuple vote “oui” dimanche, les négociations devraient reprendre pour accorder à la Grèce les 50 millions d’euros dont elle aurait besoin pour se remettre sur pied, selon le FMI. Dans une interview accordée à La Libre, Théodore Fortsakis, député d’État du parti Nouvelle Démocratie, avait assuré qu’il ne s’agissait pourtant pas de céder à toutes les demandes sans obtenir en retour, une aide pour les plus démunis. De plus, une victoire du "oui" serait synonyme d’un désaveu pour le gouvernement grec et devrait mener à la démission du Premier ministre Alexis Tsipras qui aura donc résisté dans le sang et la sueur, pour finalement se plier à la règle. Un désastre pour Syriza, donc.

Les partisans du parti de la gauche radicale accusent, quant à eux, l’opposition de terroriser le peuple grec en jouant la carte de la peur. Errikos Finalis s’insurge contre ce diktat de la Troïka dont il affirme que le vrai objectif n’a jamais été de trouver un accord pour sauver la Grèce. “Notre erreur était de croire que le problème était économique. Ce n’est pas le cas. Eux, dès le début, ils réfléchissent en termes politiques. Ils ne veulent pas d’un mouton noir dans l’Europe et sont prêts à tout pour l’exterminer.”

Mais qu’adviendra-t-il de l’économie et des banques grecques si l’Eurogroupe ferme définitivement la porte des négociations ? Quelles sont les solutions envisagées dans ce scénario? “Il y a plusieurs moyens. L’Irlande, en 2011, a imprimé de l’argent électronique sans demander la permission de la BCE. Si l’Irlande l’a fait, nous pouvons le faire aussi. Nous pouvons également passer des accords avec des pays tiers, alors que le mémorandum nous interdit de le faire actuellement.”

Mais, il est vrai, je ne vois pas d’espoir d’une amélioration immédiate en ce qui concerne la vie de la population” , reconnaît avec regret M. Finalis. Aucune des deux parties ne promet un miracle et les deux semblent s’entendre sur un point : quelque soit le résultat du référendum, la Grèce est en route vers un chemin épineux et obscur.


"Les Grecs face à leur destin": Découvrez 16 pages spéciales dans La Libre de ce week-end

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