"Karpathia": Formidables aventures en Transylvanie
Très jouissif premier roman de Mathias Menegoz. Il y a du Tolstoï et du Dumas dans son « Karpathia ».
- Publié le 28-08-2014 à 12h15
Très jouissif premier roman de Mathias Menegoz. Il y a du Tolstoï et du Dumas dans son « Karpathia ».
Chaque rentrée littéraire a ses surprises. Le gros roman « Karpathia » de Mathias Menegoz en est une et des plus réjouissantes. Un premier roman qui est aussi un formidable roman d’aventures, de batailles et de paysages exotiques, à la Tolstoï, Dumas ou Walter Scott. En plus d’une belle écriture classique qui coule de source, le roman est d’une grande rigueur historique et nous emmène dans un tourbillon d’actions et de personnages comme le faisaient les grands romans qui enchantaient notre jeunesse.
Un livre qui va à contre-courant de la littérature française d’autofiction. Déjà, son auteur est hors normes. Né en 1968 à Paris, c’est un scientifique, auteur dune thèse en neurobiochimie au Collège de France. Mais découvrant la Transylvanie, cette région du nord de la Roumanie, lors d’un voyage en Hongrie, dans sa famille, il décida d’arrêter la science pour se consacrer à ce premier roman.
La Transylvanie est surtout connue à l'étranger (à tort, historiquement) par association avec le légendaire vampire Dracula et « Le château des Carpathes » de Jules Verne. Mathias Menegoz a voulu éviter tous ces clichés. Il a sillonné cette région frontière, faite de collines, de basses montagnes, de forêts impénétrables, située aux marges des grands empires, où les religions et les populations les plus diverses ont dû cohabiter : Hongrois, Roumains (Valaques), Tziganes, Saxons, etc. On redécouvre seulement aujourd’hui, après le si long glacis du communisme, les fruits difficiles de cette longue histoire. Lire « Karpathia » est alors une manière de mieux comprendre les enjeux et conflits internes, religieux et ethniques, qui agitent toujours la Roumanie et la Hongrie.
Le Transylvanie est aussi un pays de contrebande, de légendes et de châteaux médiévaux.
Si le roman a de belles qualités littéraires et un intérêt évident pour comprendre le présent, Mathias Menegoz a d’abord écrit un roman d’aventures, étayé par une étude intensive de quatre mois sur l’histoire de la région, à travers les documents de la bibliothèque nationale de Vienne.
Alexander et Cara
Il nous plonge en 1833. Un jeune comte hongrois, capitaine de l’armée impériale, Alexander Korvanyi, quitte l’armée après un duel et épouse une jeune noble autrichienne Cara von Amprecht. Ils décident de laisser Vienne et de s’installer sur les immenses terres ancestrales des Korvanyi, en plein milieu des collines boisées de Transylvanie.
Mais à cette époque, cette région était encore plongée dans le Moyen Age, loin des fastes modernes de Louis Philippe en France ou de Vienne. Là, les seigneurs obéissaient encore aux seules lois de l’honneur et géraient en maîtres absolus des armées de serfs valaques soumis aux corvées obligatoires. Alexander et Cara découvrent un millefeuille de populations diverses, de conflits larvés, de races juxtaposées, de superstitions et légendes (les vampires). Des loups rodent. Des voleurs et contrebandiers sèment le désordre aux frontières de l’empire.
Mathias Menegoz raconte comment en voulant retrouver ses prérogatives de seigneur sur ses terres, Alexander va à la fois tomber amoureux de cette région et se heurter à tant de problèmes qu’il ne pourra éviter une véritable guerre privée entre lui, aidé de ses alliés nobles hongrois, et d’autre part, ses serfs valaques et une armée de l’ombre qu’il appelle « les forestiers », insaisissable, circulant la nuit, se cachant dans les ravins, mélange de voleurs, de moines orthodoxes fanatiques, de prêcheurs d’un nationalisme roumain en germe, de serfs en fuite et d’aventuriers illuminés.
Le romancier s’amuse à raconter ces épopées pleines de suspense et de batailles, comme il se doit pour un grand roman d’aventures. Il prend soin à imaginer très justement, ce que peuvent être les réactions possibles de ces hommes et femmes soumis à des défis qui nous paraissent en 2014, très exotiques mais qui se sont réellement passés, il y a moins de deux siècles, en Europe même.
La noblesse court à sa perte
Aujourd’hui encore, la Transylvanie, comme certains coins de Hongrie et de l’Ouest de l’Ukraine sont encore moyenâgeux, sillonnés davantage par des charrettes à chevaux que par des autos. Un personnage central du livre est la forêt avec ses mystères, ses beautés et ses dangers.
Dès la mi-août, « Le Nouvel Observateur » signalait à raison, comme « formidable » cette fresque historique dont on avait perdu le goût.
Ce roman de chevaliers et donjons, fleure-t-il pour autant la nostalgie du passé ? Pas vraiment, car si on y évoque bien la féodalité et ses codes de l’honneur et la volonté pour les nobles de garder leur rang familial, dans le roman, cette noblesse court à sa perte. Le comte Alexander si soucieux de retrouver ses terres familiales et d’y installer à nouveau sa famille, n’amènera que ruines. L’histoire n’est plus à la féodalité. Et 1833, c’est après les révoltes de 1830, même en Transylvanie.
Un roman formidablement bien ficelé qui redonne tout le plaisir de la fiction historique bien écrite.
Karpathia, Mathias Menegoz, P.O.L., 696 pp., env. 23,90 euros