Au Vatican, les pierres ont besoin de bonne humeur

Plongée scientifique, artistique et historique dans les pas de Guy Devreux, Belge d'origine et responsable de l'entretien des 20 000 sculptures en pierre et en marbre du Vatican. LaLibre.be vous emmène "Dans le secret des lieux".

Bosco d'Otreppe, à Rome
Au Vatican, les pierres ont besoin de bonne humeur
©legge jonas

Plongée scientifique, artistique et historique dans les pas de Guy Devreux, Belge d'origine et responsable de l'entretien des 20 000 sculptures en pierre et en marbre du Vatican. LaLibre.be vous emmène "Dans le secret des lieux".

Céres était là, allongée, patiente et confiante. Déesse de l'agriculture, de la fécondité et des moissons, pour rien au monde elle ne semblait s'inquiéter des mille soins que lui procuraient une poignée d'experts triés sur le volet. À ses côtés, des dizaines de portraits, de bustes en plâtre ou en marbre, de bas-relief présentant fièrement de glorieuses batailles antiques.

L'atelier dans lequel nous venions d'entrer, perché sur les toits du Vatican, ressemblait à un vaste hôpital de campagne pour personnages illustres. Discrètement nous venions en effet de traverser les murs des musées pour nous retrouver dans un de leurs poumons : le laboratoire de restauration des marbres et moulages.

Ils sont nombreux nos pensionnaires, nous explique Guy Devreux, Belge d'origine et responsable du lieu : "20 000 environs dans les salles, les réserves, les jardins et l'ensemble du territoire du Vatican. Il faut beaucoup d'efficacité pour veiller sur leur bonne santé. C'est pour cela qu'avant toute connaissance scientifique, je demande à mes coéquipiers d'être des artisans du dialogue, de la synergie et de la bonne humeur. Quand on réalise ensemble un travail aussi rigoureux, elle est indispensable."

L'histoire d'une œuvre

Le travail de Guy Devreux et ses collègues est, façon de parler, très simple. Il doit veiller à la bonne conservation de toutes les statues, colonnes, moulages, fontaines en marbre et en pierre qui peuplent le Vatican et ses musées. Ce n'est pas rien, à eux seuls, ces derniers s'étalent sur 7 kilomètres de salles et de galeries.

Pensez aussi que le Maestro (comme on l'appelle au Vatican) doit se soucier de la stabilité de l'obélisque place Saint-Pierre par exemple, pour qu'il ne s'écroule pas un beau jour sur une foule de pèlerins en prière. Le travail est donc une projection sur l'avenir, autant qu'une recherche dans les tréfonds du passé : toutes les œuvres, pour la plupart célébrissimes et uniques, ont en effet leur histoire. Certaines ont voyagé depuis l'Égypte, d'autres ont traversé les siècles au gré de dons, de découvertes, d'échanges.

"Pour découvrir ces histoires et la spécificité de chaque pièce, il faut s'approcher d'une œuvre comme l'on s'approcherait d'un livre. Les surfaces de la pierre ou du marbre ont énormément à nous raconter. C'est pourquoi nous allons identifier et étudier tout ce que l'on y trouve : la moindre patine, la trace d'une polychromie plus ancienne... Chacune de ces traces nous en dira plus sur le rôle et sur les origines de ces œuvres. Notre but n'est pas de restaurer ou de nettoyer une œuvre, mais bien de la comprendre et de la conserver. Vous savez d'ailleurs ce qui provoque les plus gros dégâts sur une sculpture ? Ce n'est ni l'eau, ni la pollution, ce sont en général les restaurateurs. Du coup, lorsque nous touchons à une œuvre, nous n'utilisons que des matériaux réversibles. Des béquilles de résines par exemple, s'il s'agit de remonter plusieurs morceaux ensemble."

Le voyage d'Auguste

Chaque pièce, chaque restauration est l'occasion pour Guy Devreux et son équipe d'en apprendre davantage sur l'art, mais aussi sur la science de leur profession. Tout en passant d'une œuvre à l'autre, il jongle avec les formules chimiques, les outils, les techniques imaginées au cas par cas. Il nous explique comment faire émerger les couleurs d'un couvercle égyptien qui s'étaient perdues sous la pollution, comment comprendre les traces d'usure sur un sarcophage devenu au fil des siècles le bassin d'une fontaine, et sur lequel les pieds de centaines d'enfants, venus se désaltérer, avaient laissé leurs marques. "Notre savoir est empirique : on apprend de nos erreurs, on étudie ce qui a pu se faire par le passé, on se sert des avancées techniques les plus récentes, et on essaye de ne pas emprisonner l'avenir par des restaurations indélébiles."

Les aventures sont d'ailleurs variées. Le 5 mars dernier, dans le cadre d'un prêt pour une exposition, une statue en marbre de l'empereur Auguste (photo ci-dessous, à gauche) a dû franchir les Alpes pour conquérir Paris. "Nous avons réalisé une véritable Rolls-Royce pour l’Auguste", confiait à l'époque Guy Devreux à l'agence I.Media. De fait, la statue était équipée de renforts en fibres de carbones imaginés par les experts du centre national de recherche nucléaire italien, elle était également accompagnée d’appareils électroniques permettant de guetter, tout au long du voyage, les moindres mouvements suspects.

De même, lorsque l'équipe des musées, aidée par une armée de restaurateurs, a dû s'occuper de l'entretien des 140 statues de saints qui scrutent la place Saint-Pierre du haut des colonnades dessinées par Le Bernin (photo ci-dessus, à droite), les techniques les plus modernes ont été utilisées, comme la thermo-vision, ou encore l’auscultation à l’aide d’un géoradar pour dévoiler leur structure interne.

Ce matin par contre, dans le calme de l'atelier où de larges rayons du soleil romain glissent leur regard, l'atmosphère est studieuse et joyeuse. Cérès est toujours là, aussi sereine qu'au Panthéon. À ses côtés on scrute, on assemble, on recolle, on cherche, on manie des lasers, de l'ultraviolet, des grues capables de soulever plusieurs tonnes, des pinceaux microscopiques, des logiciels 3D... on prend soin des siècles et des infimes détails qu'ils auraient pu nous léguer. On a du mal d'ailleurs à imaginer qu'un étage plus bas, l'ambiance est tout autre : le hall d'entrée des musées bruisse d'innombrables visiteurs (plus de 25 000 par jour) prêts à profiter de ces recherches et de ces travaux.

Quoi qu'il en soit, ces derniers ne s'ennuieront pas, les collections vaticanes sont impressionnantes et d'une richesse inouïe. "L'Église a voulu se définir comme l'héritière de la civilisation classique, des Antiques, de Virgile et d'Horace expliquait au Figaro le directeur des musées Antonio Paolucci. Mais elle a voulu honorer et conserver les autres formes d'expression artistiques. C'est une pensée constante dans l'histoire de l'Église : jamais l'homme ne se montre davantage à l'image et à la ressemblance de Dieu que quand il se fait lui-même créateur." Et même, qui sait, conservateur.

Une reportage d'ambiance de Bosco d'Otreppe, à Rome.

(Photos : Musées du Vatican, Wikipedia et J. LGG.)


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