Décès de Gabriel Garcia Marquez: ses derniers mots en public
Atteint d'un premier cancer, en 1999, on l'avait déjà donné pour mort et, dans les rédactions du monde entier, on avait préparé les nécrologies. Ce diable d'écrivain s'était relevé, battu, et écrit encore et encore. Une évocation signée Isabelle Monnart.
- Publié le 18-04-2014 à 07h28
- Mis à jour le 18-04-2014 à 07h29
Brusquement, tout s'arrête, et c'est le noir absolu Gabriel Garcia Marquez, prix Nobel de littérature, s'est éteint 87 ans, victime d'un cancer.
Il y a quelques semaines à peine, quelques journalistes s'étaient postés devant chez lui, les bras chargés de cadeaux pour son anniversaire. Prétexte, bien sûr, pour ces confrères espérant décrocher la timbale et obtenir une interview de Gabriel Garcia Marquez, 87 ans, écrivain mondialement célèbre et retiré du monde depuis une quinzaine d'années et un cancer du système lymphatique.
De l'auteur, ils n'avaient obtenu que quelques mots, toujours les mêmes, disant qu'il allait bien mais qu'il devait se reposer. Garcia Marquez avait posé pour la photo, dans l'entrebaîllement de la porte de sa maison de Mexico, un petit sourire aux lèvres. Nous étions le 6 mars et ce fut sa dernière apparition publique.
Depuis, l'écrivain colombien avait une nouvelle fois été hospitalisé, au début du mois d'avril. Et si l'entourage ne donnait pas de précisions sur son état de santé, c'est tout un continent qui tremblait devant la rumeur: soigné pour une pneumonie, Gabo, comme on le surnommait affectueusement, avait surtout été rattrapé par le cancer, qui s'en était pris, cette fois, au foie et aux poumons.
Affaibli, il avait fait le choix de rentrer chez lui. Il s'y est éteint jeudi, à l'âge de 87 ans. "Je pense évidemment à la mort", disait-il. "Mais peu, aussi peu que possible. Pour en avoir moins peur, j'ai appris à vivre avec un idée très simple, très peu philosophique: brusquement tout s'arrête et c'est le noir absolu. La mémoire est abolie. Ce qui me soulage et m'attriste, car il s'agira de la première expérience que je ne pourrai pas raconter."
Car Gabriel Garcia Marquez le jurait: tout ce que contenaient ses livres n'était que stricte vérité. Certes un peu - beaucoup - romancée, mais vérité d'un monde qu'il a connu, celui dans lequel il a grandi, au milieu d'une famille haute en couleur... et en solitude, l'absence de sa mère ayant été l'un des drames de sa vie.
Né le 6 mars dans le petit village d'Aracataca, dans les plaines qui bordent la côte caraïbe de la Colombie, Gabriel Garcia Marquez était l'aîné du fratrie de onze enfants. Un lieu perdu, qui deviendra sous sa plume mondialement connu, en prenant le nom de Macondo, ville phantasmée, exubérante et ô combien vivante. Dans sa maison "pleine de monde, mais également pleine de fantômes", comme l'écrit son biographe Gerald Martin, le gamin grandit entouré de ses grands-parents, son père, pharmacien, ayant fait le choix de tenter sa chance ailleurs.
C'est d'ailleurs au colonel Marquez, son grand-père, qu'il devra ce sens de la démesure, lui qui racontait à l'enfant avec force détails, la dévastatrice guerre des Mille jours qui fit rage de 1899 à 1902.
Personnage hors norme, engagé, Papalelo lui insufle aussi sa conscience politique et sociale. Sa grand-mère galicienne, elle, le familiarise avec le surnaturel, les contes, légendes et autres démons, dont elle raconte à longueur de nuits, les extraordinaires histoires au petit Gabo.
A huit ans, quand on l'envoie en pension chez les jésuites de Bogota, il y a déjà en germes, dans son esprit, tout ce qui fera, bien des années plus tard, le succès de sa littérature et son plus grand succès: "Cent ans de solitude".
Mais avant de vivre de sa plume, Garcia Marquez va connaître des périodes de vaches maigres. Journaliste, il vend ses papiers, notamment ceux qui retracent la catastrophe du Caldas, un bâtiment de la marine colombienne qui fit naufrage, laissant à la mer huit hommes d'équipage. On prétendit qu'il avait affronté une tempête: il transportait en fait des tonnes de marchandises de contrebande...
En 1958, après un séjour en Europe, l'écrivain qui a déjà quelques titres à son actif - dont "Les funérailles de la grande Mémé" – rentre en Amérique latine et y épouse son amour d'adolescence, Mercedes Barcha, qui restera à jamais la femme de sa vie. Ensemble, ils ont deux fils: Rodrigo, cinéaste, et Gonzalo, enseignant.
Le tournant de sa carrière, et sans doute de sa vie, aura lieu en 1967, quand il publie son roman fleuve (en France, au Seuil): "Cent ans de solitude".
Un livre majeur, une saga familiale et bien plus: une oeuvre baroque, fantastique, un état des lieux politique du continent, déguisé en fresque fantastique. Sur six générations, Garcia Marquez raconte l'histoire de la famille Buendia, de ses drames, de ses amours et ses espoirs, autour du village de Macondo. Le succès est fulgurant et laisse l'auteur abasourdi devant l'engouement, qu'il peine lui-même à expliquer.
Plus jamais d'ailleurs, en dépit de romans aussi forts que "L'amour au temps du choléra", "Chronique d'une mort annoncée", "L'automne du patriarche" ou "Le général dans son labyrinthe", il ne rassemblera autant de lecteurs et de louanges. Mais il a ouvert une porte, montré une voie que beaucoup d'auteurs sud-américains suivront avec des bonheurs divers.
En 1982, quand, à Stockolm, il vient recevoir son prix Nobel de littérature, en liqui-liqui - le costume blanc traditionnel des caraïbes - il en profite pour faire une déclaration d'amour à l'Amérique latine, dont il dit "la solitude", mais aussi "l'oppression, le pillage et l'abandon". Des thèmes qui lui resteront chers jusqu'au bout.
Atteint d'un premier cancer, en 1999, on l'avait déjà donné pour mort et, dans les rédactions du monde entier, on avait préparé les nécrologies. Ce diable d'écrivain s'était relevé, battu, et écrit encore et encore. On dit qu'il en avait gardé des séquelles, que sa mémoire était vacillante. Cela ne l'a pas empêché de publier, en 2004, "Mémoire de mes putains tristes" (Grasset).
Ce sera son dernier livre.
A lire: Cent ans de solitude, L'amour au temps du choléra, L'automne du patriarche, Chronique d'une mort annoncée. Tous publiés au format poche.