Ces Vikings qui ont foulé nos terres
Bien avant Ikea et H&M, les Vikings ont conquis le monde, eux qui ont poussé leurs embarcations jusqu’en Méditerranée, vers la Russie actuelle ou le Califat des pays arabes, allant jusqu’à fouler le continent nord-américain au Canada - à l’Anse aux Meadows. Mais qui étaient-ils vraiment ? Reportage.
- Publié le 23-10-2014 à 16h03
Jusqu’au 15 mars 2015, le Musée gallo-romain de Tongres accueille l’exposition "Les Vikings" - qui, entre le VIIIe et le XIe siècle, ont vécu dans ce qui correspond à la Suède, au Danemark et à la Norvège d’aujourd’hui. D’emblée, l’affiche balaie un premier stéréotype puisque c’est une femme qui apparaît. Viking ? Le terme a été inventé au XIXe siècle. Aucun royaume viking n’a existé. En réalité, ils étaient des agriculteurs, des paysans qui, de temps à autre, exceptionnellement même, partaient "en viking", c’est-à-dire commercer ou, lorsque l’impatience était trop forte, piller. Même en Scandinavie, on les craignait. Préparez-vous : d’autres idées reçues vont tomber. Ainsi, le petit vaisseau commercial (c’est une réplique, l’original a été déterré en Norvège à la fin du XIXe siècle) qui accueille les visiteurs à l’entrée du musée ne possède aucune tête de dragon. Contrairement à ce que montre la Tapisserie de Bayeux, les dragons sont rarissimes sur les bateaux vikings. De même, les Vikings ne peuvent être réduits à des barbares, tant leur culture était raffinée et riche. Nombre d’objets réalisés par leurs artisans sont d’ailleurs impossibles à reproduire, tant leur technique était précise, délicate, maîtrisée. Autre sornette largement véhiculée, le casque à corne est une pure invention. Le faussaire se nomme Richard Wagner. A la création de son célèbre cycle "L’Anneau des Nibelungen" en 1851, un personnage germain en portait un. On ne sait trop comment il est devenu Viking dans l’imaginaire collectif.
Une preuve, enfin
La visite commence par une découverte majeure : une épingle en bronze retrouvée dans le Limbourg, dans la vallée de la Meuse. C’est l’unique signe, que l’on ne pourra sans doute jamais dater, d’un passage viking sur nos terres. Jusque-là, on ne possédait que des traces d’incendie datant de 881 à Tongres et à Liège notamment, et le témoignage écrit de Regino von Prüm, supérieur de l’abbaye allemande de Prüm, dont l’objectivité est sujette à caution. Prochainement, des fouilles devraient être entreprises sur les lieux de cette incroyable trouvaille réalisée à fleur de champ, hors de tout contexte donc.
Après cet étonnant point de départ, la visite propose 450 objets authentiques et une dizaine de répliques qui sont issus des collections du musée d’Histoire nationale de Stockholm. Parmi eux, une cinquantaine ont été retrouvés sur le site archéologique de Birka (lire ci-contre). Bijoux, statuettes, épées, outils, textiles témoignent d’une vie en société très compartimentée et très ouverte de par les nombreux voyages que les Vikings effectuaient. Chaque hiver, ils rentraient en Scandinavie. Jusqu’au moment où ils ont commencé à installer leur camp d’hiver à Maastricht, Aix-la-Chapelle, Liège, Anvers, Tongres ou Cologne, soit au cœur du pouvoir carolingien.
Où la femme a une place à part
Une scénographie dynamique, des images filmées, des présentations interactives, mais aussi des ateliers pour enfants permettent notamment d’appréhender leurs divinités (les Ases et les Vanes, mais aussi la percée progressive de la chrétienté qui deviendra religion officielle à la fin du XIe siècle), leurs rites funéraires, leur alimentation, les réceptions qu’ils donnaient, leur habitat, leur art du négoce (ils échangeaient des esclaves, des peaux d’animaux ou du miel contre divers objets), leurs métiers (principalement dans le bois et la métallurgie), leur écriture (les runes, qui sont antérieures à leur temps et utilisées par d’autres civilisations) et la place de la femme. Souvent, celle-ci portait sur elle une clé qui ne servait pas toujours mais valait par sa symbolique : la responsabilité de la ferme, quand tout s’organisait autour d’elle.
A noter encore que le restaurant du Musée propose un menu viking concocté par Christer Elfving et que la ville de Tongres sera envahie par un festival viking les 30 janvier et 1er février prochains. Une mise à feu de bateau, telle que les rites funéraires de l’élite le prévoyaient, sera reconstituée. De quoi toucher d’encore plus près cette passionnante civilisation.
Jusqu’au 15 mars, du mardi au vendredi de 9 à 17h, les samedi, dimanche, jours fériés et congés scolaires de 10 à 18h. Entrées : 10 € (adultes) et 1 € (moins de 26 ans), audioguide compris. Ateliers créatifs pour les enfants. Rens. : 012.67.03.30.
A Birka, le mystère n’est pas prêt d’être percé
Les lieux sont paisibles, empreints de solennité. L’on déambule au milieu de monticules recouverts d’herbe, dans un calme rehaussé par le chant des oiseaux. Il faut une bonne dose d’imagination pour envisager la vie telle qu’elle devait s’écouler à Birka au VIIIe siècle car aucun édifice n’a survécu. Seules, quelques bâtisses ont été reconstruites à l’identique, en respectant les techniques utilisées alors - sans électricité, donc, en ne comptant que sur les hommes et les chevaux. Situé à une bonne heure en bateau de Stockholm, le site est préservé du tourisme de masse. Une navette le matin pour rejoindre l’île de Björkö (où s’étend Birka), une autre pour regagner Stockholm en début d’après-midi : le travail des archéologues est relativement préservé de la curiosité et de l’affluence.
C’est en 1979 que de premières fouilles avaient été entreprises à Birka, qui est l’une des plus anciennes villes suédoises. Depuis, les techniques ont évolué. Les questions aussi, même si la plupart demeurent sans réponse. Il y a deux ans, une nouvelle phase d’exploration a débuté. Attachée au musée national d’Histoire de Stockholm, Kerstin Naberskold est l’une des archéologues qui travaillent pour partie sur le site. Ce jour de juin où elle reçoit plusieurs journalistes belges, elle n’est pas peu fière de présenter ses découvertes, qu’elles soient spectaculaires ou récentes : une épée, une lance, une broche en bronze et un petit étui dont le poids laisse à penser qu’il contient encore ses aiguilles. A chaque découverte, les mêmes étapes sont répétées avec minutie : tout objet est soigneusement nettoyé, pris en photo, débarrassé des sels restants, mis à sécher avant d’être rendu imperméable avec de la cire ou de la paraffine. Alors seulement, il pourra être exposé.
Lieu de rencontre
Créée vers 750, Birka devait compter quelque 700 âmes au plus fort de son existence. Mais l’on y a dénombré 3 000 tombes, dont certaines contenaient plusieurs corps. Birka était donc vraisemblablement un lieu de passage, de rencontre. Sans que l’on sache si certains y séjournaient de manière permanente. De même, on ignore pourquoi la ville s’est éteinte vers 960. Les habitants vivaient dans des fermes et étaient enterrés à proximité de celles-ci dans des chambres mortuaires, selon une mise en scène précise. Hommes, femmes, enfants, les squelettes découverts là sont en très mauvais état. Il est délicat de les analyser. De la manière dont elles sont inhumées, on déduit que les femmes étaient importantes dans la société d’alors. Parmi les bijoux retrouvés, il y a des croix. Il est donc probable que paganisme et christianisme aient cohabité. Les quantités de coprolithes (matières fécales fossilisées) retrouvées laissent penser que Birka était très sale et devait sentir épouvantablement mauvais.
Visiter Birka, c’est toucher au plus près la civilisation viking et accepter que son mystère résiste. C’est sans doute ce qui fait l’attrait d’un peuple que la mer a porté jusqu’en Europe centrale et aux Etats-Unis. Bien avant que Christophe Colomb ne s’y risque.