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UCL et USL-B: une fusion universitaire, des espoirs

La chronique de Vincent Engel

Temps de lecture: 9 min

Ce n’est sans doute pas l’information la plus importante de ces derniers jours pour le grand public, mais elle ne manque pourtant pas d’intérêt, surtout à long terme : la fusion entre les universités de Louvain (Louvain-la-Neuve) et de Saint-Louis (Bruxelles). L’occasion de revenir sur les enjeux de l’enseignement supérieur après la polémique sur le minerval des étudiants étrangers.

Ce n’est pas le premier projet de fusion mené par l’UCL. Le précédent, à l’initiative de Bernard Coulie, avait échoué en grande partie à cause d’une attitude de l’UCL jugée arrogante par les autres partenaires – et sans doute avec raison. Le projet actuel avec Saint-Louis a failli, lui aussi, ne pas aboutir, pour les mêmes raisons. Les raisons, au pluriel, car à l’arrogance, qui reste évidemment une notion subjective, s’ajoute un autre souci : dans les deux cas, la démarche et le projet venaient « d’en haut », dans un processus « top-bottom », selon le jargon d’usage, autrement dit conçu par les autorités rectorales et imposé aux différents corps (académique, scientifique, administratif et technique, étudiant), sans réelle concertation. Raison pour laquelle la fusion, avérée, avec les FUCAM (Mons), en 2011, a été mal vécue sur le terrain.

Si la fusion a finalement été approuvée par les membres de la communauté de Saint-Louis, c’est probablement parce que cette logique descendante a été inversée, à la demande des représentants de l’université bruxelloise entendue par leurs collègues néo-louvanistes – et il faut évidemment saluer le courage et l’intelligence des deux recteurs concernés, qui ont fait confiance à l’intelligence et à l’autonomie des membres de leurs institutions. En un temps record, une équipe réunissant des représentants des quatre corps a accouché d’un document qui n’est assurément pas un texte de compromis consensuel tissé de bonnes intentions plus ou moins creuses, destinées à rester lettre morte. Il faut prendre le temps de lire ce texte, car il marque un tournant dans l’histoire universitaire de notre pays.

Les fondements d’une fusion : inclusion, excellence et diversité

Dans le climat difficile et kafkaïen imposé par le décret Marcourt, qui conduit les universités à se mener une lutte concurrentielle absurde, cette fusion aurait pu être une OPA conduite par la « grande » UCL sur la « petite » USL-B, une possibilité pour l’université catholique essentiellement implantée en Wallonie d’accroître son ancrage bruxellois pour se renforcer face à l’ULB, contrant ainsi la logique régionaliste du ministre. Ce type de fusion n’avait sans doute aucune chance d’aboutir, et c’est tant mieux. Ce qui se joue désormais, c’est une fusion basée sur le principe de l’égalité entre les partenaires. Non seulement entre les deux implantations, mais aussi entre tous les acteurs qui les font vivre, quelle que soit leur catégorie.

Ce que voulaient les acteurs qui ont participé à la rédaction de ce document, ce n’était pas un projet « managérial » permettant des économies d’échelle et le renforcement d’une position sur le « marché » de l’enseignement supérieur. Plus que jamais, ce dont ont besoin la société en général et les universités en particulier, c’est de nourrir le sens de leurs actions et, plus encore, de leur existence. À quoi sert une université ? Quelles sont les missions de ceux qui y travaillent, cherchent et étudient ? Quels liens ces institutions doivent-elles tisser avec la société qui les finance ?

Aujourd’hui, on distingue trois missions clés : la recherche, l’enseignement et les services à la société, cette dernière mission recouvrant des domaines extrêmement larges – et l’on pourrait d’ailleurs considérer qu’elle est redondante, car la recherche et l’enseignement sont deux services à la société primordiaux et tout à fait spécifiques aux universités et aux écoles supérieures. À ces trois missions, le document attire l’attention sur une quatrième, qui a pris une importance sans cesse croissante ces dernières années, au détriment des trois premières : la gestion. Les enseignants et les chercheurs passent de plus en plus de temps à des tâches administratives pour lesquelles la plupart d’entre eux ne sont pas formés, parmi lesquelles la recherche des financements indispensables et la justification de la rentabilité de leurs travaux, pour satisfaire aux rankings absurdes appliqués de manière aveugle et uniforme à des domaines pourtant très différents.

C’est cela qui doit changer, et c’est ce à quoi appellent les signataires de cette note commune, qui ont choisi de pointer 6 projets majeurs permettant de redonner du sens et de mettre en œuvre une dynamique positive et constructive. Je ne les détaillerai pas ici (chacun peut lire le document), mais je m’attarderai sur une notion centrale qui constitue une sorte de fil rouge : la sanctuarisation de l’université.

Sanctuarisation et spécificité des universités

Si vous travaillez dans une université, ou si vous fréquentez des gens qui y travaillent, vous avez sûrement déjà entendu une phrase du genre : « Attention ! Il ne faut pas créer de précédent ! » S’il y a un lieu où cette phrase est non seulement ridicule, mais totalement contraire à ce que devrait être la raison même de ce lieu, c’est celle-là. Depuis leur création, les universités n’ont jamais eu de mission plus importante que de créer des précédents. Mais l’expression de cette crainte signale parfaitement l’emprise toujours plus grande de l’administration dans la vie universitaire. C’est l’administration qui redoute le précédent : l’empire chinois s’est maintenu durant des siècles parce qu’il était contrôlé par une classe de fonctionnaires administratifs redoutablement efficaces, les mandarins. Le mandarin est l’ennemi de la modernité et des précédents, parce qu’à ses yeux, la modernité et les précédents compromettent l’équilibre, nécessairement parfait et parfaitement nécessaire, auquel a conduit leur sage gouvernance.

Une université doit être un foyer d’impertinence. Impertinence d’abord parce qu’elle ne doit pas vouloir, en amont de ses recherches, être « pertinente ». Les plus grandes découvertes se sont souvent faites par hasard et ont bouleversé des champs qui n’étaient pas toujours ceux dans lesquels la recherche initiale s’était inscrite. Vouloir à tout prix qu’une recherche soit pertinente, ou rentable, c’est se condamner à ne trouver que des produits dérivés.

Impertinente, l’université doit l’être aussi dans ses prises de position sur des sujets publics, économiques, sociaux, politiques, environnementaux. Comme le dénonce si justement Alain Deneault dans son essai sur La Médiocratie, l’intellectuel et l’universitaire, au sens fort du terme, ont laissé la place à l’expert, dont la fonction est de justifier les décisions et les actes de ceux dont dépend son financement. Un expert est trop souvent un agent administratif produit par un certain type d’université dans le but d’éviter tout précédent, tout bouleversement – les experts du Giec étant une formidable exception, parce qu’ils sont restés avant tout des universitaires et des intellectuels courageux.

Il n’est pas facile d’être impertinent aujourd’hui. Ma récente chronique sur la question du minerval imposé aux étudiants étrangers m’a valu un mail personnel d’une directrice administrative de ma propre institution universitaire. Sur un ton très méprisant et condescendant, allant jusqu’à laisser entendre que je ne pouvais pas être l’auteur d’un tel torchon indigne, elle mêlait des menaces voilées à un commandement implicite : un professeur d’université n’a pas le droit de contester les décisions de l’équipe rectorale.

Par chance, je n’ai pas succombé à la peur et je n’ai pas dû demander l’asile politique à l’ULB ou dans l’université de Soros, à Budapest… Sans doute ne s’agissait-il d’ailleurs que d’une formulation maladroite d’une personne impliquée dans son rôle ; mais cela peut aussi être révélateur d’une évolution insidieuse, que je dénonçais déjà dans la chronique sur le minerval et qui a conduit l’université à se penser comme une entreprise commerciale, vendant des diplômes et devant, du coup, se montrer attractive et attirer plus de clients que ses concurrentes.

Sans doute est-ce utopique de vouloir remplacer la concurrence par l’émulation, et promouvoir le partage du savoir plutôt que la compétition du ranking. Mais le mot « université » conforte cette utopie : l’universalité appartient à tout le monde, et le savoir ne vaut que s’il est partagé. Pour cela, il convient de sanctuariser l’enseignement supérieur.

Qu’est-ce que cela signifie ? D’abord, ne plus demander aux académiques de perdre une part essentielle de leur énergie et de leur temps à des tâches administratives. Ce qui ne veut pas dire non plus confier la gestion de l’université à des managers ; la note des quatre corps des deux universités insiste, à juste titre, sur l’indispensable complémentarité entre les différents acteurs de la vie universitaire. Il faut aussi de toute urgence libérer la recherche des contraintes rentabilistes et refaire des universités des incubateurs d’avenir, repenser de fond en comble la pédagogie (en évitant surtout de la laisser à la seule responsabilité des psychopédagogues) et les modalités d’évaluation. Pour le dire plus simplement, l’université a besoin d’une révolution.

Dépasser la critique sociale et politique

Tout a été dit, sans doute, sur la crise sociale, politique et économique que nous vivons. Si pas tout, du moins l’essentiel. Cela ne veut pas dire que le débat ne doit plus se poursuivre ; mais il est temps de passer à l’étape des solutions et des remèdes. Cela se joue déjà au niveau des initiatives citoyennes ; il n’est pas pensable que l’université reste en dehors de ce mouvement de refondation, de renaissance démocratique, étant donné les implications majeures qu’elle peut avoir sur tous les domaines : culturel, social, économique, politique, technologique, médical, industriel…

Pour y arriver, l’université doit évidemment regagner son indépendance par rapport au politique et à la financiarisation qui ronge tous les secteurs de notre société ; mais elle doit aussi opérer une révolution interne et reconsidérer sa position dans la société. J’évoquais plus haut l’arrogance que l’on a pu reprocher à certains responsables de l’UCL dans les démarches de fusion ; cette arrogance est parfois une caractéristique de l’universitaire inacceptable, quelle qu’en soit la cible. D’abord par rapport aux hautes écoles et à l’enseignement supérieur ; pour enseigner à la fois dans une haute école et à l’université, je peux témoigner que le niveau d’excellence de la première n’a rien à envier à celui de la seconde. Par contre, les enseignants des hautes écoles travaillent dans des conditions nettement moins favorables que leurs collègues universitaires et ne peuvent que difficilement mener des recherches scientifiques. La création de Bac et de Master transversaux, impliquant des hautes écoles et des universités, me semble une nécessité et une richesse, qui permettra de dynamiser les acteurs des deux filières, au plus grand profit des étudiants.

La sanctuarisation et la liberté que j’évoque ici ne sont pas des cadeaux qu’une société accorde à une élite autoproclamée ; elles sont un privilège, sans doute, mais un privilège qui s’accompagne d’une énorme responsabilité, laquelle doit être exercée dans la plus totale gratitude vis-à-vis de cette société. Aucune arrogance n’est possible. Le conseil d’administration auprès duquel la communauté universitaire doit rendre des comptes est le plus important qui soit : c’est celui de l’avenir que les quatre corps – académique, scientifique, administratif et technique, étudiant – ont pour tâche prioritaire de rendre plus juste, égalitaire et meilleur pour l’ensemble de la société qui les finance.

 

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