Venise célèbre le plaisir de l’art et des artistes
- Publié le 12-05-2017 à 07h40
Le 57e édition de la Biennale de Venise s’ouvre ce samedi au public et fermera le 26 novembre.
Dirigée cette année par la Française Christine Macel, elle se veut un chant d’amour à l’art avec le titre « Viva arte viva ! »
A chaque édition, la Biennale s’étend : 82 pavillons nationaux, 120 artistes invités par Christine Macel, 28 événements « collatéraux ».
« Le lieu où trouver la force de résister »
C’est le Française Christine Macel, du Centre Pompidou, qui dirige cette 57e édition de la Biennale de Venise. Elle veut en faire une fête à la force des artistes face aux défaitismes, mais une fête qui pointe aussi les responsabilités de l’artiste. « Le monde d’aujourd’hui est rempli de conflits et de violences, dit-elle. L’art devient alors le témoin de la part la plus précieuse de nous-mêmes, celle qui nous rend humain. L’art est le dernier terrain pour la réflexion, pour la liberté d’expression, pour poser les questions les plus fondamentales. Il nous faut cultiver ce dernier bastion au-dessus des modes et des intérêts personnels. Il est le lieu où trouver des ressources, la force de résister et de combattre l’individualisme, le repli sur soi et l’indifférence. »
« La responsabilité des artistes est devenue dès lors très importante dans les débats actuels. C’est par leurs initiatives que le monde de demain, si incertain, peut le mieux prendre forme. »
Il n’est pas sûr que ce soit cette profession de foi qui motivait toute cette semaine une foule dense comme jamais qui a arpenté la Biennale en avant-première : collectionneurs, galeristes, musées, journalistes, etc. On se pressait à Venise et y parlait toutes les langues du monde. Plus que jamais, l’art d’aujourd’hui attire les foules et casse toutes les frontières. La Biennale attend au moins 500000 visiteurs et la Documenta, à Athènes et Kassel, qui se déroule en parallèle, en attend plus de 750000.
Trois blocs
Une Biennale se divise en trois blocs : les 82 pavillons nationaux dans les Giardini et en ville (voir ci-joint), les 28 événements collatéraux (on y reviendra) et la grande exposition de la commissaire dans les Giardini et dans les 50000 m2 de l’Arsenale. Celle-ci donne traditionnellement le ton de l’art actuel.
Christine Macel a invité 120 artistes de tous les continents dont 101 n’étaient jamais venus à Venise. Pour mieux rythmer et maintenir l’intérêt du visiteur, cette exposition fleuve est divisée en neuf chapitres portant chacun des noms aussi poétiques que « Le pavillon du temps et de la finitude ». Le résultat est très concluant, rendant la visite plus claire qu’à d’autres Biennales.
Dès l’entrée, le ton est donné par des représentations de l’artiste « au travail », mais où, en réalité, il dort (les divans de Franz West, les photos de Mladen Stilinovic). Nietzsche disait déjà que pour « faire quelque chose, il faut parfois passer la moitié du temps à ne rien faire ». Christine Macel veut célébrer les vertus créatrices de « l’otium » (l’oisiveté) face au « negocium » (la fièvre du commerce). Elle aurait pu y joindre les beaux films de Nicolas Kozakis et de Raoul Vaneigem sur ce thème.
Mais vite, le fracas du monde s’infiltre avec un groupe de rap nigérian et des réfugiés demandeurs d’asile invités par Olafur Eliasson à fabriquer des lampes. Il leur donne ainsi statut et salaire mais surtout un visage et un nom au milieu de l’événement européen par excellence.
Un Premier ministre
Sur un grand mur, une multitude de beaux dessins abstraits. Ils ont été réalisés par le Premier ministre albanais (et artiste), Edi Rama, sur ses feuilles de travail pendant ses réunions trop ennuyeuses !
Le parcours, parfois trop sage, va ainsi de découvertes en réussites avec aussi son lot inévitable de déceptions. Aux Giardini, la grande expo évoque les livres avec les peintures hyperréalistes à la manière des primitifs flamands, du Chinois Liu Ye qui a peint ces livres qu’on ne pouvait lire pendant la révolution culturelle. L’artiste des Emirats arabes unis, Abdulah Al Saadi a élaboré toutes sa vie des petits livres comme des rouleaux de la Mer morte enfermés dans des boîtes de conserve.
On est séduit par le grand peintre syrien Marwan, mort l’an dernier, qui joua un rôle important dans la peinture allemande, dont les portraits des années 60 annonçaient déjà les désastres de son pays.
La Canadienne Hajra Waheed exprime bien ce mélange des « joies et des peurs » que dont l’art témoigne avec ses petites peintures et ses collages de photographies, si poétiques et politiques, parlant de la disparition des mers avec la menace du pétrole.
La fragilité de l’art et de l’homme se retrouve dans les beaux dessins de Kiki Smith sur des papiers népalais.
L’exposition continue et se déploie encore davantage à l’Arsenale avec « Le pavillon de la terre », « Le pavillon des chamans », « Le pavillon des couleurs », etc.
On y retrouve des artistes trop oubliés comme l’Italienne Maria Lai (aussi à la Documenta). L’Argentin Martin Cordiano exprime par un labyrinthe, l’isolement des individus. Si le pavillon « dionysiaque « est faible, celui de chamans a de beaux moments comme le film d’Enrique Ramirez sur un grand lac salé. Kader Attia ne déçoit pas, parlant des femmes. Et on aboutit à l’impressionnant, immense mur de laines multicolores de Sheila Hicks, 83 ans, qu’on avait vue il y a peu à la Fondation 11 lijnen à Ostende.
La fin est très réussie avec les paysages miniatures de Liliana Porter et surtout la Belge Edith Dekyndt : elle a accroché un énorme rideau brillant d’aluminium qui se dégradera avec le temps. Derrière celui-ci, dans le noir, un homme pousse inlassablement de la poussière ramassée dans les salles pour la disposer sur un grand rectangle de lumière qui bouge très lentement avec les heures. Une image de l’infini du temps.
Plus d'infos
Quoi : 57e Biennale d’art de Venise
Où : Dans les Giardini, à l’Arsenale et dans toute la ville de Venise
Quand : Jusqu’au 26 novembre. De 10 à 18h. Fermé le lundi
Les pavillons nationaux à ne pas manquer
Parmi les 82 pavillons nationaux, très inégaux, que la plupart des visiteurs parcourent au pas de charge, voici quelques uns à ne pas manquer (en plus du pavillon belge).
Le pavillon américain avec le grand (dans tous les sens du terme) Mark Bradford. Ses peintures abstraites mêlant des cheveux, ses installations/collages évoquent joliment les désordre américain, la critique implicite de Trump, la place d’outsider des rejetés (des immondices devant la façade et on entre par une porte latérale). Mark Bradford, artiste aussi coté que social, a mené en parallèle un long travail avec les prisonniers de la prison de Venise.
Le pavillon japonais est de la poésie pure avec les paysages faits de livres, vêtements et micro-maquettes délicates de Takahiro Iwasaki.
Ne ratez pas le pavillon roumain, avec une artiste merveilleuse qu’on redécouvre seulement aujourd’hui à 91 ans, Geta Bratescu. Un travail subtil et délicat, de dessins, collages et photos abordant le corps et la féminité. Elle sera en septembre au musée des Beaux-Arts de Gand.
Au pavillon autrichien, on retrouve le facétieux Erwin Wurm avec ses sculptures « one minute » où chacun est invité à prendre des poses (et des photos) rigolotes. Devant le pavillon, un immense camion est renversé à la verticale comme si Benoît Brisefer était passé par là.
L’audace des vieux
La pavillon australien est consacré au beau travail de Tracey Moffatt (photographies, vidéos) évoquant les peuples indigènes, les migrations et les droits de l’homme.
Le pavillon canadien ne craint pas l’audace mais reste anecdotique. Goeffrey Farmer l’a entièrement détruit et remplacé par des jets d’eau surgissant des décombres pour arroser les visiteurs (utile si canicule ?).
Au pavillon anglais, une belle surprise avec les sculptures brutes et gigantesques, sortant des murs et plafonds, de Phyllida Barlow qu’on expose seulement aujourd’hui alors qu’elle a déjà 73 ans, mais quelle énergie !
On retrouve dans cette Biennale comme à la Documenta, la grande place faite à la musique et à la performance par l’art contemporain. Avec surtout deux pavillons à ne pas manquer si les performances y ont lieu (elles sont prévues chaque jour de la Biennale. Le pavillon allemand est devenu avec Anne Imhof, grande prêtresse post-punk, une boîte de verre où des performeurs (dont un Belge) s’agitent sous nos pieds, avec une musique tonitruante. Impressionnant.
L’ambiance est plus sereine au pavillon français devenu, avec Xavier Veilhan, un studio d’enregistrement et de concerts ouvert à tous les visiteurs avec déjà une centaine des musiciens inscrits. Si vous avez la chance d’y écouter Brahms au piano, sous l’architecture en bois néo-constructiviste, c’est magique.