Il y a dix ans, Ghislenghien sombrait dans le chaos
Le 30 juillet 2004, peu avant neuf heures, une conduite de gaz à haute pression explose dans le zoning industriel de Ghislenghien. Le bilan est terrible : 24 morts et 132 blessés. Dix ans plus tard, retour sur le drame et ses enseignements. Ghislenghien a-t-il changé les choses?
- Publié le 30-07-2014 à 08h50
- Mis à jour le 01-08-2014 à 12h17
Le 30 juillet 2004, peu avant neuf heures, une conduite de gaz à haute pression explose dans le zoning industriel de Ghislenghien. Le bilan est terrible : 24 morts et 132 blessés. Dix ans plus tard, retour sur le drame avec l'un de ses acteurs importants, le CEO de Fluxys.
Walter Peeraer est le CEO de Fluxys. Une société largement concernée par le drame de Ghislenghien dont il a tiré, pour "La Libre", les leçons.
Avez-vous pris des mesures supplémentaires depuis Ghislenghien ?
La catastrophe est d’abord humaine. Elle a fortement marqué l’entreprise. En 85 ans d’existence de Distrigaz et de Fluxys, c’est une des pages les plus difficiles de notre histoire.
Il y a d’abord les procédures : on ne les a pas changées. Elles étaient bonnes. On ne nous a pas reproché de manquements à ce niveau. Mais on a revu les manières de les appliquer.
Premièrement, la communication avec tous les intervenants a été améliorée. Il y a eu une prise de conscience : la sécurité est l’affaire de tous. Avec les entrepreneurs, un dialogue s’est instauré afin d’améliorer la formation des conducteurs d’engins.
Deuxièmement, on a travaillé avec la protection civile et les pompiers pour les former. On a établi des "fiches gaz" qui délimitent les zones de danger.
La communication se fait aussi avec les riverains. Je remarque que l’on informe beaucoup plus vite notre dispatching quand il y a une odeur de gaz. Nous donnons une réponse à chacun de ces appels.
La technologie a-t-elle évolué ?
Oui. Après Ghislenghien, on a créé le CICC, le point de contact fédéral pour l’information sur les pipelines et les conduites. Il permet aux entrepreneurs d’avoir accès, via une plate-forme Internet, directement avec les impétrants et d’avoir les informations.
Nos hélicoptères volent avec un laser embarqué, ce qui permet de détecter les fuites de gaz, même chez les particuliers. De nouvelles technologies nous permettent en outre de détecter les chocs sur les canalisations.
Y a-t-il plus d’incidents ou d’accidents potentiels ?
La principale cause d’accident vient d'agressions externes qui se produisent souvent lors de travaux non signalés. Mais ces derniers diminuent. C’est une tendance positive.
La nouvelle loi sur le gaz prévoit la création d’un fonds d’indemnisation de 30 millions que Fluxys doit alimenter et qui indemnise, indépendamment de l’imputation des responsabilités, la victime d’un dommage corporel. N’est-ce pas trop lourd pour Fluxys ?
Pour nous, l’indemnisation des victimes, indépendamment de l’issue d’un procès long, est importante. En 2010, Assuralia et le fonds Ghislenghien avaient mis en place un fonds. Une trentaine de victimes seulement avaient fait appel à lui. Nous avions alors vérifié avec nos assureurs si nous ne pouvions mettre en place un mécanisme d’indemnisation rapide avant le procès. Nous sommes intervenus. Nous avons indemnisé 300 victimes, soit quasiment toutes. Nous sommes intervenus pour plus de 40 millions d’euros, dont 30 millions venaient de Fluxys. Notre actionnaire, qui est public, nous a suivi dans cette démarche considérant que nous avons une mission sociale.
La loi ne fait que pérenniser un mécanisme que nous avons mis en place. Et ce fond de 30 millions, nous pouvons le constituer aussi par des mécanismes d’assurances. Nous pensons pouvoir le mettre en place sans augmentation de coûts. Cela ne devrait donc pas peser sur nos résultats. La loi met en place un mécanisme qui permet, en cas d’incident dû aux installations de Fluxys, d’intervenir rapidement et de payer des indemnités correctes sans attendre l’issue d’un procès. Je crois que c’est une avancée remarquable et qui, à ma connaissance, n’existe que pour notre secteur.
Trente personnes ont donc transigé en 2010. Elles avaient reçu très peu. Un arrêt de la cour d’appel leur réserve la possibilité de réexaminer les choses. Les parties civiles vous ont cité, avec Husqvarna. Cela pourrait conduire à une indemnisation de 4 à 8 millions d’euros ? Comment vous positionnerez-vous devant la cour d’appel ?
Une première vague d’indemnisations a permis à des personnes d’être indemnisées par le fonds Ghislenghien. Elles avaient conclu une convention, une transaction avec les assureurs. Pas avec Fluxys. Nous sommes appelés à la cause. Au premier chef, il s’agit d’une discussion avec les assureurs.
Mais ils vous citent…
C’est leur droit. Les indemnités ont été calculées par le Fonds de garantie. Nous n’étions pas partie, ni à la constitution de ce fonds, ni au calcul des indemnités. Je n’ai donc pas de raison, a priori, de considérer que ces indemnités n’ont été mal calculées. Nous sommes cités. L’affaire est devant le tribunal. Ils ont choisi la voie judiciaire. Il faut laisser faire la justice. En tout état de cause, je réserve mon intervention au tribunal.
Il était 8h57...
C’était il y a exactement dix ans, le 30 juillet 2004 mais, pour les victimes de la catastrophe, c’était comme si c’était hier. Cette explosion d’une conduite de gaz haute pression de Fluxys dans le zoning de Ghislenghien, a fait 24 morts et 132 blessés.
L’explosion s’est produite à 8h57 et a surpris les pompiers qui avaient été appelés un peu plus tôt sur place pour une odeur de gaz. Ils installaient alors un périmètre de sécurité. Deux cents personnes se trouvaient sur le zoning au moment du drame.
Les premières informations sont confuses. Il apparaît deux heures après l’explosion que la conduite de Fluxys était en cause.
L’enquête révèle que cette conduite haute pression a été endommagée le 24 juin 2004 par un Bomag, un engin de chantier qui avait ratissé le sol. Il avait été utilisé dans le cadre des travaux d’aménagement de voiries et d’un parking sur le nouveau site construit pour la société Husqvarna (ex-Diamant Boart).
La conduite a alors été sévèrement endommagée. Le 30 juillet 2004, Fluxys utilise cette conduite à capacité maximale. Endommagée, la conduite ne résiste pas aux énormes pressions subies. C’est l’explosion.
L’instruction judiciaire pointera une série de responsabilités qui ont conduit à la catastrophe.
Deux procès-fleuves
Le procès débute devant le tribunal correctionnel de Tournai le 29 mai 2009, soit un peu moins de cinq ans après la catastrophe. Quatorze personnes physiques et morales sont jugées. Le procès s’achève en février 2005. Et, sur le banc des parties civiles, c’est la consternation. Le tribunal condamne trois des quatorze prévenus pour homicides involontaires et acquitte les autres, dont le gestionnaire du réseau de gaz Fluxys et le maître d’ouvrage Husqvarna.
Le parquet fait appel pour tous les prévenus. La cour d’appel de Mons examine le dossier en novembre 2010. Les débats prennent sept semaines. Le jugement est rendu le 28 juin 2011. L’arrêt compte 445 pages. Sa lecture prend une journée. Il est radicalement différent du jugement de Tournai. La cour d’appel a mis au jour une série de manquements dans le chef des intervenants sur le chantier, "un ballet d’éléphants", a relevé la cour d’appel.
A tous les échelons de la construction, celle-ci a relevé des fautes en relation causale directe avec l’explosion du 30 juillet 2004. Fluxys et Husqvarna figurent parmi les condamnés. La cour de cassation, qui rend son arrêt le 14 novembre 2012, ne réforme que très partiellement le jugement.
Mais tout n’est pas dit. Dans son arrêt, la cour d’appel disait qu’elle pourrait se pencher sur le cas des victimes qui ont transigé avec le Fonds Ghislenghien. Cela concerne une trentaine de victimes qui ont peu reçu. Les premiers dossiers ont été présentés à la cour d’appel. Cela pourrait représenter entre 4 et 8 millions d’euros.
Un réseau de 4 000 kilomètres
Canalisations La Belgique est un pays où la densité est très forte. Fluxys a 4 000 kilomètres de canalisation, pour les trois-quarts à haute pression et le reste en moyenne pression. Chaque année, il y a entre 7 000 et 8 000 chantiers à proximité de ces canalisations qui traversent un total de 70 000 parcelles cadastrales.
Permis Depuis la catastrophe de Ghislenghien, Fluxys ne rencontre pas davantage de difficultés pour installer des canalisations. Même si, précise-t-il, on pose davantage de questions. "Ce n’est jamais facile d’installer de nouvelles canalisations. Il faut compter de 3 à 5 ans - et plutôt 5 ans - pour passer à travers le processus de consultation et de permitting", indique le CEO de Fluxys.
Projets Un des gros projets pour Fluxys est la ligne Dunkerque-Zeebrugge pour lequel l’entreprise espère avoir tous les permis d’ici la fin de l’année. Il est inscrit dans les plans de secteurs flamands. La construction est prévue à partir de l’année prochaine. "Comme nous traversons la ligne de front de 1914-18, nous sommes particulièrement attentifs. Des entreprises spécialisées déminent la zone sensible", souligne M. Peeraer.