Tout s'achète et tout se vend... vraiment? (CHRONIQUE)
Peu ou pas rémunérés, ils tracent avec des grains de dévouement les seuls chemins vraiment durables.
- Publié le 25-07-2017 à 16h36
- Mis à jour le 25-07-2017 à 16h37
Une chronique de Myriam Tonus.
Peu ou pas rémunérés, ils tracent avec des grains de dévouement les seuls chemins vraiment durables.
Eh bien voilà, on y est. A force d’énoncer une idée qui n’est au fond qu’une hypothèse parmi d’autres, la voici désormais promue au rang d’évidence existentielle. Car enfin, "tout s’achète et tout se vend" est une option économique certes largement répandue, sorte de dogme intangible qui justifie le fonctionnement de ce qu’on appelle le marché, mais, au final, elle n’a rien d’une "vérité" au sens philosophique du terme. Sauf que la confusion tend à s’installer. L’ex-bourgmestre de Bruxelles trouve parfaitement justifié de toucher chaque mois, en plus de son salaire, davantage que ce dont disposent les SDF dont s’occupe le Samusocial. Tel autre estimait cyniquement qu’à moins de 5000 €, la vie parlementaire risquait de ne tenter que des enseignants (lesquels, il est vrai, ne roulent pas sur l’or, mais on ne comprend toujours pas le raisonnement !). Quant aux CEO (les bons vieux PDG…), leurs émoluments et parachutes dorés se rapprochent, dans l’imaginaire du bon peuple, des richesses de ces rois de contes de fées, qui vivent dans un monde sans rapport avec son quotidien.
Mais c’est qu’ils exercent des responsabilités, voyons ! Je n’en disconviens pas. Gérer le budget d’un Etat, d’une société de chemin de fer ou de la justice, ce n’est pas rien, car c’est le bien commun qui est en jeu. Ceci dit, à ce compte, un ministre devrait être bien mieux rémunéré qu’un PDG de société qui se contente, si je puis dire, d’enrichir des actionnaires privés. Et que dire alors des footballeurs, dont la seule responsabilité est de se faire un nom (en faisant tout de même gagner son équipe) et d’engranger en une semaine ce qu’un travailleur moyen mettra péniblement dix ou vingt ans à obtenir ! Actons donc : tout s’achète et tout se vend - les responsabilités, les compétences, le flair, les muscles, le talent… - mais les critères d’attribution relèvent de choix décidément peu objectifs. Il y a un demi-siècle, mon éminent prof d’agrégation estimait que ce sont les institutrices maternelles qui devraient avoir son salaire d’universitaire : "Leurs responsabilités dans la croissance d’un être humain sont infiniment plus grandes que les miennes", disait-il avec beaucoup de bon sens.
Ça, c’est l’autre versant de ce que certains prennent pour la réalité. Prendre soin d’un tout-petit, d’un ado, d’un malade, d’une personne âgée, d’un prisonnier, d’un réfugié…, c’est ce que font au quotidien, avec des compétences et une générosité sans limites, une multitude d’hommes et de femmes que l’on ose déclarer inaptes à devenir parlementaires et qui perçoivent, sans même se plaindre, un salaire qui ferait, j’imagine, s’esclaffer le premier CEO venu. Je n’oublie pas davantage tous ces indépendants, ouvriers, employés qui nous facilitent vraiment, concrètement la vie quotidienne et qui souvent connaissent des fins de mois difficiles. Tout en gardant le sourire… Eh oui, sans doute, on aime avoir le beurre et l’argent du beurre; mais le sourire de la crémière (ou du garagiste), cela n’a pas de prix. C’est même lui qui fait qu’on a envie de revenir, qu’on se sent mieux, qu’on continue à croire en la vie et les gens.
Deux infos donnent à penser. La première : au Japon - pays hautement technologisé -, on peut s’acheter (parmi d’autres !) une fiancée pour un dîner familial, une famille pour rassurer la fiancée, voire un/une ami-e qui vous accompagnera au cinéma, écoutera vos soucis ou fera les boutiques avec vous. La seconde : il paraît qu’en notre beau petit pays, l’optimisme revient; à preuve : les intentions… de dépenses. Tout est clair : vous êtes bien dans votre peau si vous avez envie de faire des achats; si vous avez le vague à l’âme, la thérapie est identique : achetez de quoi vous ramener à flot ! On aurait envie de rire, si ce n’était à pleurer.
Que dire, alors, de tous ces jeunes qui, en ce temps de vacances où ils pourraient se la couler douce, donnent gratuitement, joyeusement de leur temps pour encadrer des enfants et des ados dans les camps, plaines et autres séjours thématiques ? Eux, ils font partie de la grande "force bénévolique", cette force tellement importante qu’elle méritera bien une prochaine chronique. Mais déjà, réjouissons-nous de ce qu’au milieu d’une forêt peu accueillante où les arbres rivalisent pour savoir qui aura la frondaison la plus haute, des petits poucets tracent des chemins avec des grains de bonté, d’amitié, de dévouement. Ils sont peu ou pas rémunérés, mais cela ne les arrête pas, parce que les chemins qu’ils tracent sont, depuis toujours, les seules traces vraiment durables lorsque les grands arbres disparaissent.