Nos tsunamis à chacun
Dans "Autour du monde", Laurent Mauvignier mêle quatorze destins le jour où le tsunami frappa Fukushima. Des gens en voyage tout autour de la planète.
- Publié le 20-11-2014 à 10h44
- Mis à jour le 24-11-2014 à 09h25
Dans "Autour du monde", Laurent Mauvignier mêle quatorze destins le jour où le tsunami frappa Fukushima. Des gens en voyage tout autour de la planète.Le nouveau roman de Laurent Mauvignier nous emmène "Autour du monde". Comme un tsunami qui submergerait les hommes de tous les continents. Son roman est une suite, sans interruptions, de quatorze nouvelles subtilement mêlées entre elles. Toutes se déroulent le même jour, le 11 mars 2011, celui où Fukushima trembla, le jour où le monde fut stupéfait de la catastrophe au Japon.
Ce jour-là, Guillermo, le Mexicain, faisait l’amour avec Yuko, le jeune Japonaise draguée sur Internet qui avait un tatouage sur la cuisse droite, un serpent pointé vers le sexe et un piercing sur la langue. Mais leurs tremblements amoureux se déroulent au moment même où éclate le tremblement de terre. "Parfois la pointe du piercing blesse la langue de Guillermo mais ce n’est rien, il ne sent que le soubresaut qui remonte de l’intérieur de la terre et fait sauter autour d’eux la théière, les tasses, les bâtons d’encens. Au-dessus tout craque et le toit, la maison entière vacille."
Par la magie de l’écriture, Laurent Mauvignier nous emmène alors aux quatre coins du globe auprès d’hommes et de femmes qui, au même moment, voyagent, sont loin de chez eux et de leurs routines, et vivent aussi, à leur manière, des petits tsunamis émotionnels. Il cite en exergue la phase si juste de Nicolas Bouvier qui disait : "On croit qu’on va faire un voyage, mais bientôt, c’est le voyage qui vous fait, ou vous défait."
La simultanéité du tsunami de Fukushima n’est qu’un prétexte exprimant la mondialisation de l’information. Le tremblement de terre au Japon ne jouera plus de rôle direct dans les histoires suivantes, sauf à apparaître en arrière-fond, sur les écrans de CNN.
Ces quatorze vies emmêlées, séparées l’une de l’autre par une photo, montrent la diversité des hommes, la multiplicité des amours, la singularité de chacun. "C’est ainsi que les hommes vivent", disait Aragon. Comme des mini-romans ébauchés et abandonnés trop tôt, laissant le lecteur sur sa faim.
De ces histoires, chacun retiendra davantage l’une ou l’autre, comme ce safari en Tanzanie par deux couples australiens où Stuart se montre un mâle dominant voulant épater en défiant le lion. Mais dans la nuit noire, il fauche avec sa jeep des enfants sur la route et poursuit son chemin sans s’arrêter. Le macho des salles de marchés n’est qu’un lâche. Ou les retrouvailles sexuelles, à Moscou, d’un ingénieur malaisien avec un collègue russe dont la femme est précisément en train d’accoucher.
Moments émouvants aussi comme l’aventure des deux Italiens, Giorgio et Ernesto, qui n’en peuvent plus d’être veufs et pauvres et se laissent appâter par le mirage d’une salle de jeu à la frontière slovène.
Le monde tourne et les hommes tentent, comme ils le peuvent, de survivre. Si les histoires se passent toutes le 11 mars 2011, chacune a sa profondeur temporelle comme celle, poignante, de Vince et de son frère Mitch. Ils ne se sont plus vus depuis longtemps. Vince rejoint son frère en auto-stop et espère qu’il aura fait le grand roman de ses rêves, mais Vince a depuis longtemps lâché cet objectif et Mitch, lui, est devenu un sale petit raciste. En mer du Nord, un romancier sauve de la noyade un vieux sismologue russe. Dans la Corne de l’Afrique, un couple d’Espagnols en voilier est attaqué par des pirates somaliens.
Chacun a son trajet. Si l’uniformisation de la consommation et de l’information gagne les sept milliards d’hommes, les singularités restent vives. Que sait-on de celles-ci quand tous les écrans sont monopolisés par le tsunami ? Le choix de ce qui fera la "une" cache ces milliers d’événements qui touchent chacun comme des mini-tremblements de terre.
Autour du monde Laurent Mauvignier Editions de Minuit 372 pp., env. 19,50 €