Stéphane Mandelbaum, avoir vingt ans, chercher sa voie…
Décembre 1986. Stéphane Mandelbaum disparaît. Il avait 25 ans. Intrigué par son art comme par sa mort, Gilles Sebhan est parti à sa recherche. Il a interrogé parents, maîtresses, amis, il a beaucoup questionné les œuvres elles-mêmes dans leur insolite brutalité.
- Publié le 24-11-2014 à 09h15
- Mis à jour le 24-11-2014 à 09h25
Qui était Stéphane Mandelbaum, et qui les enfants de Berlin 1930 ?Décembre 1986. Stéphane Mandelbaum disparaît. Il avait 25 ans. Un mois plus tard, son corps est retrouvé dans un terrain vague de la banlieue de Namur. Fils du peintre Arié Mandelbaum, qui fut directeur de l’Ecole des arts d’Uccle, et d’une mère arménienne, petit-fils d’un immigré juif de Pologne, il avait exposé un an plus tôt, à la galerie Colmant de Bruxelles, des dessins et des toiles qui fascinaient par leur technique mais troublaient par leur inpiration. Pourquoi ces visages de Rimbaud, de Pasolini, de Bacon mêlés à ceux de Goebbels, Himmler ou Röhm ? Pourquoi ce grand format où il s’était représenté avec ses deux frères sous la protection d’un Saint-Nicolas à tête de bourreau et à brassard nazi ? Pourquoi toutes ces exhibitions pornographiques mêlées à des images d’Auschwitz ?
Intrigué par son art comme par sa mort, Gilles Sebhan est parti à sa recherche. Il a interrogé parents, maîtresses, amis, il a beaucoup questionné les œuvres elles-mêmes dans leur insolite brutalité. Romancier et auteur d’enquêtes biographiques ("Domodossola ou le suicide de Jean Genet", "Tony Duvert, l’enfant silencieux", parus chez Denoël), Sebhan nous livre aujourd’hui le portrait d’un jeune homme mal dans sa peau comme dans son art.
Né en 1961, se voulant juif bien que ne l’étant pas (sa mère était arménienne), dyslexique définitif donc piètre élève mais qui se rattrapa dans le dessin, hanté par Auschwitz (depuis qu’il a vu le film "La Shoah" de Claude Lanzmann), tombeur de filles (ses amis le décrivent "bandant et sexy"), bientôt en ménage avec une Congolaise, Stéphane finit par hanter la pègre noire de Matonge, un quartier d’Ixelles. Et voilà qu’il se met à participer à des braquages. Et qu’il participe au vol en bande d’un Modigliani pour le compte d’un boutiquier israélien de la Porte de Namur. Le tableau s’avérant un faux, ce dernier ne veut pas payer ce que Mandelbaum estime son dû. Celui-ci le menace de son 7,65. Le commanditaire ordonne son élimination.
Sur cet itinéraire chaotique, Gilles Sebhan nous donne un essai empathique mais distancié par les questionnements de son enquête sur le dévoiement d’un artiste précoce très influencé par le peintre Bacon. Et sans pouvoir répondre, parce qu’il n’y a sans doute pas de réponse, à la question : Stéphane Mandelbaum avait-il un "désir d’être victime" pour s’être jeté dans sa propre mort ? Et de citer le mot du philosophe Adorno : "Toute œuvre d’art est un crime non perpétré".
Autre apprentissage de la vie : le roman qui, tel l’œil d’une caméra, a suivi une bande de jeunes Berlinois en 1930. Ils furent des milliers, au lendemain de la Grande Guerre, à se retrouver à la rue, - orphelins, échappés d’établissements d’assistance publique, en lutte permanente contre la faim, le froid, la maladie, la police. A Berlin, une bande de garçons entre 15 et 20 ans s’est formée qui se considèrent "frères de sang" : tous pour un, pour tous, petits mousquetaires du trottoir, des larcins, des bars, des rixes, des cinémas de nuit (pour passe quelques heures au chaud), de la prostitution (quand "des smokings en manteaux de fourrure" cherchent à obtenir leurs faveurs). Combien d’entre eux se retrouveront-ils dans la SA ou la Wehrmacht ?
L’auteur, Ernst Haffner, a le courage et l’art de s’abstenir de tout jugement moral. Son unique livre, paru en 1932, connut un vif succès, mais fut interdit l’année suivante par les nazis parvenus au pouvoir. Journaliste et travailleur social, Haffner a disparu cette même année 1933 sans laisser de trace. Reste son témoignage, à sa façon un chef-d’œuvre.
Mandelbaum ou le rêve d’Auschwitz Gilles Sebhan Les Impressions nouvelles 160 pp., env. 13 €
Entre frères de sang Ernst Haffner traduit de l’allemand par Corinne Gepner Presses de la Cité 270 pp., env. 20 €