La Cour des comptes très critique pour le budget fédéral

Le rapport souligne le manque criant de moyens alloués à plusieurs départements, la Justice étant particulièrement pointée du doigt. Analyse.

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De tous les départements de l’Etat, c’est la Justice qui est la plus mal lotie. Et de très loin. C’est la Cour des comptes qui le dit, listant, dans un rapport édifiant, le manque de moyens annoncé pour 2015.

Avec des conséquences très concrètes : il sera impossible d’éponger les dettes, d’assurer les dépenses nécessaires, a fortiori de financer des projets nouveaux. « C’est la mort annoncée de la Justice », dénonce Zakia Khattabi (Ecolo). La députée s’inquiète : « Cela souligne clairement les limites de l’exercice consistant à imposer des économies linéaires à tous les départements de l’État. S’il y en a bien un qui méritait une exception, c’était la Justice. Parce que la Justice est en faillite ! Malgré ça, le gouvernement fédéral n’en fait pas une priorité. Politiquement, c’est une faute. Pire, il y a une véritable démission de l’État dans une de ses fonctions régaliennes. »

Koen Geens, invité sur le plateau de la RTBF, dimanche midi, n’a pu que prendre acte du rapport. « La réduction linéaire, c’est la seule méthode de négociation possible dans un budget. Sinon, ce sont des discussions sans fin. Mais, c’est vrai que, comme nouveau ministre, au début d’un gouvernement, on hérite d’un budget sur lequel on n’a pas eu grand-chose à dire. » De fait, le ministre CD&V, salué par l’opposition, lors de son audition, pour l’ambition et la vision de son projet, hérite d’une épure pour le moins difficile. La preuve par quelques éléments, relevés par la Cour des comptes.

Pas assez de moyens pour les magistrats, rien pour BHV. Pas de régime de faveur pour la Justice, soumise dès lors à une réduction globale de 4 % de ses crédits de personnel (moins 53,3 millions). Premiers touchés, les agents (contractuels mais aussi statutaires) des établissements pénitentiaires : le budget 2015 (424,4 millions) est inférieur de 22,8 millions à celui de 2014, alors qu’il manque, cette année, 5,7 millions. Même topo pour les magistrats : le montant inscrit au budget 2015 pour leur rémunération est de 256,5 millions, soit 30 millions de moins que le total des rémunérations versées en 2014. Conclusion de la Cour des comptes : « Il est probable que ce crédit soit insuffisant pour rémunérer les magistrats nommés de l’ordre judiciaire. » Koen Geens, au micro de la RTBF, s’est toutefois engagé à ce que le personnel soit payé. Autre problème : pas le moindre euro n’est prévu, en 2015, pour le recrutement de magistrats à Bruxelles, comme le prévoit pourtant l’accord sur BHV judiciaire, que le Premier ministre veut appliquer. Or, pour cela, il faut 4,5 millions chaque année. Le ministre de la Justice s’est voulu rassurant : « Je vais proposer d’opérer, au sein de mon département, des glissements de budgets, afin de trouver les moyens nécessaires. »

Des dettes impossibles à calculer. C’est sans doute l’un des passages les plus sidérants du rapport : « Au niveau des frais de fonctionnement, le SPF Justice est confronté depuis plusieurs années à un arriéré de paiement structurel. Il n’existe pas de relevé complet des dettes », faute d’une informatisation complète. « C’est effectivement ce qui m’interpelle le plus », concède Koen Geens, qui tentera d’obtenir, cette semaine, une évaluation précise des montants dus. Le SPF en avait déjà dressé une, qui fixe l’endettement à 182,9 millions à la fin de cette année.

Pas assez d’argent pour soutenir les dépenses. Le rapport souligne que le budget sera insuffisant pour honorer les seules dépenses de l’année 2015. Et non des moindres. Extraits de l’inventaire dressé par la Cour des comptes. Pour les frais de fonctionnement généraux des prisons (uniformes, fournitures de bureau, énergie…), le budget 2015 est inférieur aux années précédentes (24 millions, contre 27,5 millions en 2013), alors que les dettes s’élèvent déjà à 15,7 millions. Pour le service médical en prison, le budget est en baisse (12 millions au lieu de 13,8) et les dettes sont déjà de 6,8 millions. Pour les frais médicaux pour les détenus, le budget 2015 (7,9 millions) est inférieur au montant consommé sur 10,5 mois en 2014 (8,3 millions) et les dettes sont ici de… 42,6 millions.

Au niveau des frais de justice, le département reporte, chaque année, des factures impayées à l’année suivante. Fin 2014, l’arriéré est estimé à 88,2 millions, alors que le budget 2015 est de 71,2 millions. Dernier exemple de sous-financement : les prisons de Marche, Beveren et Leuze ont été construites via un partenariat avec le privé. Le contrat prévoit des rémunérations annuelles pour le constructeur : 13,1 millions, le budget n’en prévoit que 10,5. « Insuffisant », conclut la Cour des comptes.

Koen Geens a promis des solutions le 2 décembre, en commission Justice de la Chambre.

La recherche nucléaire au pain sec ?

C’est l’accord du nouveau gouvernement Michel qui le dit : dans les cinq prochaines années, on va non seulement prolonger des réacteurs nucléaires, mais aussi encourager la recherche « dans les domaines de la sûreté nucléaire et de l’information du citoyen, de l’environnement et des infrastructures nucléaires sur le territoire belge ». On va également soutenir plusieurs projets de recherche au Centre d’études nucléaires (CEN), notamment le projet Myrrha, un réacteur expérimental refroidi au plomb-bismuth sur lequel on espère mettre au point la transmutation des déchets radioactifs permettant de réduire considérablement leur durée de vie.

Seul hic, le projet de budget 2015 ne reflète pas ces ambitions, juge la Cour des comptes. La quasi-totalité des postes de financement de la recherche nucléaire sont revus à la baisse. Subventions au CEN : – 32,9 %. Cotisation de la Belgique au Cern (Centre européen de recherche nucléaire) : – 4 %. Subventions à l’Institut des radioéléments (IRE) où l’on produit des radio-isotopes à usage médical : – 83,4 %.

Le projet Myrrha est aussi touché par les économies. La Cour des comptes relève ainsi « la suppression des subventions visant à soutenir la phase d’étude du projet (– 9,4 millions d’euros) et des subventions pour les investissements relatifs à la protection physique du CEN et de l’IRE (– 4,5 millions d’euros) ». Le projet, dont la phase d’étude accuse deux ans de retard, a déjà reçu un soutien de 60 millions d’euros entre 2010 et 2014. Il n’est pas prévu qu’il en reçoive davantage. Pas sûr cependant qu’on s’en tiendra là. Lors de sa récente audition devant le Parlement, la ministre de l’Energie, Marie-Christine Marghem (MR) a indiqué qu’elle attend « un rapport d’évaluation finale » du projet Myrrha dont la période d’essai a déjà été prolongée une première fois. Elle a confirmé la volonté de « soutenir progressivement Myrrha » tout en insistant sur la distinction entre « la phase d’étude et la phase de construction ». La préparation de cette dernière, précise le projet de budget 2015, nécessitera un « engagement budgétaire ». Il est prévu que l’Etat subventionne la phase d’adjudication et de construction à hauteur de 40 %. Marghem avait néanmoins précisé devant les députés qu’il faudra que Myrrha « prouve sa fiabilité ».

Wallonie : budget 2015 mal fichu, budget déjà à moitié foutu

Les députés wallons entament ce lundi l’examen de l’ajustement budgétaire pour 2014 et le budget initial 2015. Celui-ci retient l’attention : il est le premier d’un cycle qui doit conduire les finances régionales à l’équilibre en 2018. Les économies à réaliser d’ici là sont estimées à 1,1 milliard, dont 650 millions pour 2015 déjà. C’est évidemment colossal. Le gouvernement PS-CDH a beau souligner qu’il épargne le pouvoir d’achat et qu’il s’est refusé à augmenter la fiscalité, il peine à convaincre.

De mesures en mesures, l’opposition politique MR et Ecolo a été rejointe dans la critique par le monde économique dont le secteur de la construction, le non-marchand, les milieux associatifs et par les organisations syndicales qui ont pourtant fort à faire avec l’exécutif fédéral.

Une cocasserie parmi d'autres : 2 millions de différence entre ce que la Région doit donner à l'Office wallon des déchets et ce que celui-ci compte recevoir. D.R.

Ce lundi, les députés entendront les observations formulées par la Cour des comptes. En Wallonie, celle-ci met l’accent sur la forme plutôt que sur le fond. Le budget 2015 tient-il la route en regard des normes en la matière ? S’inscrit-il dans le prescrit européen ? Les dispositifs envisagés sont-ils légaux ? Le panorama dressé est du genre sévère…

1 Comptabilités incompatibles. Les principales questions portent sur « la conformité du budget 2015 de la Région wallonne au nouveau cadre européen ». Les normes comptables SEC 2010 imposent une refonte en profondeur du périmètre de l’action publique régionale ce qui a forcément un impact considérable sur le calcul du solde net de financement et de la dette.

C’est la hantise de l’exécutif régional et de l’administration : où commence et où finit l’action du gouvernement alors qu’en un an, le périmètre de consolidation de la Wallonie est passé de 44 à… 164 institutions ?

Il y a un côté « bouteille à l’encre » dans cette évolution qui se vit en direct. La Cour constate elle-même qu’elle ne contrôle pas toutes les institutions concernées et qu’elle éprouve beaucoup de mal à y voir clair. Mais quand la lumière vient, le résultat est souvent surprenant : « Le total des discordances relevées par la Cour des comptes entre les projets de budget des institutions publiques et les soldes SEC pris en compte par le gouvernement s’élève à 4,9 millions d’euros. »

Conclusion claire de la Cour : « Une comptabilisation cohérente des opérations devrait être assurée au sein du périmètre de consolidation de la Région. La Cour souligne l’intérêt d’adopter rapidement le décret portant réforme de la comptabilité des organismes autonomes administratifs afin d’uniformiser la comptabilisation de ce type d’opérations et de faciliter la consolidation des comptes. La situation actuelle comporte en effet des risques de comptabilisation différente (…) »

2 Cavalier budgétaire. Autre critique formulée dans le rapport : le recours régulier au « cavalier budgétaire ». En clair : le gouvernement choisit pour des questions de facilité et de rapidité d’inscrire une ligne au budget alors qu’une modification décrétale s’imposerait.

Pour la Cour, une telle manœuvre « n’est pas orthodoxe d’un point de vue légistique ».

Cette fois, le gouvernement enfourche ce dispositif pour faire passer une des mesures phares de son plan d’économies : la réduction de 7 % des subventions fixées par décret au profit d’acteurs de terrain. Ce rabotage doit rapporter 32 millions d’euros.

La Cour des comptes estime le procédé… cavalier et soulève la question de sa sécurité juridique. Même chose au passage pour la réduction de la déductibilité fiscale des titres-services : « La pratique qui consiste à modifier une législation organique par le recours à la technique du cavalier budgétaire n’est pas adéquate et que de telles modifications devraient être opérées en vertu des procédures décrétales normales. »

3 Rendez-vous à l’ajustement. Des contours comptables imprécis ou des dispositifs attaquables avant d’être nés : tout cela donne l’impression d’un exercice budgétaire d’emblée bancal.

Sans compter que la Cour des comptes relève d’entrée de jeu que le retour à l’équilibre à l’échéance 2018 doit encore faire l’objet de discussions au sein du comité de concertation fédéralfédérés.

Du coup, « tant la fixation de la trajectoire que la répartition des objectifs individuels entre les différents niveaux de pouvoirs ne sont pas définitives ». On serait tenté de dire de même du budget défendu cette semaine par la coalition PS-CDH. On risque d’en reparler au printemps. Avec d’autres économies en prime ?

Bruxelles : quelques remarques, sans plus

Le ton du rapport de la Cour des comptes sur le budget bruxellois est radicalement différent de celui utilisé pour commenter l’épure fédérale. Plus descriptif que critique, le document épingle, malgré tout quelques petits couacs, qui semblent dérisoires par rapport aux manquements fédéraux.

Parmi les éléments pointés, le fait que la Cour « n’a reçu aucune information pertinente sur l’estimation et le contexte » d’une recette nouvelle : la vente de certificats verts de l’incinérateur de Bruxelles-Propreté. Laquelle doit, en 2015, rapporter 10 millions à la Région.

Autre nouvelle taxe, celle sur les antennes GSM, à charge des opérateurs de téléphonie. Rendement escompté : 10 millions aussi. La taxe est de 8.000 euros par site (il y a actuellement 1.400 sites, sur la base des permis d’environnement accordés).

La Cour des comptes s’étonne encore que la Région escompte 35 millions de plus que ne le prévoit le SPF Finances, pour les droits d’enregistrement sur la vente de biens immeubles. Explication : le gouvernement bruxellois entend lutter contre l’évasion fiscale en la matière…

Autre point d’interrogation placé par la Cour des comptes : le budget de l’Agence régionale pour la propreté. Outre la problématique des certificats verts déjà évoquée, le rapport remarque que « les estimations de recettes propres relatives à l’enlèvement d’ordures non ménagères et industrielles, à la vente de vapeur, aux redevances payées par les entreprises pour le déversement à l’usine d’incinération ou encore les interventions du secteur privé pour les collectes sélectives sont maintenues au même niveau qu’en 2014, malgré un faible taux de réalisation de ces recettes en 2014 ».

Hormis ces éléments ponctuels, la Cour des comptes relève enfin que les documents budgétaires bruxellois « ne sont pas totalement conformes » aux prescrits. Ainsi, le budget aurait dû être consolidé avec les budgets de soixante unités ; seules cinq d’entre elles ont été intégrées dans le périmètre régional.

 

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