Vers un dépistage plus personnalisé du cancer du sein ?
- Publié le 25-05-2017 à 08h40
- Mis à jour le 25-05-2017 à 08h44
Instauré en 2001 en Belgique, le schéma de dépistage de masse du cancer du sein est-il encore adapté aux connaissances et outils actuels? Une approche plus personnalisée tenant compte des facteurs de risque individuels est à l'étude. Il faudrait la tester pour pouvoir comparer.
Le programme de dépistage systématique du cancer du sein tel qu’il a été instauré en Belgique par le fédéral en 2001 a-t-il vécu ? Est-il toujours d’actualité ou clairement dépassé vu l’évolution des connaissances depuis lors ? Le débat n’est pas neuf.
"On ne peut pas vraiment affirmer que le schéma de dépistage du cancer du sein n’est plus adapté aux connaissances et aux outils actuels, car avant de changer de stratégie, il faudra d’abord en tester une autre, nous dit le Dr Jean-Benoît Burrion, Chef de la clinique du dépistage de l’Institut Jules Bordet depuis août 2016, mais on peut dire qu’il est questionnable et qu’il doit évoluer. Comme dans beaucoup de domaines scientifiques, et en particulier en oncologie, tout évolue en effet très vite, y compris dans le domaine des outils de prévention. Certaines approches n’ont pas encore été testées mais s’annoncent prometteuses."
Pour ce qui est du dépistage de masse, il existe deux groupes de cancers : ceux pour lesquels le dépistage ne présente pas d’inconvénients, en l’occurrence ceux du côlon et du col de l’utérus. Dans ces deux cas, on ne cherche pas des cancers mais des lésions précancéreuses, alors que le cancer n’est pas encore installé. "Dans ces dépistages, la question du surdiagnostic, c’est-à-dire le fait de trouver un cancer qui n’aurait jamais posé de problème, ne se pose pas", nous explique le spécialiste.
Pour les cancers du sein et de la prostate, en revanche, le problème est différent. "En ce qui concerne le cancer du sein, il y a en réalité deux problèmes, poursuit le Dr Burrion. Le premier est celui du surdiagnostic. Cela signifie que lorsque l’on fait des dépistages systématiques, on détecte des lésions ou des tumeurs que l’on traite alors qu’elles n’auraient peut-être posé aucun problème par la suite chez la patiente si elle n’avait pas été traitée. C’est en effet le cas d’une grande partie des cancers in situ. Le second problème est celui des cancers d’intervalle. Cela signifie que dans le programme mis sur pied, il y a quand même un quart des cancers qui passent à travers les mailles du filet. Tout cela est donc loin d’être parfait. Ces programmes présentent certainement des avantages mais aussi plus d’inconvénients qu’on le pensait lorsque ces programmes ont été mis en place il y a une quinzaine ou une vingtaine d’années."
Tenir compte des facteurs de risque
Pour le chef de la Clinique du dépistage de l’Institut Bordet, "le raisonnement tombe sous le sens". Il consiste à se dire au niveau du cancer du sein, qu’il est un peu absurde de proposer à toutes les femmes la même stratégie de dépistage sans tenir compte des risques individuels. Le seul risque dont on tient compte aujourd’hui dans le dépistage de masse est l’âge puisque l’on a défini une tranche allant de 50 à 69 ans en Belgique, pour laquelle la fréquence du cancer du sein est plus élevée.
"Or, il existe toute une série d’autres risques qui, s’ils étaient pris en compte, pourraient peut-être dans une certaine mesure réduire les inconvénients du dépistage tel qu’il est aujourd’hui organisé", fait remarquer le médecin.
Si ce débat n’est pas nouveau, il commence à déboucher sur des modalités pratiques qui ont été étudiées sur des petits groupes de femmes, notamment à Manchester. "Aujourd’hui, on pense que cela devrait être testé dans le cadre d’études cliniques sur un nombre de femmes beaucoup plus grand. Cela fait effectivement l’objet d’un protocole d’étude clinique au niveau européen. L’idée est de tester un système qui tient compte du risque et le comparer avec le système actuel qui n’en tient pas compte et voir si, à terme, on obtient plus d’effets en termes de diminution de la mortalité et de la fréquence des cancers avancés."
En quoi consisterait le nouveau schéma de dépistage
En pratique, l’idée est de dire : si l’on prend en compte trois facteurs de risque qui sont connus, identifiés, établis et combinés ensemble, on peut établir quatre catégories de risques : faibles (0,8 % de risques de développer un cancer dans les cinq ans), moyens (1,4 %), modérés et élevés (2,3 %).
Le premier grand facteur de risque est lié aux antécédents familiaux. Sans que l’on puisse identifier de mutations génétiques particulières, on sait que lorsqu’il y a plus de cancers du sein dans une famille au premier degré, le risque s’avère plus important.
Le deuxième grand facteur de risque est la densité mammaire. Les femmes ayant des seins plus denses, c’est-à-dire ayant dans leur constitution davantage de tissu glandulaire que de tissu graisseux, ont aussi un risque plus élevé de développer un cancer.
Le troisième facteur de risque est d’ordre génétique. On a identifié environ 200 micro-différences au niveau du code génétique. Ces micro-caractéristiques (Single Nucleotide Polymorphisms) semblent associées avec la fréquence du cancer du sein.
Des stratégies différentes selon le groupe
"Pour chacun des groupes de risque, on peut proposer une stratégie de dépistage différente, c’est-à-dire qui est adaptée au niveau de risque", précise encore le Dr Burrion.
Pour le groupe à risque réduit, on pourrait à la limite ne rien proposer si ce n’est un auto-examen régulier des seins, et en tout cas pas d’imagerie. Car dans ce groupe à faible risque, on se dit que le risque de surdiagnostic est beaucoup plus important. Chez ces femmes, on a en effet plus de chances de tomber sur des tumeurs qui ne sont pas problématiques et donc les faire entrer dans un circuit de traitement qui leur porterait préjudice.
Pour le groupe à risque moyen, on proposerait ce qui est aujourd’hui prévu, c’est-à-dire une mammographie tous les deux ans.
En ce qui concerne le groupe à risque modéré, on pourrait proposer un suivi mammographique mais avec une imagerie complémentaire, en l’occurrence une échographie tous les deux ans, voire annuellement.
Enfin, le groupe à haut risque bénéficierait d’un suivi beaucoup plus rapproché, en ajoutant une troisième modalité d’imagerie qui est la résonance magnétique.
Un modèle à tester puis à comparer
"C’est en effet un schéma de ce type qui pourrait être proposé, poursuit le spécialiste. L’étude en question suggère de tester cette stratégie et la comparer à la stratégie actuelle. Et ainsi voir si, effectivement, on diminue le problème du surdiagnostics et des cancers d’intervalle."
Une étude similaire a déjà commencé à l’Université de San Francisco. Et si cela se réalise en Europe, ce sera conjointement à l’étude américaine afin de pouvoir joindre les données. A l’heure actuelle, un protocole a été présenté à la Commission européenne pour le financement de cette étude. Si elle devait être menée, ce serait courant de l’année 2018.
"Je suis favorable à cette approche plus personnalisée, conclut le Dr Jean-Benoît Burrion, car, avec ce que l’on sait actuellement des problèmes causés par la stratégie de masse telle qu’elle est appliquée, on ne peut plus se contenter de ce que l’on fait actuellement. Il faut pouvoir proposer un meilleur modèle, plus efficace et qui présenterait moins d’inconvénients pour les patientes. Plus on avance dans les connaissances et plus on est à même de mieux identifier et cerner les risques en oncologie. Et donc plus on peut proposer des outils adaptés. Les problèmes qui viennent se greffer derrière sont plus d’ordre psychologique, sociologie et éthique. Car se pose évidemment le problème de savoir si les gens sont intéressés de connaître leur risque et capables de vivre avec cette connaissance de leur risque."Laurence Dardenne
Contexte
L’association "Les Amis du nouvel institut Bordet", qui soutient la construction des laboratoires de recherche du nouvel institut Bordet, en cours de construction sur le site d’Anderlecht, célébrera jeudi 1er juin le treizième anniversaire des "101 Tables pour la vie".
Le concept des "101 Tables pour la vie" consiste en une grande chaîne de solidarité créée, le temps d’un soir, par une quarantaine de grands chefs bruxellois qui mettent leur talent au service de la recherche contre le cancer. Comment ? En offrant chacun une table de dix couverts que l’ASBL propose à de généreux mécènes. Des couverts individuels sont également proposés à Tour & Taxis.
Pour les patients hospitalisés à l’institut Bordet, Yves Mattagne, Pascal De Valkeneer et Ghislaine Arabian prépareront 140 repas festifs, élaborés en collaboration avec les médecins nutritionnistes et les diététiciennes de l’hôpital. L’entrée de ces grands chefs dans les chambres est chaque fois accueillie par les malades avec une joie manifeste.
Brigitte Fossey sera la marraine de cette treizième édition. Elle succède notamment à Julien Lapraille, le candidat belge de l’émission "Top Chef" en 2014, le réalisateur Jaco Van Dormael, l’écrivain Eric-Emmanuel Schmitt ou encore la comédienne Véronique Jannot.
Plus d’infos : www.101tables.com