La musique, la troisième voix d’un film

Frédéric Leibovitz donne les clés pour apprécier l’illustration musicale. Entretien.

Virginie Roussel, à La Rochelle
La musique, la troisième voix d’un film

Frédéric Leibovitz, un demi-siècle de carrière musicale. A son palmarès, l’édition du fameux titre "J’ai encore rêvé d’elle" du groupe Il était une fois et la production de "Words", le tube des années 80 de F.R. David.

C’est à l’illustration musicale que le fondateur et directeur de Cézame aime désormais se consacrer : reportages de "Thalassa", d’"Envoyé spécial", d’"Echappées belles" sur France Télévisions, sujets des "Jardins et Loisirs", d’"On n’est pas des pigeons" sur la RTBF…

Rencontre au Sunny Side, le marché international du documentaire, à La Rochelle.

Comment écrire et enregistrer une musique pour l’image ?

De deux manières. Soit vous créez une musique selon les directives d’un réalisateur ou d’un producteur, c’est ce qu’on appelle "la musique originale". Soit vous prenez des musiques qui existent déjà dans l’intention d’être un jour synchronisées à des images à venir. C’est le métier d’illustrateur musical. La RTBF les appelle les décorateurs sonores, ce qui est très beau.

Illustrer musicalement un documentaire, c’est…

Un champ de création à part entière, une liberté ! Alors que les musiques de talk-show sont très stéréotypées. Elles doivent être très positives, très rythmées, un peu clinquantes pour rappeler que c’est l’heure de regarder un générique. C’est un peu comme le cri des marchands au Moyen Age, celui du vitrier, du rémouleur… Chacun lançait le sien pour prévenir qu’il était là. C’était une sorte de mélodie.

Comment reconnaître une bonne musique de film ?

C’est une troisième voix, qui va accompagner une image, un texte et constituer l’œuvre audiovisuelle. C’est une musique qui arrive au bon moment, qui vous apporte ce sentiment en plus qui vous fera frissonner, qui vous fait mieux comprendre l’intention du réalisateur. Sur un document historique, vous pouvez avoir une image du IIIe Reich et une marche militaire jouée de façon disgracieuse ou comique en contrepoint du texte pour souligner son ironie.

Les images possèdent-elles leur propre musique ?

Si vous prêtez attention à la série "Desperate Housewives", vous remarquerez qu’elle utilise les pizzicati, des cordes de violons pincées, sous forme de gimmick, comme un tic. Elle reprend et imite les standards des comédies françaises ou américaines d’il y a 50 ans. Si une personne n’est pas musicienne, elle va reconnaître ce genre de musique et donc l’associer à ces comédies. La culture de l’image a imprimé en nous des réactions. Le concerto n° 2 de Rachmaninov au générique de l’émission de Bernard Pivot devient synonyme de littérature. Le solo de guitare de Ry Cooder dans "Paris Texas" faire ressurgir l’image d’un beau désert américain. C’est une référence qui s’est gravée en nous, une juxtaposition qui culturellement a créé une sorte de lieu commun. Même chose pour la musique des journaux télévisés, toujours dans l’urgence, qui imite les téléscripteurs.

Pour un reportage sur le monde rural aux Etats-Unis, quelle musique choisiriez-vous ?

Pour faire comprendre que nous sommes dans le monde rural blanc, ce sera de la country western et dans le monde rural noir, un blues. Si vous faites une musique pour la ville, ce sera plutôt du funk, de la soul ou un rock plus sombre.

Quelle trouvaille musicale vous a-t-elle rendu heureux ?

J’ai eu l’occasion d’éditer les musiques de Bernard Parmegiani, qui a mené des expérimentations au GRM, le Groupe de recherche musicale de Radio France. Il faisait partie de ces compositeurs dont l’approche était réputée très difficile. C’est pourtant une musique très utile, car elle apparaît comme une nouveauté. La satisfaction, c’est aller chercher quelque chose de très profond, de très improbable, que l’on aime et de le proposer à des professionnels de l’audiovisuel pour qu’ils vous disent : j’aime aussi.

Un mot, une musique

En tapant "guerre" dans le moteur de recherche du site www.cezame-fle.com, 1 004 résultats apparaissent. Parmi eux, le titre "Show Down"
 de Denis Levaillant, accompagné d’une description - "Agressif et effrayant; Percussions intermittentes et électroniques" - et de cinq mots clés : "guerre, suspense, angoissant, dépouillé, grondant" . En tapant "élégance", la célèbre symphonie en fa majeur de Johannes Brahms apparaît, parmi 30 résultats, décrite en ces termes : "Charmant et indolent. Orchestre symphonique" . "Joie" donne 4 314 morceaux, dont "Paoubap" de Vincent Lepoivre, décrit comme "swing, relax et insouciant. Voix d’homme scatée, piano, guitare jazz et batterie" , avec les mots clés "bêtisier, gai et joyeux, amusant, bricolage, catchy" .

Cezame Music Agency propose un catalogue de labels et de compositeurs - capables de créer de la musique originale pour l’illustration de films, de publicités, de documentaires… - par mots clés et par thèmes : art, corporate, faits de société, histoire et patrimoine, loisirs et divertissements, mode, sciences et technologies, sports… TF1 a d’ailleurs adopté cet outil de recherche. "Le premier groupe de télévision en Europe a lancé son site de production Kaptain Music en faisant appel à la technologie développée par Cezame Music Agency en matière de moteur de recherche" , rappelle Frédéric Leibovitz.

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