Plongez en 3D dans les rêves de Pietragalla
Après une nouvelle tournée à travers France, le spectacle créé en 2013 par Marie-Claude Pietragalla et Julien Derouault revient en Belgique ce vendredi, le temps de trois soirées, pour embarquer les amateurs de liberté dans un spectacle "M & Mme Rêve" qui intègre la danse dans un décor en 3D sur la musique électronique de Laurent Garnier.
- Publié le 27-02-2015 à 11h24
- Mis à jour le 27-02-2015 à 12h13
Qui n'a jamais rêvé de s'échapper? D'effacer la frontière entre réalité et vie fantasmée pour laisser libre cour à ses propres désirs et se débarrasser des contraintes qui les briment. Étouffés par le carcan qui leur a été imposé par leur auteur, "M & Mme Rêve", deux personnages d'Eugène Ionesco, décident de réécrire leur parcours pour se frotter au réel et traverser le temps en quête d'une autre histoire. Après une nouvelle tournée à travers France, le spectacle créé en 2013 par Marie-Claude Pietragalla et Julien Derouault revient en Belgique ce vendredi, le temps de trois soirées, pour embarquer les amateurs de liberté dans un spectacle grandiloquent qui intègre la danse dans un décor en 3D sur la musique électronique de Laurent Garnier.
Pourquoi avoir décidé de mélanger danse, décors virtuels et musique électronique?
Marie-Claude Pietragalla: L'idée initiale était de créer une histoire inspirée librement du théâtre insolite d'Eugène ionesco et de retransmettre ses idées un peu surréaliste. "M & Mme Rêve" suit le parcours de deux personnages orphelins de l'auteur qui décident de tracer leur propre chemin, de revisiter les saisons de leur vie en y apportant une poésie, un regard différent, tour à tour romantique, fantasque, drôle et dramatique. Le rêve est omniprésent dans l'œuvre de Ionesco. Il emmène le spectateur dans des choses complètement folles qui ont pu prendre une dimension incroyablement réaliste avec les décors en 3D. De brouiller encore davantage les frontières entre l'imaginaire et la réalité.
La chorégraphie a-t-elle dû être pensée différemment pour s'intégrer dans ce visuel omniprésent ?
Julien Derouault: On a commencé par mettre au point la chorégraphie pour que les dessinateurs sachent exactement où nos corps allaient se trouver avant de travailler sur l'univers virtuel. Les choses se sont passées relativement facilement parce que la 3D a été intégrée dès le début et nous a permis à nous, chorégraphes, de rendre visible l'imaginaire liée à cette chorégraphie. Dans un spectacle traditionnel, si j'avais voulu faire croire que je lévitais dans le cosmos, j'aurais utilisé mon corps pour le signifier. Avec la 3D, j'y suis déjà, les gens le voient, et je peux faire totalement autre chose. Mettre un jeu comique sur un texte dramatique, par exemple, ce qui correspond bien à l'œuvre de Ionesco qui était fasciné par ces contraires. Plus besoin de faire semblant de flotter, et plus besoin d'y croire, parce que L'œil est complètement berné par les effets visuels. Celui du public, mais le nôtre aussi puisque nous sommes à ce point immergés dans l'image que l'on croit vraiment au lieu dans lequel on danse.
Dans votre spectacle comme dans l'œuvre de Ionesco, le rêve semble intimement lié à la fuite.
J.Derouault: C'est vrai, d'ailleurs nos personnages courent beaucoup, ils fuient sans arrêt alors que le temps passe. Ionesco explique toujours qu'il a eu une grosse dépression vers les 8-10 ans lorsqu'il a compris qu'un jour, il allait mourir. Il ne cesse de se questionner dans son oeuvre sur l'existence de quelque chose de plus grand, d'une raison qui muerait l'être humain, et il est fasciné par les êtres qui se battent contre la masse. Ceux qui vont dire "non" et assumer leur différence. Les deux pantins que l'on représente pendant 1h30 inventent leur vie, les gens se mettent à y croire alors que tout est faux et cela rejoint l'idée chère à Ionesco selon laquelle "tout ce qui nous entoure n'est qu'une illusion. C'est le rêve qui crée la réalité, et l'être humain est capable par son rêve, de s'échapper et d'inventer sa vie.
Vous dansez essentiellement sur la musique électronique composée par Laurent Garnier. Dans quelle mesure le tempo de la techno a-t-il influencé vos mouvements?
M-C Pietragalla: On a commencé par travailler sur une autre musique que celle de Laurent en sachant très bien qu'il serait chargé de la création musicale. Tout était donc déjà là quand il est arrivé. Il a vu les rythmes, l'image, et il a travaillé sur ce spectacle comme on compose une bande originale de film.
J. Derouault: C'est un musicien curieux, très intelligent, qui aime la musique des autres, et qui, en tant que DJ, a l'habitude de faire danser les gens. La collaboration s'est donc passée très naturellement. Son parcours lui a donné une très grande connaissance de la musique, parfois très éloignée de la techno. Quand on lui a expliqué qu'on allait danser sur du Mozart avant lui et du Kronos Quartet après lui, il a vraiment tenté de comprendre quel était le lien entre les deux et de gérer sa place. C'est vraiment du 'sur-mesure'.
Les coupes budgétaires dans la culture posent désormais la question de son rôle. Quel est votre avis sur le sujet? A quoi ça sert un spectacle comme le vôtre?
M-C Pietragalla: La culture, c'est la proposition d'un autre monde. Il y a plein de mondes possibles, nous ne sommes pas obligés d'adhérer et d'être toujours confrontés au même. La mondialisation a beaucoup d'aspects positifs mais uniformise les choses, et cette uniformité s'installe. Pour les artistes, quels qu'ils soient, il y a d'autres choses à proposer.
J. Derouault: Qu'est-ce qui reste de nos civilisations au final ? Les dessins, la production. C'est ça qui donne la mentalité de la société face à laquelle on se trouve. Ca peut paraître un peu loufoque, mais je me dis toujours: 'Si les extraterrestres arrivaient, qu'est-ce qu'on leur montrerait?" Moi je leur ferais écouter le sacre du printemps de Stravinsky, je leur montrerais un beau Matisse et de la chorégraphie, et je leur dirais: voilà ce que l'être humain sait faire. Je ne leur dirais pas qu'on a une croissance à 0,5%, qu'est-ce qu'ils en ont à faire?