Faire le tour du monde à coups de pédales

Orianne, Quentin et Mélik ont entre 23 et 28 ans. Ils font, ont fait, ou vont faire un voyage particulièrement long. Echantillon d’une jeunesse qui parcourt le monde à vélo.

Journaliste au service Société Temps de lecture: 7 min

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Depuis trois mois, Quentin voyage, seul, à travers l’Europe

La connexion internet n’est pas très bonne à l’auberge de jeunesse où Quentin est descendu, à Sarajevo. Mais après deux tentatives d’appel sur Skype, il apparaît dans un décor un peu glauque : des murs entre le blanc et le gris, un éclairage au néon, un quidam qui passe en arrière-plan. Quentin Pichon, 27 ans, français, journaliste de formation, est arrivé la veille à Sarajevo, après « une étape tranquille ».

Il est parti le 19 avril de Lyon, pour au moins cinq mois de voyage. Il va rouler jusqu’à Istanbul, au minimum. Peut-être jusqu’à Téhéran. Il le sent bien : en trois mois, il n’a eu « aucune tuile ».

C’est qu’il est bien équipé. Il y a parmi les cyclistes, explique-t-il, un débat sur la façon de transporter les bagages : des sacoches ou une petite remorque. Il a choisi la remorque. L’ensemble pèse 50 kilos.

En trois mois, Quentin a traversé une bonne vingtaine de pays européens et un petit bout de la Russie (voir carte), pour une moyenne de 120 kilomètres par jour.

Jusqu’à présent, il se tient à la route prévue. Par contre, l’une de ses idées de départ a pris l’eau… Initialement, il avait prévu de relier des villes jumelées, et d’apporter un colis préparé par une ville à sa ville jumelle. Mais les communes contactées n’étaient pas vraiment intéressées… Le projet s’est limité maintenant aux chroniques de Quentin, compilées sur un blog. Il fait aussi des photos, en argentique, et espère se faire repérer avec ce projet. Ce qui ne semble pas évident… « C’est assez décourageant, je n’ai quasiment aucun retour. Peu de visites sur le blog… Certains jours, je me demande : “Pourquoi suis-je en train de faire ce que je fais ?” Au final, je me dis que je le fais pour moi. »

En conséquence, Quentin n’a aucune rentrée financière. Pour le moment, il vit grâce aux versements du chômage. Mais dans un mois, ce sera terminé. D’où l’importance pour lui d’arriver à Istanbul : s’y arrêter un peu et y décrocher un job.

Si ce projet de voyage lui semble relativement banal (« mes parents l’ont fait dans les années 80 »), Quentin n’en tire pas moins une profonde satisfaction. « C’est un voyage intérieur, l’occasion de faire le point sur soi. Je lâche prise. C’est un sentiment de liberté incroyable. » Ce qui lui manque le plus ? Cuisiner ! « En camping, il n’y a pas beaucoup d’options. » Au nord de l’Europe, c’était particulièrement pénible, raconte-t-il. Mais depuis qu’il fait route vers le Sud, les choses s’améliorent : « Les légumes commencent à avoir du goût. »

https://www.colonnes-europe.eu/

 

Polyglottes

En treize mois, Quentin, Mélik et Yvan ont traversé 36 pays différents

Ils n’ont pas perdu leur bonne habitude : sept mois après le retour de leur tour du monde à vélo, Quentin et Mélik sont arrivés à notre rendez-vous en pédalant. Mélik portait même un t-shirt avec un kangourou cycliste. On ne se refait pas… « Et on parle de notre voyage comme si on était rentrés hier ! », lance Quentin. Effectivement, les anecdotes fusent. Celle du jour où, arrivés à une jonction au milieu d’un désert, en Amérique du Sud, ils ont attendu des heures à côté de leurs vélos qu’une voiture passe et leur indique la direction à prendre. Celle de la nuit où ils ont dormi chez un Slovène d’extrême droite. « Une seule nuit en Slovénie et on tombe chez lui ! » Celle… A la pelle, les souvenirs. Quentin Jossen (28 ans), Mélik Khiari (29) et Yvan Paquot (28) sont trois Bruxellois. Ils se sont rencontrés à l’ULB, à l’école polytechnique. Potes, colocataires, puis collègues, ils ont envisagé ce voyage pendant longtemps. Puis en 2009, ils se décident : le départ est fixé en octobre 2013, le retour prévu un an plus tard. L’idée est de loger chez l’habitant, de rencontrer un maximum de cultures et de privilégier les langues locales.

Finalement, le trio partira treize mois, avec un kilométrage revu à la baisse. « On voulait traverser l’Amérique du Nord, puis on a regardé le nombre de kilomètres. Oups… » Ils ont fait une croix dessus. Par contre, ils ont gagné le pari des langues. Avec une cinquantaine de mots appris en russe, en serbe, en indonésien, en vietnamien et en turc notamment, ils s’en sont sortis dans les petits villages perdus où leurs vélos les ont emmenés…

En préparant leur voyage, Quentin, Mélik et Yvan ont réalisé qu’ils voulaient rouler pour une association. Ils ont conclu un partenariat avec le CNCD.11-11-11 (le Centre national de coopération et développement). Le deal ? Rencontrer des producteurs locaux – au Sénégal, au Pérou et au Laos – et, de retour en Belgique, ramener ces informations au CNCD. Mais aussi récolter des fonds, en suggérant au public – à leur entourage surtout – de verser un euro au CNCD pour chaque kilomètre parcouru. En treize mois, ils ont récolté 28.000 euros. Cette somme n’a rien à voir avec le financement du voyage. Pour atteindre 12.000 euros par personne, Quentin, Mélik et Yvan ont cherché des sponsors et économisé durant quatre ans.

Un voyage qui n’est pas permis à tout le monde ? Mélik nuance : « Sur les routes, on a souvent entendu : “Vous pouvez vous permettre de venir nous voir sans avoir besoin de travailler.” Oui, c’est vrai. Mais on a économisé pour partir. On a fait un choix : pas de bagnole, pas de maison,… La plupart des Belges peuvent se permettre ce voyage, s’ils économisent. L’énorme injustice n’est pas là. Elle réside plutôt dans la nationalité. On a obtenu tous les visas parce que l’on est Européen. Je suis belgo-tunisien. Si je n’étais que tunisien, je n’aurais jamais pu faire ce voyage. » D’ailleurs, ils n’étaient pas les seuls à voyager de cette façon. S’ils ont croisé peu voire pas de « cyclos » en Afrique, l’Amérique du Sud était un vrai boulevard.

Des regrets ? « On a souvent choisi d’avancer plutôt que se poser et profiter de ce qui s’offrait à nous », estime Quentin. Mélik : « On voulait rencontrer les cultures locales. Du coup, on était réticents à discuter avec des Occidentaux. A y réfléchir, c’est débile. » Ils ne regrettent en tout cas ni le choix du vélo, « qui permet d’accéder à des endroits insoupçonnés », ni le rythme soutenu de leur voyage. Cette expérience les a définitivement marqués. « On se dit : comme les gens sont bons ! On a été mieux reçus que des cousins, mieux que des frères. » Ce voyage a renforcé leurs idéaux – Quentin « n’arrive plus à entrer dans un supermarché » ou à « acheter des vêtements » dans la filière classique. Ils sont revenus avec une autre « vision positive » du monde. Le trio est en train d’écrire un livre, avec toutes ces histoires, qui sortira peut-être à Noël. « L’autre jour on m’a dit que notre livre ne devait pas être cucul dans l’optimiste, explique Mélik. Mais comment faire autrement ? On ne peut pas inventer autre chose que ce qu’on a vécu. »

https://www.biketomeetyou.be/

 

Filles

Orianne et Emilie, en pleine préparation

Les grands voyages à vélo sont-ils exclusivement masculins ? Non. Orianne et Emilie en sont la preuve. Elles préparent leur tour du monde. Un tour qui s’apparentera plus à une ligne droite. Les deux jeunes filles de 23 ans se donnent douze mois pour parcourir l’ensemble du continent américain, depuis le Canada jusqu’au sud de l’Argentine. Estimation : 23.000 kilomètres.

Leur idée de départ était de voyager sans consommer d’essence. A pied, à vélo, en bateau à voile… Qu’importe. Mais après réflexion (et discussion avec Quentin, Mélik et Yvan, ci-dessous), Orianne Bastin et Emilie Perin ont opté pour un voyage 100 % vélo. Pour le défi sportif, pour la liberté que ce moyen de transport procure, pour l’envie de se perdre dans de grands paysages,… L’environnement est aussi leur leitmotiv.

Orianne et Emilie comptent partir en août 2016. Ce qui leur laisse de temps de se préparer physiquement et financièrement. Orianne économise grâce à sa thèse et à son poste d’assistante à l’ULB, qu’elle mettra entre parenthèses durant un an. Elle s’est mise en recherche de sponsors, aussi. Un an avant le départ, l’excitation est déjà palpable. Quel vélo choisir ? Quand faire les vaccins ? « Mais les deux questions que tout le monde nous pose, sont : “Deux filles ? Vous n’avez pas peur ?” et “Comment transporter les bagages ?”  » A la première question, Orianne répond : « Non. J’estime que les risques en Amérique latine et au Mexique sont les mêmes pour une femme ou un homme. On fera attention de ne pas afficher nos objets de valeurs, on se renseignera sur les zones à risques… »

comebiketoearth@gmail.com

 

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