Peut-on vouloir être violée? Ou le suicide de Lucrèce réinterprété
Angelica Liddell reprend et interprète à sa manière l’histoire du suicide de Lucrèce.
- Publié le 26-10-2014 à 09h11
En 2010, « La casa de la Fuerza », avait révélé cette Espagnole torturée de 45 ans qui hurlait, se scarifiait les bras et faisait monter sur scène un orchestre de mariachis. Sous ce désordre apparent, on découvrait une femme qui disait le désespoir du monde actuel avec un mélange de poésie et de phrases comme des coups de poing. L’art de Liddell est que son cri de désespoir est aussi un cri à la beauté de la vie. Car elle ajoute la poésie la musique et la tendresse.
Elle était de retour en Belgique avec son dernier spectacle, « You are my destiny (Lo Stupro du Lucrezia) » au Singel à Anvers, coproduit entre autres par le projet européen Prospero auquel participe le Théâtre de Liège et qui est à Paris en décembre pour le festival d’automne.
Angelica Liddell commence par lire une lettre qu’elle écrivit en 2013 à Venise pour dire qu’elle était apaisée, que son désespoir s’en était allé. Mais elle reste Angelica la radicale, et sa manière de reprendre l’histoire de Lucrèce lui permet d’exprimer comme toujours ses propres questions.
A Venise
Lucrèce fut violée en 509 avant J.C. par Tarquin , le fils du roi de Rome. Ce crime entraîna le suicide de Lucrèce et la révolte du peuple qui instaura la république.
Angelica Liddell a travaillé cette histoire en marge d’une Biennale de Venise avec des formidables chanteurs ukrainiens, rencontrés au Rialto, chantant du Vivaldi et des chants orthodoxes. Elle réinterprète l’histoire en se demandant si Lucrèce ne souhaitait pas ce viol pour sortir d’un monde trop resserré et légiféré pour les femmes. Même criminel, le geste du violeur fut le seul geste d’amour qu’elle reçut da sa vie. Et elle retrouve Tarquin en enfer pour y vivre sa passion.
C’est le combat entre l’Ordre apollinien et la jouissance dionysiaque. L’ordre ce sont les chants des Ukrainiens, la beauté de Venise, les prêtres en noir, c’est Lucrèce sur scène qui fait souffrir dix hommes dans une longue scène où ils doivent rester en équilibre douloureux, ou quand elle fait nettoyer les sols à ces violeurs en puissance. Dionysos qui emporte le combat car il incarne la vie, ce sont les corps nus, la tendresse, les enfants, les cris hystériques de Liddell.
Un spectacle avec des longueurs, chaque scène semblant être étirée, à la limite, tant Liddell veut exprimer tout ce qu’elle montre. Mais avec aussi des scènes très belles comme la fin où un cérémonial vient enterrer puis célébrer l’amour entre Lucrèce et Tarquin, tandis qu’une vraie voiture avec des ailes, descend du ciel.