Prêts hypothécaires: dossier embarrassant pour Charles Michel
- Publié le 26-05-2017 à 14h20
- Mis à jour le 26-05-2017 à 14h29
C’est fin mai que doit entrer en application l’arrêté royal renforçant les exigences de fonds propres pour les emprunteurs hypothécaires. La mesure, qui a suscité de vives critiques, tarde néanmoins à être entérinée. Signe d’un réel malaise ?
C’est un silence qui en dit long. Impossible d’avoir de la part du gouvernement une information précise sur ce qu’il va décider à propos des nouvelles exigences en matière des fonds propres des banques pour les prêts hypothécaires. Or, c’est fin mai que l’arrêté royal de 2013 traitant ce point vient à échéance. Et on sait que la Banque nationale a fait des recommandations visant à prolonger la mesure tout en renforçant les normes de fonds propres pour les prêts dont la quotité empruntée dépasse 80 % de la valeur du bien.
Dès qu’il a été rendu public, ce projet a provoqué une vive polémique alimentée par les partis francophones de l’opposition (en particulier CDH), certains allant jusqu’à affirmer qu’il ne serait plus possible d’emprunter sans une mise personnelle et que c’était dès lors un coup dur pour tous les jeunes candidats propriétaires.
Afin de couper court aux désinformations et ainsi aux critiques qui laissent penser que le gouvernement fédéral s’apprêtait à prendre une mesure peu sociale, Charles Michel a fait une sortie où il a dénoncé les "fake news".
Le même jour, quelques heures plus tard, le président du MR, Olivier Chastel, a sorti un communiqué où il a rappelé que "pour le MR, l’accès à la propriété est fondamental, en particulier pour les jeunes". Et de conclure : "Si une amélioration de la solvabilité des banques est nécessaire, le MR invite le régulateur à proposer des alternatives."
Discussions en kern
Message entendu ? On l’a dit, du côté du ministre des Finances, N-VA, Johan Van Overtveldt, en charge du dossier, les commentaires sont pour le moins succincts. La seule réponse donnée à la veille de l’Ascension par la porte-parole francophone, Caroline Ducjacquier, est de dire que "cela fait encore l’objet de discussions au sein du gouvernement".
D’après nos informations, la question aurait néanmoins été discutée récemment en kern (comité ministériel restreint). Et tout laisse penser que le gouvernement ne reverra pas sa copie.
Dans l’interview accordée à "La Libre" le week-end dernier, le gouverneur de la Banque nationale, Jan Smets, fait d’ailleurs comprendre que ce resserrement des fonds propres est justifié et qu’il n’y a donc pas lieu de ne pas l’imposer. "C’est une mesure absolument équilibrée que la Banque encadrera par un monitoring rapproché. On ajustera en fonction de l’évolution de la situation", avait-il expliqué, tout en relativisant les effets d’une telle mesure (lire ci-contre).
"Réactions excessives"
Il n’empêche, le régulateur n’avait pas anticipé le tollé que pourraient provoquer de telles exigences, certains se demandant même si les banques n’ont pas influencé le régulateur. Et cela pour avoir un bon prétexte pour revoir leurs taux à la hausse.
Le gouvernement Michel doit donc trouver le moyen de faire passer cette mesure sans qu’elle n’ait un impact sur sa popularité. Un enjeu important, pour ne pas dire un dossier embarrassant, pour le MR alors qu’il n’y a eu aucune polémique au Nord du pays.
On peut se demander si l’argument du monitoring qui laisse une porte ouverte à un assouplissement de la mesure si celle-ci entraînait des "réactions excessives" de la part des banques ne sera pas mis en avant pour calmer les esprits.
Mais on a du mal à imaginer que cela pourrait faire taire l’opposition.
Une mesure qui ne va que dans un sens, celui des banques
Le ramdam autour des recommandations de la Banque nationale de Belgique (BNB) dans le cadre du crédit logements (voir par ailleurs) a inquiété nombre de courtiers de crédit et d’agents bancaires indépendants. Depuis que le Premier ministre Charles Michel a dépecé les fausses idées qui circulaient à ce sujet, ils sont rassurés. Tout en trouvant que la polémique a mis à mal un marché hypothécaire belge dont la solidité est quasiment à toute épreuve. Explications.
1. Une règle moins claire qu’on l’imagine
La BNB demanderait aux banques qui accordent des prêts au-delà des 80 % de quotités d’augmenter leur proportion de fonds propres. "Mais de quoi parle-t-on ?, s’interroge un agent bancaire indépendant. S’il y a des milliers de contrats dont la quotité est supérieure à 80 %, il y en a tout autant, voire plus, dont la quotité est inférieure, pour les compenser." Selon les statistiques de BNP Paribas Fortis, leader en matière de crédit logement, la quotité moyenne de l’ensemble de ses crédits accordés en 2016 est de… 79 % ! Certes, les jeunes de moins de 30 ans empruntent en moyenne 86 % de la valeur du bien, mais les 55 ans et plus se contentent, toujours en moyenne, de 57 % ! "Si la quotité moyenne de la nouvelle production (les contrats de l’année) est à 79 %, que dire de celle de l’ensemble du stock, dont une partie importante a déjà été remboursée par les emprunteurs ? Elle pourrait être sous la barre des 50 %, voire des 40 % que cela ne m’étonnerait pas." Et malgré tout, les emprunteurs qui n’ont pas de fonds propres vont être pénalisés. Car il est très probable que les banques, à qui on impose de majorer leurs fonds propres, en répercutent le coût sur les emprunteurs…
2. Une règle qui perdurera toute la durée du crédit
Autre préoccupation des professionnels du crédit logement, le fait que l’on pénalise l’emprunteur qui n’aurait pas de fonds propres pendant toute la durée de son crédit alors qu’au terme d’à peine quelques années de mensualités payées, il passe sous le cap des 80 % de la valeur du bien restant à rembourser. "Quelqu’un qui emprunte 100 % de la valeur d’un bien sur 20 ans au taux fixe de 2,50 % en aura déjà remboursé 20 % après 5 ans ! Et 50 % après 11 ans et 2 mois. Or, le taux majoré, c’est pendant toute la vie du crédit qu’il devra le supporter. Est-ce bien juste ?" s’étonne un courtier de crédit.
3. Une règle qui néglige l’évolution des valeurs
"Si la quotité inscrite dans le contrat est figée durant toute sa durée, s’étonne l’agent bancaire indépendant, c’est aussi le cas de la valeur du bien. Et ce n’est pas normal." La quotité, qui, on l’a vu, diminue en réalité au fur et à mesure du remboursement, elle diminue encore plus vite qu’on le croit puisque la valeur du bien, elle, va en augmentant.
4. Une règle stérile dans un cadre bien protégé
Preuve que le crédit logement est déjà bien protégé en Belgique, la proportion de ceux qui sont dénoncés (non honorés et fichés à la BNB) ou dont les arriérés de payement atteignent 1 à 3 mois est stable. Différentes règles de précaution sont en effet de mise, liées à la qualité de l’emprunteur, au rapport charges/revenus (en général pas plus de 40 %), etc. "Avec ceci que l’emprunteur reste légalement responsable de sa dette, note le courtier en crédit. Si la banque est amenée à vendre le bien et si elle ne récupère pas tout ce qu’elle a prêté, elle continuera à pouvoir exiger la dette résiduelle. Rares sont les banques qui perdent de l’argent sur le crédit hypothécaire. On n’est pas aux Etats-Unis où les emprunteurs ne sont pas personnellement responsables et où, en 2008-2009, on en a vu certains abandonner tout bonnement leur maison."
5. Une règle qui pourrait perturber le marché
L’accès au crédit en Belgique reste relativement aisé. "Il est plus compliqué qu’avant d’obtenir des prêts pour 100 % de la valeur d’un bien, et impossible pour 120 % , comme c’était quasiment de coutume il y a 15 ans, conclut le courtier. Mais il n’y a pas lieu d’être plus strict qu’aujourd’hui et donc de pousser les majorations à la hausse." Au risque de mettre le marché en danger. "Alors qu’il est aux mains d’une multitude de petites propriétaires, ce qui fait son ADN, sa stabilité, sa solidité, il passerait progressivement aux mains de ceux qui ont beaucoup de fonds propres, autrement dit, de grands investisseurs-bailleurs qui pourraient faire la loi. Un marché où pas de fonds propres signifie pas de crédit le dirigerait inévitablement à la baisse. Ceux-ci pourraient dès lors racheter ce qui se vend à vil prix", s’inquiète l’agent bancaire indépendant. Et il sait de quoi il parle : s’il avait lui-même dû apporter 20 % de fonds propres, il n’aurait jamais pu acheter sa maison.