Pas facile, mais fabuleux, la vie de château à Vaux-le-Vicomte (REPORTAGE)
- Publié le 29-05-2017 à 10h55
Faire d'un monument historique une entreprise lucrative et rentable, c'est l'objectif que s'est fixé la famille de Vogüé. Tout en préservant ce patrimoine unique et magnifique, aux portes de Paris. Le lieu plein de charme et de tranquillité où se déroula l’Histoire avec la grande fête de Nicolas Fouquet. Reportage.
A 60 km à l’est de Paris, le long d’une petite route bordée de platanes centenaires, on découvre le mur d’enceinte de 13 km de long entourant les 500 hectares du château de Vaux-le-Vicomte. C’est le plus célèbre château privé de France, un lieu enchanteur, d’une beauté époustouflante et d’un grand calme contrairement à la foule de Versailles.
Fin mai, on inaugurait la grande statue d’Hercule (de Farnèse) recouverte désormais d’or. Du grand salon ovale, on aperçoit la statue à 1,5 km, briller au bout du parc dessiné par Le Nôtre avec ses dentelles de buis. De près, on constate sa taille : 6m de haut sur un socle de 5 m. A l’origine elle aurait dû être couverte d’or.
Les propriétaires actuels, la famille de Vogüé, a trouvé une généreuse mécène américaine, amoureuse du château, Marina Kellen French pour payer les 75000 euros nécessaires. "Il y avait 60 m2 à recouvrir mais à la feuille d’or cela ne représente que 200 gr d’or", précise Ascanio de Vogüé, un des fils qui cogère la propriété.
"Nous avons heureusement des mécènes pour nous aider. La restauration du plafond de 175 m2 de la Chambre des Muses, avec la grade peinture de Charles Le Brun vient de se terminer et a coûté 450000 euros payés par un autre mécène américain, Alexis Gregory. C’était la chambre d’apparat de Nicolas Fouquet, là où Molière joua 'L’école des maris' devant le Roi".
Appel au mécénat de tous
Mener la vie de château et équilibrer les comptes n’est pas une sinécure. En 2014, il fallut planter 237 tilleuls le long du Grand Canal et on fit appel aux particuliers qui purent acheter "leur" arbre 500 euros en échange d’une plaque donnant leur nom. Les 61 statues des jardin doivent être restaurées et sont offertes au mécénat de chacun.
De grands mécènes s’y sont mis comme Saint-Gobain qui finança les portes de verre qui ferment le salon ovale, prouesse architecturale. Sous Fouquet ce salon était ouvert à tous les vents, car l’architecte Le Vau voulait rendre le château "transparent" avec une vue directe sur l’ordonnancement des jardins. Mais le froid s’y engouffrait et on a choisi de fermer le salon tout en maintenant la magnifique perspective.
Le plafond du salon devait être orné d’une grande fresque dessinée par Charles Le Brun. On a encore le dessin de l’oeuvre qui ne fit pas à cause de l’arrestation de Fouquet par le Roi. Les de Vogüé ont l’intention de projeter l’oeuvre sur la coupole ovale. Projeter seulement car la protection du patrimoine oblige à conserver la fresque actuelle, pourtant très médiocre datant du XIXe siècle.
A coté de cela, il a fallu refaire les 2,5 ha de toiture. Et un coup d’œil du haut du château vers les jardins, montre que les dentelles de buis sont attaquées par la pyrale, la chenille envahissante d’un papillon. Remplacer tout ces buis coûterait deux millions d’euros !
Trois frères
Ascanio de Vogüé est le plus jeune des trois frères qui, désormais, gèrent le château. Ils descendent d’Alfred Sommier, riche entrepreneur dans le sucre, qui, en 1875, lors d’une vente à la bougie (on pouvait renchérir aussi longtemps que deux bougies brûlaient encore) avait repris le château et les jardins qui étaient à l’abandon depuis 30 ans. Edme Sommier étant mort en 1945 sans descendance, le château revint à son neveu Jean de Vogüé qui le légua à son fils Patrice pour son mariage en 1967. C’est lui qui ouvrit le château au public en mai 1968, timing étonnant. Il y eut quatre visiteurs le premier jour. Il y en a 270000 par an aujourd’hui et les de Vogüé veulent arriver à 400000 visiteurs dans 4 ans.
La famille habitait encore le premier étage jusqu’en 1972 et Patrice, 88 ans aujourd’hui, habite toujours la grande aile annexe mais a laissé –non sans mal, la transmission n’est pas simple- la gestion à ses trois fils.
Jean-Charles, Alexandre et Ascanio ont tous eu une autre vie avant de gérer le château. Le premier travailla pour Nike, le second fut guide de haute montagne et le troisième, arrivé en 2015, travailla longtemps dans sa firme d’événementiel.
L’objectif est d’assurer la pérennité de ce fleuron du patrimoine français et le souvenir de Fouquet. La famille se sentant "propriétaire dépositaire responsable". Ascanio aime bien aussi "se souvenir ici que l’indépendance de la Justice n’est pas un vain mot. Colbert et le Roi traînèrent Fouquet devant les juges mais ceux-ci votèrent à la majorité et à la fureur du Roi, un simple bannissement sans privation de liberté, preuve d’une grande indépendance. Le Roi changea alors la peine en emprisonnement à vie". A l’étage, quand on monte vers la charpente spectaculaire et la tour d’où on a une vue si belle, des gravures montrent ces juges intègres.
Fêtes de La Fontaine
"Nous n’avons quasi aucune aide des pouvoirs publics. Etant privé, le château n’est même reconnu patrimoine mondial par l’Unesco. Le château, c’est 70 personnes qui y travaillent, un parc de 30 ha à entretenir, des forêts, un budget annuel de 8 à 9 millions avec 44 % des recettes pour la billetterie".
Pour équilibrer les comptes, il a donc fallu développer l’horeca, la boutique, les locations de salles, le mécénat. La seule restauration du château c’est 1,3 million par an. Ascanio veut "professionnaliser et rationaliser la gestion du domaine, gommer toute confusion entre l'entreprise et la famille, tout en gardant l'esprit de famille qui fait le charme de Vaux".
Les de Vogüé veulent multiplier les raisons de venir au château. Versailles accueille 7,5 millions de visiteur l’an, il y a donc du potentiel. Les soirées hebdomadaires à la bougie sont un grand succès. Les enfants peuvent se déguiser en châtelains. Le château est loué pour des événements comme le mariage somptueux de la fille de Lakshmi Milttal et celui du basketteur Tony Parker et la mannequin Eva Longoria. On ne compte plus les films qui y furent tournés depuis un James Bond jusqu’à Léonardo Di Caprio y jouant l’homme au masque de fer.
Cet été, pour attirer les familles, le château propose des "jeux de La Fontaine" (un ami de Fouquet et le bureau de l’écrivain est encore là !), avec une visite en cuissardes de la rivière souterraine, un jeu de piste, une ballade en cygne sur le grand Canal, etc.
La famille réfléchit à y mettre de l’art contemporain mais l’exemple de Jeff Koons à Versailles agit comme un repoussoir : "On veut un artiste inspiré par le château".
Les "amis du château" (2700 membres) ont déjà réussi à racheter des tableaux et meubles anciens dont de magnifiques cabinets marquetés. L’objectif étant de rendre à chaque pièce son éclat d’antan et de la meubler avec des tableaux, tapisseries et meubles de l’époque de Fouquet.
En train depuis la gare de l’Est à Paris. Prendre la ligne P jusqu’à Verneuil l’Etang puis la navette châteaubus. 59 minutes de Paris Est au château .
Une histoire très romanesque
Nicolas Fouquet (1615-1680) était le surintendant des finances de Louis XIV. Il fit construire le château entre 1658 et 1661 par les plus grands de son époque : l’architecte Louis Le Vau, le peintre Charles Le Brun, le paysagiste André Le Nôtre, le maître maçon Michel Villedo. Louis XIV fit appel ensuite aux mêmes pour construire Versailles !
Mais Fouquet qui était immensément riche (grâce entre autres à son mariage) suscita la jalousie de Colbert qui briguait sa charge et la jalousie du Roi lui-même.
Pour inaugurer son château, Fouquet y organise une fête somptueuse, en présence du Roi, le 17 août 1661 avec jardins enluminés, courtisans enrubannés, cascades, par le grand Vatel, Molière y jouant « Les Fâcheux », feux d’artifice. Mais la fête « tua » Fouquet. Voltaire résuma le drame : « A 6h du soir, Fouquet était roi de France, à 2h du matin, il n’était plus rien », arrêté le 5 septembre sur ordre du roi. « Le Ciel fut jaloux du Songe de Vaux » écrivit La Fontaine. Les juges le condamnant au simple bannissement mais le Roi commuant sa peine en emprisonnement à vie.
Le domaine inachevé passa de mains en mains, frisant le ruine jusqu’à aboutir à Alfred Sommier dont les de Vogüe sont les descendants. La beauté du château, sa taille presque humaine, son parc, en font une des plus baux lieux de France.