Quand les élections battent la mesure, l’immobilier ralentit le tempo
Une année électorale charrie toujours derrière elle une période d’instabilité. Celle-ci n’est pas propice à l’introduction des permis de construire. Conséquence : l’immobilier est lui aussi contraint de pousser sur la pédale des freins.
Tous aux urnes ! Ce dimanche, les Belges sont invités à élire leurs représentants au sein de leurs communes. Un geste citoyen qui a de multiples implications pour les secteurs de l’immobilier et de la construction.
Un petit tour du marché nous le confirme : une année électorale n’est pas une année comme les autres. Pour les promoteurs qui croisent chaque jour les doigts pour que leurs permis d’urbanisme ou autres soient acceptés, c’est même une année qu’ils aimeraient carrément rayer du calendrier car elle est immanquablement synonyme d’attentisme. Le pire fléau pour qui doit faire des affaires.
De nombreux permis en Belgique, surtout s’ils dépassent une certaine taille, sont soumis à l’approbation des Régions. Mais il y en a énormément d’autres qui doivent recevoir le feu vert des communes. Dans ce cas, l’échevin de l’urbanisme est vu comme le Louis XIV, le Bonaparte voire l’empereur romain qui, d’un seul geste du pouce, peut décider de la recevabilité ou non d’un projet immobilier.
La couleur politique de l’échevin en question, même s’il n’est pas le seul à décider convenons-en, pèse de tout son poids sur la décision finale. « Tous les promoteurs avec qui je travaille me disent la même chose : il vaut mieux parfois introduire dare-dare une demande de permis ou, au contraire, attendre les élections et espérer que la bonne majorité (communale) soit élue, explique à ce sujet Denis Bosson, directeur commercial du groupe de construction et de promotion Franki. Les élections retardent le processus, mais c’est surtout vrai dans le cas des permis qui fâchent… »
Même son de cloche du côté d’Immobel, grand promoteur installé sur la place bruxelloise mais qui travaille également dans plusieurs pays et villes d’Europe. « Ces derniers mois, plus personne ne bouge car les hommes politiques sont en train de se battre pour garder leur place ou pour en conquérir une nouvelle, admet Marnix Galle, directeur exécutif d’Immobel. Du coup, ils préfèrent serrer des mains sur les marchés que de s’occuper de nos permis. Toutefois, si une relève éventuelle de la garde politique dans une commune influence la prise de décision, elle ne le fait pas de manière dramatique. Un processus démocratique est lent par nature et n’allez pas croire que c’est propre à la Belgique. C’est partout pareil. Le problème, bien plus grand que les élections, ce sont les recours contre les projets, lesquels sont analysés par le Conseil d’Etat. C’est eux qui retardent exagérément une acceptation ou un refus. Dans ce domaine, la France a pris les devants : une nouvelle loi introduite en mars, qui prévoit notamment des dommages à payer par celui qui est déclaré en tort, a diminué les recours de 85 %… »
Le problème majeur dans le cas d’élections est à chercher du côté du ralentissement d’un processus… déjà lent à la base. « Obtenir un permis aujourd’hui demande des mois, insiste à ce sujet Frédéric van Marcke, le directeur du développement pour le Belux chez Besix Red. La frilosité qui accompagne la période des élections ne fait que ralentir encore davantage la machine. Et cette année, le calendrier électoral est plutôt chargé puisque nous aurons également des élections régionales en mai 2019. »
Accusée de tous les maux, les Administrations communales croulent sous le boulot. Malgré les efforts déployés ces dernières années, la délivrance des permis reste problématique, surtout dans certaines communes. « Les élections ne retardent pas le travail de la base car les fonctionnaires continuent d’avancer à leur rythme sur les dossiers qu’ils reçoivent, tient malgré tout à préciser Jérôme Matthieu, directeur commercial chez BPI. Mais il en va autrement pour les décisions stratégiques qui risqueraient d’avoir un impact à long terme sur une commune. Dans ce cas, et pour ne pas fâcher les électeurs, les hommes politiques ont tendance à mettre le dossier au frigo et à lever le pied à l’approche des urnes. »
« L’incertitude ralentit toujours les affaires, intervient pour sa part Olivier Weets, directeur du développement chez Equilis. Dans le cas d’élections, c’est encore plus vrai puisqu’on ne sait pas face à qui on va se retrouver après le scrutin pour défendre un projet. Du coup, un promoteur peut retarder l’introduction d’un permis qui serait inopportune dans une période où les hommes politiques sont trop occupés à rallier les électeurs à leur cause. »
Un mot revient souvent sur la table : le manque d’initiative de la part des hommes qui ont en charge la gestion d’une commune. « Quand lors d’une concertation vient le moment d’avoir une petite minute de courage politique, on entend subitement une mouche voler dans la salle, sourit Thierry Herpain, l’un des patrons du promoteur-constructeur éponyme. En période électorale, les échevins sont frileux à prendre des décisions, parfois même s’ils sont sûrs d’être réélus. Si la délivrance des permis était plus rapide en soi, les élections dérangeraient moins les promoteurs. C’est le jeu et il faut en accepter les règles vu que nous vivons dans une société démocratique. Ceci dit, ce n’est pas propre à la Belgique. »
Si les hommes politiques ont tendance à pousser, et fort encore bien, sur la pédale des freins, ils sont souvent imités par tous ceux qui travaillent aux dossiers d’introduction des permis, promoteurs y compris. Sauf que ces derniers ne le font pas de gaieté de cœur, ils sont contraints de réduire la voilure sous peine de voir leur dossier bâclé, voire refusé. « Depuis le début de l’année, on nous dit à mots à peine voilés que nos dossiers ne seront pas analysés avant les élections car les priorités sont ailleurs, regrette Anne-Catherine Dubois, architecte chez A2RC. J’ai encore eu le cas en février où l’on m’a dit qu’il ne servait à rien de courir et qu’il valait mieux attendre le 14 octobre. Les élections entraînent une sorte de renoncement tacite de la part de tous. Du coup, on est bien obligé d’attendre. Une fois les élections passées, on pousse à fond sur l’accélérateur pour essayer de rattraper le temps perdu… »
Combien de temps dure l’immobilisme ? Difficile à dire. Les uns parlent de 6 mois avant les élections. Les autres disent que la période d’attente peut être plus longue encore et qu’elle se prolonge même bien au-delà du résultat des urnes. « La reprise peut être très lente puisqu’il faut bien souvent attendre la mise en place des nouveaux collèges communaux prévue pour le mois de janvier. L’immobilisme peut ainsi durer neuf mois, voire plus, explique Frédéric van Marcke qui ajoute que c’est pourquoi Besix Red n’attend pas les élections pour introduire un permis. On dépose le dossier quand il est prêt… »
« Si on sait que l’échevin de l’urbanisme risque de perdre son poste, la période pré-électorale peut prendre plusieurs mois et l’immobilisme ne fait que grandir, avoue pour sa part Jérôme Matthieu. Sur les gros dossiers, ceux qui risquent de fâcher l’opinion publique, on préfère attendre les élections… »
C’est bientôt dimanche. L’attente va bientôt prendre fin. Restera plus qu’à savoir de quel côté penchera la balance…
Pour poster un commentaire, merci de vous abonner.
S'abonnerQuelques règles de bonne conduite avant de réagirPostez le premier commentaire