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Quand les élections battent la mesure, l’immobilier ralentit le tempo

Une année électorale charrie toujours derrière elle une période d’instabilité. Celle-ci n’est pas propice à l’introduction des permis de construire. Conséquence : l’immobilier est lui aussi contraint de pousser sur la pédale des freins.

Responsable du «Soir Immo» Temps de lecture: 6 min

Tous aux urnes ! Ce dimanche, les Belges sont invités à élire leurs représentants au sein de leurs communes. Un geste citoyen qui a de multiples implications pour les secteurs de l’immobilier et de la construction.

Un petit tour du marché nous le confirme : une année électorale n’est pas une année comme les autres. Pour les promoteurs qui croisent chaque jour les doigts pour que leurs permis d’urbanisme ou autres soient acceptés, c’est même une année qu’ils aimeraient carrément rayer du calendrier car elle est immanquablement synonyme d’attentisme. Le pire fléau pour qui doit faire des affaires.

De nombreux permis en Belgique, surtout s’ils dépassent une certaine taille, sont soumis à l’approbation des Régions. Mais il y en a énormément d’autres qui doivent recevoir le feu vert des communes. Dans ce cas, l’échevin de l’urbanisme est vu comme le Louis XIV, le Bonaparte voire l’empereur romain qui, d’un seul geste du pouce, peut décider de la recevabilité ou non d’un projet immobilier.

La couleur politique de l’échevin en question, même s’il n’est pas le seul à décider convenons-en, pèse de tout son poids sur la décision finale. « Tous les promoteurs avec qui je travaille me disent la même chose : il vaut mieux parfois introduire dare-dare une demande de permis ou, au contraire, attendre les élections et espérer que la bonne majorité (communale) soit élue, explique à ce sujet Denis Bosson, directeur commercial du groupe de construction et de promotion Franki. Les élections retardent le processus, mais c’est surtout vrai dans le cas des permis qui fâchent… »

Même son de cloche du côté d’Immobel, grand promoteur installé sur la place bruxelloise mais qui travaille également dans plusieurs pays et villes d’Europe. « Ces derniers mois, plus personne ne bouge car les hommes politiques sont en train de se battre pour garder leur place ou pour en conquérir une nouvelle, admet Marnix Galle, directeur exécutif d’Immobel. Du coup, ils préfèrent serrer des mains sur les marchés que de s’occuper de nos permis. Toutefois, si une relève éventuelle de la garde politique dans une commune influence la prise de décision, elle ne le fait pas de manière dramatique. Un processus démocratique est lent par nature et n’allez pas croire que c’est propre à la Belgique. C’est partout pareil. Le problème, bien plus grand que les élections, ce sont les recours contre les projets, lesquels sont analysés par le Conseil d’Etat. C’est eux qui retardent exagérément une acceptation ou un refus. Dans ce domaine, la France a pris les devants : une nouvelle loi introduite en mars, qui prévoit notamment des dommages à payer par celui qui est déclaré en tort, a diminué les recours de 85 %… »

Le problème majeur dans le cas d’élections est à chercher du côté du ralentissement d’un processus… déjà lent à la base. « Obtenir un permis aujourd’hui demande des mois, insiste à ce sujet Frédéric van Marcke, le directeur du développement pour le Belux chez Besix Red. La frilosité qui accompagne la période des élections ne fait que ralentir encore davantage la machine. Et cette année, le calendrier électoral est plutôt chargé puisque nous aurons également des élections régionales en mai 2019. »

Accusée de tous les maux, les Administrations communales croulent sous le boulot. Malgré les efforts déployés ces dernières années, la délivrance des permis reste problématique, surtout dans certaines communes. « Les élections ne retardent pas le travail de la base car les fonctionnaires continuent d’avancer à leur rythme sur les dossiers qu’ils reçoivent, tient malgré tout à préciser Jérôme Matthieu, directeur commercial chez BPI. Mais il en va autrement pour les décisions stratégiques qui risqueraient d’avoir un impact à long terme sur une commune. Dans ce cas, et pour ne pas fâcher les électeurs, les hommes politiques ont tendance à mettre le dossier au frigo et à lever le pied à l’approche des urnes. »

« L’incertitude ralentit toujours les affaires, intervient pour sa part Olivier Weets, directeur du développement chez Equilis. Dans le cas d’élections, c’est encore plus vrai puisqu’on ne sait pas face à qui on va se retrouver après le scrutin pour défendre un projet. Du coup, un promoteur peut retarder l’introduction d’un permis qui serait inopportune dans une période où les hommes politiques sont trop occupés à rallier les électeurs à leur cause. »

Un mot revient souvent sur la table : le manque d’initiative de la part des hommes qui ont en charge la gestion d’une commune. « Quand lors d’une concertation vient le moment d’avoir une petite minute de courage politique, on entend subitement une mouche voler dans la salle, sourit Thierry Herpain, l’un des patrons du promoteur-constructeur éponyme. En période électorale, les échevins sont frileux à prendre des décisions, parfois même s’ils sont sûrs d’être réélus. Si la délivrance des permis était plus rapide en soi, les élections dérangeraient moins les promoteurs. C’est le jeu et il faut en accepter les règles vu que nous vivons dans une société démocratique. Ceci dit, ce n’est pas propre à la Belgique. »

Si les hommes politiques ont tendance à pousser, et fort encore bien, sur la pédale des freins, ils sont souvent imités par tous ceux qui travaillent aux dossiers d’introduction des permis, promoteurs y compris. Sauf que ces derniers ne le font pas de gaieté de cœur, ils sont contraints de réduire la voilure sous peine de voir leur dossier bâclé, voire refusé. « Depuis le début de l’année, on nous dit à mots à peine voilés que nos dossiers ne seront pas analysés avant les élections car les priorités sont ailleurs, regrette Anne-Catherine Dubois, architecte chez A2RC. J’ai encore eu le cas en février où l’on m’a dit qu’il ne servait à rien de courir et qu’il valait mieux attendre le 14 octobre. Les élections entraînent une sorte de renoncement tacite de la part de tous. Du coup, on est bien obligé d’attendre. Une fois les élections passées, on pousse à fond sur l’accélérateur pour essayer de rattraper le temps perdu… »

Combien de temps dure l’immobilisme ? Difficile à dire. Les uns parlent de 6 mois avant les élections. Les autres disent que la période d’attente peut être plus longue encore et qu’elle se prolonge même bien au-delà du résultat des urnes. « La reprise peut être très lente puisqu’il faut bien souvent attendre la mise en place des nouveaux collèges communaux prévue pour le mois de janvier. L’immobilisme peut ainsi durer neuf mois, voire plus, explique Frédéric van Marcke qui ajoute que c’est pourquoi Besix Red n’attend pas les élections pour introduire un permis. On dépose le dossier quand il est prêt… »

« Si on sait que l’échevin de l’urbanisme risque de perdre son poste, la période pré-électorale peut prendre plusieurs mois et l’immobilisme ne fait que grandir, avoue pour sa part Jérôme Matthieu. Sur les gros dossiers, ceux qui risquent de fâcher l’opinion publique, on préfère attendre les élections… »

C’est bientôt dimanche. L’attente va bientôt prendre fin. Restera plus qu’à savoir de quel côté penchera la balance…

 

Parfois, la machine s’emballe… mais c’est très rare

Responsable du «Soir Immo» Temps de lecture: 2 min

Les élections freinent l’immobilier mais elles peuvent aussi… l’accélérer. Même si, précisons-le, c’est extrêmement rare. « Chez Franki, nous gagnons beaucoup de projets “design and build”, ces contrats qui concernent la conception et la construction d’un projet bénéficiant d’un consensus politique en amont, explique Denis Bosson. Quand une administration vient elle-même vous consulter pour construire une maison de repos de 100 lits dans une commune, les choses avancent beaucoup plus vite car les autorisations ont déjà été mûrement réfléchies auparavant. Ce sont des dossiers qui sont en général portés par la majorité en place. »

Ces projets sont donc moins sensibles aux échéances électorales puisque tout le monde semble d’accord pour le voir avancer.

C’est pareil pour les autres dossiers que rien ne peut plus arrêter puisqu’ils répondent en tout point à la législation en place et pour lesquels tous les feux sont au vert.

Un beau « geste »

Il arrive même parfois que certains hommes politiques « fassent un geste » pour ne pas retarder inutilement les choses. Certains ont pu le constater lors de la période préélectorale en cours. « Malgré l’approche des élections, la commune d’Anderlecht a accepté de ne pas retarder la procédure et de porter notre projet Urbanities (NDLR : zone du canal à Bruxelles) à l’enquête publique entre le 3 septembre et le 3 octobre, explique à ce sujet Renaud Dinraths, le responsable du développement chez BW Promo. La commission de concertation a donc été fixée au 11 octobre, soit trois jours avant l’échéance des urnes. Puisque notre projet sera soumis ensuite à l’enquête publique et qu’il faut 60 jours pour qu’un permis soit purgé de tout recours, le 11 octobre était la date ultime pour que nous puissions obtenir notre permis avant la fin 2018. Assurément un beau geste de la commune… »

« Une fois dans le passé, un de nos projets a été accéléré car on pressentait un changement de majorité après les élections, se souvient pour sa part Thierry Herpain. Mais cette pratique est rarissime, je vous rassure… »

Et Olivier Weets d’embrayer : « Si votre projet est fort demandé par la commune parce qu’il est emblématique à bien des égards, la procédure peut être accélérée malgré l’approche des élections. Cela nous est déjà arrivé mais c’est excessivement rare. »

Une profession indirectement touchée et donc moins impactée

Responsable du «Soir Immo» Temps de lecture: 2 min

Et les courtiers dans tout ça, comment réagissent-ils face aux élections ? Pas trop mal si l’on en croit ceux que nous avons consultés. Il est vrai qu’ils sont moins directement concernés que les promoteurs ou les constructeurs. « Je me retrouve rarement face à des décideurs politiques mais il m’est déjà arrivé d’entendre qu’il valait mieux laisser un dossier au frigo pour quelque temps, explique ainsi Jean Baheux, responsable du retail chez Cushman & Wakefield. Accorder un permis d’exploitation commerciale dans une commune peut soulever la critique et je peux comprendre qu’on préfère retarder les choses car il y a d’autres chats à fouetter. En ce moment, je vois beaucoup de projets en cours, dont les permis ont déjà été déposés ou doivent encore l’être, qui sont à l’arrêt… »

Est-ce un problème pour le chiffre d’affaires de C & W ? « Cet attentisme qui ralentit le business et les calendriers me gêne d’autant plus que le marché du retail est déjà assez lent en ce moment. Mais pour ce qui est du chiffre d’affaires, disons que nous perdons de l’argent de manière indirecte puisque le processus d’attribution des permis est décalé. Mais le chiffre qu’on ne fait pas cette année à cause des élections, on le récupérera l’année suivante. De toute façon, le manque à gagner est marginal. »

Patron de JLL Belux, Jean-Philip Vroninks ne dit pas autre chose. « Notre chiffre d’affaires n’est pas impacté par les élections car notre business dépend des entreprises, de l’état de santé de l’économie en général et de la capacité d’investissement, expose-t-il. Ce qui est beaucoup plus embêtant pour une boîte comme la nôtre est de voir une institution prendre tout son temps avant de se décider à construire ou à louer des espaces de bureaux, commerciaux ou de logistique. Voyez l’Union européenne. On sait qu’elle aura besoin de 100.000 m2 d’espaces de bureaux d’ici à 2021. On sait aussi qu’elle a beaucoup de projets dans les cartons mais jusqu’ici, elle n’a pas fait grand-chose. Et ça, c’est beaucoup plus gênant que les élections… »

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