"Transit", un film étrange et fascinant sur le fascisme
- Publié le 17-10-2018 à 10h57
- Mis à jour le 17-10-2018 à 11h08
Christian Petzold déroute avec une évocation puissante du nazisme transposée dans la France d’aujourd’hui.Après avoir abordé la question du mensonge et de l’après-nazisme dans l’étonnant Phoenix en 2014, le cinéaste allemand Christian Petzold poursuit son exploration du vrai et du faux - au cœur de son cinéma depuis 30 ans (que ce soit dans Barbara en 2012 ou Fantômes en 2005) - dans une œuvre déroutante, jumelle de Phoenix. En effet, il est à nouveau question dans Transit d’un couple réuni presque malgré lui, où chacun décide, ou accepte, de jouer un rôle qui n’est peut-être pas le sien…
Adaptant le roman aux consonances autobiographiques de l’Allemande Anna Seghers (écrit entre 1941 et 1942 durant son exil au Mexique), Petzold reste parfaitement fidèle à la trame originelle, décrivant la tentative d’exil de résistants fuyant le régime nazi dans une France occupée. On suit ici les traces de Georg (Franz Rogowski), jeune Allemand quittant Paris pour Marseille, encore en zone libre, d’où il tentera de prendre l’un des derniers navires vers le Mexique. Son ticket de sortie, il l’a décroché en s’appropriant l’identité d’un écrivain, dont il retrouve la jeune épouse dans la cité phocéenne (Paula Beer).
L’histoire serait totalement classique si cette France n’était, non pas celle de 1945, mais bien celle d’aujourd’hui. Pas une France de pacotille sortie d’on ne sait quelle uchronie. Non la France contemporaine, avec ses migrants, sa police, ses brigades du RAID… L’idée est simplissime et économe en termes de décors et de reconstitution. Son impact est pourtant sidérant, tant l’effet de réel est immédiat. Pas besoin d’expliquer pourquoi la France est envahie par l’Allemagne ; l’écho de l’Histoire suffit. Seuls comptent la situation de fuite, le sentiment de peur qui habite les personnages…
Formidable directeur d’acteurs, Christian Petzold peut compter sur deux jeunes comédiens allemands épatants pour faire vivre à l’écran son étrange couple réuni par les circonstances. Découverte en 2015 dans Frantz de François Ozon, Paula Beer impose une présence fantomatique face à Franz Rogowski. Vu dans Happy End de Michael Haneke et à l’affiche prochainement du très beau In der Gängen de Thomas Stuber, le jeune comédien au physique étonnant (à qui un bec-de-lièvre confère une prononciation très particulière) est bouleversant. Il porte sur ses épaules le destin d’une nation qui court à sa perte, mais aussi toute la tragédie d’une humanité condamnée à mentir pour échapper à l’horreur. Mais qui, dans ce mensonge, retrouvera peut-être son humanité…
Scénario&réalisation : Christian Petzold (d’après le roman d’Anna Seghers). Photographie : Hans Fromm. Musique : Stefan Will. Avec Franz Rogowski, Paula Beer, Godehard Giese… 1 h 41.