Toto Riina, le parrain de la mafia qui se présentait comme un "paysan analphabète"
Toto Riina, le chef de la mafia, est mort en prison à 87 ans des suites d’un cancer. A son procès, il s’est présenté comme un paysan analphabète sans lien avec une organisation criminelle. Une série télévisée, "Corleone", a raconté sa vie et a rencontré un beau succès.
- Publié le 17-11-2017 à 19h57
- Mis à jour le 17-11-2017 à 20h28
Le chef de la Pieuvre a été vaincu par le crabe. A 87 ans, Toto Riina est mort vendredi matin des suites d’un cancer à la prison de Parme où il purgeait ses multiples (26) condamnations à perpétuité pour avoir commandité plus de 150 homicides parmi lesquels ceux des juges Falcone et Borsellino à l’été 1992.
Ce sont d’ailleurs ces deux assassinats qui ont finalement conduit à sa perte celui que l’on surnomme "la Belva", la bête sanguinaire, en raison de sa froideur et de sa cruauté. Les deux magistrats avaient été quelques mois plus tôt les artisans de la condamnation à la prison ferme d’une partie de la "cupola", le gouvernement de la mafia. Toto Riina décide alors de défier militairement l’Etat, ce qui en retour provoque une vague d’indignation populaire et une ferme réaction des autorités de Rome. D’autant qu’après la chute du mur de Berlin, le système de connivences politiques dont pouvaient jouir les parrains s’effrite rapidement.
"Délire de toute-puissance"
Le 15 janvier 1993, Toto Riina est arrêté dans la banlieue de Palerme où il vivait tranquillement dans la clandestinité, en famille, depuis de nombreuses années. Quelques mois plus tard, pour tenter de faire plier les institutions italiennes et notamment remettre en cause le système d’isolement carcéral dont il est l’objet, ses hommes placeront des bombes à Milan, Rome et au musée des Offices de Florence, faisant au total dix morts civils.
"Les Corléonais de Toto Riina ont été victimes d’un délire de toute-puissance", estime Francesco La Licata, auteur entre autres d’une "Histoire de Giovanni Falcone". "En réaction, tous les grands chefs ont été appréhendés et avec eux des centaines de petits mafieux. Au cours des dernières années, leurs biens ont été séquestrés pour plusieurs milliards d’euros", indique le journaliste Lirio Abate, qui vit sous protection policière, encore menacé par les clans. Mais c’est la fin de la saga des Corléonais, qui avait débuté dans les années 70 dans les campagnes à une trentaine de kilomètres au sud de Palerme.
Dissous dans de l’acide
A l’époque, les "paysans" déferlent sur la capitale sicilienne. Ils délogent les vieux clans et, à coup de mitraillettes, éliminent leurs adversaires pour s’emparer de toutes les activités : racket, contrebande, drogue et appels d’offres publics. Au début des années 80, la guerre des mafias fait des centaines de victimes. Toto "U Curtu" ("le court", en raison de sa petite taille) fait régner la terreur dans toute l’île, n’hésitant pas à plonger les corps de ses adversaires dans des cuves de ciment ou encore à ordonner plus tard l’exécution du jeune Giuseppe Di Matteo, âgé de 13 ans, dont le corps sera dissous dans de l’acide, pour punir son père, un ancien parrain coupable d’avoir accepté de collaborer avec la justice.
Petit, trapu, toujours menaçant, Toto Riina ne s’est jamais repenti : "Je ne regrette rien, ils ne me briseront jamais", a-t-il confié un jour en prison à un autre détenu.
Aujourd’hui, la Pieuvre sicilienne est affaiblie, supplantée par la ‘Ndrangheta calabraise, qui domine le trafic de drogue. "On ne voit plus la mafia, elle s’est immergée et a ses hommes au Parlement", avertit tout de même Lirio Abate, qui tient à souligner que "depuis sa cellule, Riina ne dirigeait pas directement la mafia, mais il demeurait une figure charismatique pour l’organisation".
Une vie semée de morts et de dénis
Son premier meurtre, Toto Riina le commet en 1949, alors qu’il n’a que 19 ans. Il récidive un an après. Dans les années 1970, le trafic d’héroïne prend de l’ampleur et la Sicile en devient une plaque tournante. Toto Riina souhaite en prendre le contrôle. Les clans siciliens "assurent leur sécurité en corrompant les fonctionnaires italiens, par les relations plutôt que la violence. Leurs parrains sont médiatisés, connus des services de police", explique un enquêteur. Mais Toto Riina, chef du canton de Corleone, lui, est très discret. Il décide de changer la donne en faisant régner la terreur. Pour faire plier les autres clans, il lance une guerre sanglante qui fera plusieurs centaines de morts au sein des vieilles "familles" palermitaines. En 1982, il parvient à prendre la tête de la "Coupole", l’organe de direction de Cosa Nostra. Sa victoire marque le début d’une campagne de violence contre les représentants de l’Etat, fonctionnaires, procureurs, juges. Au total, Toto Riina aurait commandité plus de 150 meurtres.
Une vie paisible
Toto Riina a été arrêté le 15 janvier 1993. A cette époque, lui et sa famille se déplaçaient d’une ville sicilienne à l’autre, sous un faux nom. Lorsqu’il a été interpellé, ils se trouvaient à Palerme, la plus grande ville de Sicile. Giuseppe, le fils du parrain, avait 15 ans lorsque son père a été appréhendé. Il décrit une vie plutôt normale. "J’avais un groupe d’amis qui ignoraient notre vrai nom. Je passais beaucoup de temps avec mon frère, Giovanni (qui purge aujourd’hui une peine à perpétuité pour quatre meurtres), sur nos scooters ou au café. J’étais avec lui le jour où un ami a annoncé à tout le monde que Toto Riina avait enfin été arrêté. Il était surexcité par la nouvelle, mais il ne se doutait pas qu’il l’avait apprise à ses fils", a-t-il notamment raconté au "Nouvel Observateur" en 2016.
Déni à son procès
Le 2 mai 1995, le parrain apparaît publiquement à son procès. Quand le juge l’interroge sur ses liens avec la Cosa Nostra ? Sans la moindre hésitation, Riina répond : "Jamais entendu parler." A 65 ans, il opte pour une défense surréaliste et se présente comme un vieil homme analphabète, n’hésitant pas à affirmer : "Je n’ai jamais fréquenté d’associations criminelles."
Le parrain sur petit écran
Une série récompensée par plusieurs prix.
Trafic de drogue, meurtres, enlèvements, racket… Sa vie de criminel patenté aura défrayé la chronique judiciaire mais aura aussi inspiré la télévision. En 2007, une série voit le jour, créée par des producteurs italiens pour retracer sa vie, inspirée du livre d’enquête de Giuseppe D’Avanzo et Attilio Bolzoni, "Corleone". Cette série sera un vrai succès d’estime. En 10 heures, cette fiction dépeint l’ascension sanglante de cette figure du XXe siècle italien, depuis la mort de son père et de son frère, alors qu’il n’est qu’adolescent, jusqu’à sa chute. Baptisée "Il Capo dei Capi", cette série deviendra "Corleone" en français, du nom de la ville sur laquelle il exercera une domination sans partage. Corleone signifie par ailleurs "chef des chefs".
Le succès fut au rendez-vous, avec plusieurs prix raflés lors du "Telegatto", un concours télévisuel populaire en Italie, en plus des très bonnes audiences. La série a remporté les trophées de la Meilleure fiction, du Meilleur scénario, de la Meilleure réalisation, ainsi que celui du Meilleur acteur. Toto Riina fera savoir qu’il regardait la série lorsqu’elle était diffusée, chaque semaine, sur une chaîne de télévision nationale, depuis sa cellule.