Visites domiciliaires, Jan Jambon : les avocats saisissent Charles Michel
- Publié le 18-02-2018 à 19h53
- Mis à jour le 20-02-2018 à 14h18
Deux dossiers "judiciaires" ont fait l’actualité ces derniers jours. D’une part, le projet de loi visant à autoriser des visites domiciliaires afin de débusquer les illégaux refusant de quitter le territoire. D’autre part, la mise en cause, par le ministre de l’Intérieur Jan Jambon (N-VA) de la plaidoirie de Me Sven Mary, lors du procès de Salah Abdeslam.
Dans les deux cas, le président de l’Ordre des barreaux francophones et germanophone (Avocats. be), Me Jean-Pierre Buyle, que "La Libre" a rencontré, s’est adressé au Premier ministre Charles Michel (MR).
"On sait que M. Michel s’est emparé du dossier concernant les visites domiciliaires, ce qui n’est pas fréquent. Le président de l’OVB (le pendant néerlandophone d’Avocats.be NdlR) et moi l’avons rencontré et lui avons dit, avec fermeté, que s’il persistait, contrairement à ce que nous souhaitons, à faire avancer le projet, nous exigerions que les migrants recherchés soient assistés d’un avocat et que le juge d’instruction dispose d’une marge de manœuvre quant à la détermination de la mission des policiers et l’étendue de la visite domicilaire qui, est en réalité, une perquisition."
Dans l’affaire Jambon-Mary, Me Buyle a demandé au Premier ministre de recevoir les représentants des magistrats et des barreaux et de leur confirmer "sa conception de la séparation des pouvoirs. Nous attendons ce geste d’apaisement, qui permettrait à chacun de sortir de cette vilaine impasse".
Le projet sur les visites domicilaires ? Inacceptable
Sur le fond, Me Buyle considère le fait d’héberger un migrant non comme un délit mais comme "un droit fondamental et même un honneur".
A ses yeux, le projet prévoyant des visites domiciliaires, "qui a été curieusement initié par le CD&V mais est aujourd’hui porté par la N-VA", est, en l’état, inacceptable pour plusieurs raisons. "Ce projet est inconstitutonnel. Il viole deux principes non négociables, l’inviolabilité du domicile et le droit au respect de la vie privée à propos desquels nous ne transigerons pas. Il existe par ailleurs un conflit de valeurs entre la nécessité d’exécuter un ordre de quitter le territoire et la nécessité de protéger l’inviolabilité du domicile. On résout ce type de problèmes en recourant au principe de proportionnalité. Et pour nous, la valeur supérieure, c’est l’inviolabilité du domicile."
En outre, relève Me Buyle, il existe une disproportion entre la mesure envisagée et la réalité du problème. "L’Office des étrangers nous dit qu’en 2016, il y a eu 1903 contrôles au domicile et que 127 personnes contrôlées, soit 7 %, n’ont pas coopéré. C’est un chiffre minime. Faut-il régler ce petit problème par des mesures attentatoires à d’importants principes ? Enfin, on veut donner au juge d’instruction un rôle d’apposeur de cachet. Ce n’est pas admissible."
Pour Me Buyle, si un migrant est en séjour irrégulier, rien n’empêche aujourd’hui de désigner un juge d’instruction qui peut, le cas échéant, ordonner des perquisitions. "Pourquoi ne le fait-on pas ? Mystère."
Jan Jambon se moque du monde
Dans le dossier opposant le ministre Jambon à Sven Mary, Me Buyle est très remonté. "Jan Jambon, se rendant compte qu’il avait commis une erreur, affirme aujourd’hui qu’il a réagi en tant que citoyen et non en tant que ministre. Or, il a été clairement interrogé par les médias en sa qualité de ministre. Venir dire le contraire, c’est mentir, c’est se moquer du monde, c’est insulter la famille judiciaire. Nous prenons acte de son refus de faire des excuses et d’engager le dialogue et nous nous en souviendrons." D’où, d’ailleurs, le recours d’Avocats.be à l’arbitrage du Premier. Dont on attend désormais la réaction.
Il faut sauver l’institution du juge d’instruction
Le parquet n’est pas indépendant. S’agissant de la réforme de la figure du juge d’instruction (pour rappel, il est question de le transformer en juge DE l’instruction, qui se contenterait de contrôler l’enquête pénale, laquelle serait confiée au parquet), le ministre Geens a confirmé à Avocats.be que l’on en était toujours qu’au stade du rapport d’experts. Selon Me Buyle, "un renforcement des pouvoirs du ministère public affaiblit toujours les droits de la défense. Par ailleurs, le parquet n’a pas l’impartialité ni l’indépendance d’un juge d’instruction. Il est membre du pouvoir exécutif, le ministre de la Justice a sur lui des pouvoirs d’injonction. Le parquet travaille dans une structure hiéarchisée, il est soumis au respect d’une politique criminelle insufflée par l’exécutif et mise en œuvre par les procureurs généraux. Enfin, on ne peut demander sa récusation".
Une République des procureurs. M e Buyle s’inquiète aussi de la volonté de M. Geens de supprimer la possibilité pour le justiciable de se constituer partie civile. "Pour tous ces motifs, nous sommes opposés à la suppression du juge d’instruction. Je constate d’ailleurs que les procureurs généraux le sont aussi car eux ne veulent pas d’un juge qui contrôlerait le parquet. L’exécutif veut mettre en avant une République des procureurs sauf pour certaines choses. Le projet dénature la procédure judiciaire, ce qui nous tracasse."
Une assurance dès 2018 ?
De nombreux dossiers sont sur la table d’Avocats. be. Me Buyle entend en faire avancer plusieurs dès cette année. "Pour nous, l’aide juridique est une priorité absolue. Une réforme est entrée en vigueur en septembre 2016. Nous en souhaitons une évaluation contradictoire en 2018. Il y a des éléments positifs dans cette réforme mais certains bureaux d’aide juridique nous parlent d’une diminution importante du nombre de désignations. Elle aurait été de 25 % en un an à Bruxelles. Certains éléments techniques peuvent expliquer cette réduction mais celle-ci pourrait aussi provenir de l’introduction d’un ticket modérateur et du contrôle qu’il faut désormais effectuer au sujet des ressources des justiciables. Nous sommes en train de rencontrer une série d’associations et les présidents des BAJ pour voir où le bât blesse."
Des avocats salariés
Par ailleurs, Avocats. be songe à créer des avocats "salariés" en aide juridique, comme il en existe au Canada. "L’assemblée générale a marqué son accord pour la création de cabinets pilotes, qui réuniraient des avocats employés, lesquels s’occuperaient des cas sociaux les plus compliqués."
S’agissant de la question de la TVA, Me Buyle se réjouit que les ministres des Finances et de la Justice se parlent "mais tout semble bloqué jusqu’en juin". Selon lui, instaurer une TVA sur l’aide juridique compliquera la vie des justiciables et des avocats. "Il y a toutefois des portes de sortie. En janvier, la Commission européenne a lancé une proposition de directive qui permettrait aux Etats membres d’adopter des taux de TVA réduits."
Une assurance, enfin ?
Avocats. be se montre également très attentif au sort de ceux qui ne tombent pas sous le coups de l’aide juridique mais ont des moyens réduits. "L’augmentation des droits de mise au rôle, l’instauration d’une TVA, la hausse des indemnités de procédure éloignent de nombreux citoyens de l’accès à la justice. Ils en sont réduits à se défendre eux-mêmes. A Bruxelles, les familialistes me parlent d’une diminution de 30 % de leur chiffre d’affaires. C’est préoccupant."
Pour Me Buyle, la solution pourrait passer par l’instauration d’une assurance protection juridique. "Pour qu’elle soit efficace, il faut étendre son champ d’application à des matières comme le droit familial ou le droit de la construction, établir un montant de prime modéré, autour de 200 euros, et créer des incitants fiscaux intéressants, ce que le ministre des Finances serait prêt à accorder."
Les avocats ne veulent pas d’un système de conventionnement. Cela tombe bien : les assureurs ne le demanderaient pas. Il faudra aussi déterminer un tarif horaire (de l’ordre de 150 euros) et réfléchir à une nomenclature de tarifs moyens, procédure par procédure, afin que les assureurs aient une prévisibilité.
Selon Me Buyle, les discussions pourraient aboutir cette année encore. "Le ministre Geens nous a en tout cas promis de nous faire une proposition avant le printemps."