Brexit: l'enlisement actuel profite surtout à une personne
- Publié le 22-05-2019 à 20h05
Les Britanniques votent ce jeudi pour les européennes. Le Brexit Party est annoncé grand vainqueur. Nigel Farage a été victime lundi d’un lanceur de milkshake. Goût banane-caramel salé pour être précis. Le fondateur du Brexit Party faisait campagne à Newcastle, ville de l’extrême nord-est de l’Angleterre qui avait voté pour rester dans l’UE lors du référendum du 23 juin 2016. Très énervé par cette agression, qui avait déjà visé ces derniers jours deux candidats d’extrême droite à l’élection européenne, il a écrit sur le réseau social Twitter : "Malheureusement, certains partisans du maintien dans l’Union européenne sont devenus radicalisés, à tel point qu’il devient impossible de faire campagne normalement. Pour qu’une démocratie civilisée fonctionne, vous avez besoin du consentement des perdants. Les politiciens qui n’acceptent pas le résultat du référendum nous ont menés à cela."
Ce seul message montre l’étendue du changement, de façade du moins, entre le Nigel Farage de l’époque Ukip (le Parti pour l’indépendance du Royaume-Uni) et le Nigel Farage du Brexit Party. Une semaine avant le référendum, le Farage version Ukip s’était fait photographier devant la reproduction géante d’une photo d’une foule de migrants traversant la frontière entre la Slovénie et la Croatie. Le commentaire de cette campagne de publicité en faveur du Brexit : "L’UE a échoué pour nous tous".
Au lendemain du scrutin, il avait quitté l’Ukip, qu’il avait cofondé et dirigé pendant plus d’une décennie. Il s’en était définitivement éloigné au cours des mois suivants, en raison du tournant résolument raciste pris par son ancienne formation, tout en restant député européen, une position qu’il occupe depuis 1999. Nigel Farage fera d’ailleurs l’objet d’une enquête du Parlement européen pour avoir reçu après son départ de l’Ukip des fonds non déclarés de la part du milliardaire Arron Banks, un ancien mécène de l’Ukip. La commission électorale britannique se penche également sur le financement du Brexit Party, afin de vérifier qu’il n’a pas reçu de l’étranger des dons non traçables via Paypal.
La "défense de la démocratie" remplace l’immigration
Nigel Farage a ensuite lentement commencé à reprendre pied dans la politique britannique. Le 23 novembre 2018, une ancienne représentante du Ukip avait ainsi enregistré le nom Brexit Party pour lui permettre de ne pas être repéré par les médias. Avant qu’il ne rejoigne officiellement ses rangs au début de l’année 2019 et ne lance officiellement l’entité le 12 avril.
Aujourd’hui, le mot immigration a quasiment disparu de son vocabulaire. Lors d’un meeting public, à Nottingham le 20 avril, il ne l’avait ainsi prononcé qu’une seule fois. Une ligne de conduite confirmée par de nombreux autres journalistes lors des meetings suivants. Il y a quelques semaines, il a justifié son retournement lors d’un entretien télévisé : "Pendant longtemps, il ne fait aucun doute que la question numéro un dans la politique britannique était l’immigration, les inquiétudes sur l’ouverture des frontières, son impact sur les salaires, l’accès à la santé publique. Aujourd’hui, la question numéro un est la démocratie, l’échec de nos partis politiques à tenir leur promesse".
Si les instituts de sondage assurent que l’immigration n’a jamais figuré de manière persistante parmi les préoccupations principales des Britanniques, ce nouveau message sur le respect de la démocratie, beaucoup plus inclusif et positif, fédère. Il lui permet d’être adoubé par des personnalités telles que l’ancienne ministre conservatrice Ann Widdecombe, devenue l’une de ses têtes de liste à l’élection européenne. Il lui permet de recevoir le soutien de nombreuses personnalités conservatrices et même d’associations conservatrices locales, et de toucher un tout nouveau public. "Nous chercherons à attirer les millions de personnes qui ont voté Ukip, les nombreux millions qui ont voté conservateur et Brexit, les cinq millions qui ont voté Brexit et Labour", avait prévenu Nigel Farage. "Nous chercherons à récupérer du soutien de tous côtés."
Le Brexit Party, loin devant
Cette stratégie fonctionne. Un sondage national publié vendredi dernier par l’institut YouGov a placé le Brexit Party très largement en tête de l’élection européenne avec 34 % des intentions de vote. Il en obtiendrait ainsi le double de son plus proche adversaire, les libéraux-démocrates (17 %). Le Labour est crédité de 15 % des votes, les Verts de 11% et les conservateurs de 9 %. Au total, les partis favorables à une rupture brutale avec l’UE recueillent 37 % d’intentions de vote, les promoteurs d’un second référendum 31 %.
Jusqu’à présent, l’Ukip réalisait d’excellents scores lors des européennes - il avait ainsi remporté celles de 2014 - avant de s’effondrer lors des élections purement nationales, étant désavantagé par le mode de scrutin uninominal à un tour. Le Brexit Party semble avoir mis fin à cette perspective jusqu’alors inéluctable : en cas d’élection générale anticipée, les sondages lui promettent la deuxième ou la troisième place, derrière les travaillistes mais devant ou à portée des conservateurs. À ne pas concrétiser le résultat du référendum, les principaux partis politiques ont mis en évidence leur refus, ou du moins leur incapacité à appliquer leur promesse, à respecter le jeu démocratique, et le manque de confiance qu’ils ont dans leurs concitoyens. Grâce au Brexit Party, ces derniers leur rendent la pareille.