Quand un garage délabré nous parle de démocratie
- Publié le 24-05-2019 à 10h36
Une chronique de Xavier Zeegers.
Le bulletin de vote n’est pas seulement une feuille à déposer dans l’urne. C’est le signe d’un engagement.
Quel rapport y a-t-il entre la possession d’un garage au sous-sol d’un immeuble que l’on n’habite même pas, et une réflexion sur la démocratie ? Voici qui se résume facilement. Habitant dans une rue où jadis même les camions de déménagement se garaient aisément, je dus me résoudre, les temps ayant bien changé, à acheter un abri pour ma modeste voiture, afin de ne plus chercher un petit espace entre les camions et caravanes squattant ma rue. Je n’attachai guère d’intérêt au fait de posséder une seconde résidence de moins de 10 m 2 , mais étant devenu propriétaire, fût-ce via cet appendice, je fus illico invité aux réunions du syndic d’immeubles. Auxquelles je ne donnai pas suite. Bien à tort, car au fil des ans je remarquai que le sous-sol avec ses 14 garages était lugubre, avec un escalier métallique dangereux, une électricité bricolarde et non conforme en sus d’une végétation perçant sous le toit. Allô le syndic ? Que faites-vous ? Rien, en fait. " Personne ne nous a jamais avertis jusqu’ici ." Je pensais naïvement que "les autres" auraient pu, auraient dû même, les alerter. Mais je compris dès lors que l’endroit, très peu glamour, lugubre, n’intéressait personne. Que chacun se satisfaisait de savoir sa bagnole à l’abri. Alors le reste…
Je répondis que l’entretien d’un immeuble, en ce compris les parties les moins "nobles", doit être global, se faire en bon père de famille selon l’expression consacrée. "Nous partageons pleinement votre point de vue, c’est pourquoi nous comptons bien sur votre présence à la prochaine réunion." Rappel élégant autant que pierre lancée dans mon jardin, mais que je pris fort bien, sachant que si le désintéressement est généralisé tout restera en déshérence, et j’en serai alors aussi responsable que les autres. Je fis donc des photos pour illustrer le point que je mis à l’ordre du jour. J’arrivai bien à l’heure, donc en avance. Personne. À l’heure pile, soit celle de commencer, nous étions trois. Je compris donc qu’une heure fixée n’implique pas le début de la séance, mais plutôt le moment à partir duquel les invités commencent à arriver au compte-gouttes. Une incivilité qui m’agace mais ne soyons pas maniaques : en Italie, être à l’heure pile tient de la grossièreté. Trente minutes après, nous étions douze présents, représentant 4 022/10 000es de copropriété. Le syndic dressa alors un procès-verbal de carence, aucune décision ne pouvant être prise, en vertu de l’article 577-5, 7 et 8 des dispositions légales. Une habitude, semblaient dire leurs moues dépitées. Perte de temps pour eux mais pour nous aussi, et certains la trouvèrent saumâtre : ainsi donc on n’évoquera pas ce soir la question lancinante de l’achat d’une nouvelle chaudière qui crispe les esprits, car jugée trop chère. Et au fait, pourquoi ne pas avoir sollicité plusieurs devis comparatifs avant d’approuver ou non une proposition toute faite ? La question ne sera donc pas posée. Cela cacherait-il une magouille ? Malaise. Quelqu’un propose qu’on se réunisse chez lui, sans tarder. Bigre, un coup d’État, un 18 brumaire carrément ? Je rappelle une évidence : minoritaires, nous ne pouvons décider de rien.
N’est-ce pas là justement le problème de toute démocratie : la participation ? Mon grain de sel philosophique n’émut personne : il faut du concret ! Eh bien revoyons-nous, mais bien plus nombreux. "Ne rêvez pas !" me lance-t-on. Mais le rêve n’a rien à faire ici. Il s’agit de choisir entre la passivité ou l’engagement. "Nous devons prendre nos responsabilités", tel est le mantra que répète à l’envi le personnel politique. Pourquoi ne pas le prendre au pied de la lettre ?
Le bulletin de vote n’est pas seulement une feuille à déposer dans l’urne, encore moins une corvée. C’est le lieu d’expression d’une volonté et d’un engagement. Méditons ces mots du philosophe Alain Etchegoyen : "Ce n’est pas être raisonnable que de reporter tout le poids sur le personnel politique quand, soi-même, on se désintéresse de leurs actions." Le repli sur soi, l’individualisme, voire le je-m’en-foutisme, sont le cimetière de la démocratie. Du plus petit garage au plus grand Empire.
Titre et chapô sont de la rédaction.