L’impôt sur le capital à la belge (OPINION)

Contribution externe

Une opinion d'Alain Siaens, ancien président du Comité de direction et du conseil d'administration de la banque Degroof et professeur extraordinaire à l'UCL.

Trop d’impôt tue l’impôt. La taxation des comptes-titres supérieurs à 500 000 euros est une mauvaise idée. Les riches vont quitter la Belgique, diminuant ainsi ses recettes fiscales.

Après la taxe d’abonnement sur les sicav, l’augmentation de la taxe sur les opérations de Bourse, après avoir relevé le précompte mobilier de 15 % ou 25 % à 30 %, voilà que le gouvernement annonce qu’il va instaurer l’embryon d’un impôt sur la fortune en taxant les comptes-titres supérieurs à 500 000 euros, à hauteur de 0,15 %. Ce nouvel impôt s’annonce hypercompliqué et très coûteux car sa perception ne sera pas simple à mettre en œuvre. Et son caractère potentiellement discriminatoire pourrait déboucher sur de nombreuses actions judiciaires.

Il aurait été beaucoup plus simple, et plus juste, d’augmenter encore le précompte mobilier à 32 %. Dans ce cas, si un contribuable recevait 1 000 euros via des revenus mobiliers, il paierait donc 320 euros de précompte et s’il recevait 100, il paierait 32.

La France, seule à imposer la fortune (le fameux "ISF"), avec des effets désastreux de sorties nettes de capitaux, songe à présent à exempter de l’ISF des actifs mobiliers. Mais au même moment, la Belgique s’apprête donc à pénaliser ceux-ci. Que faut-il en penser ?

1.  Déjà un ISF pour titres à revenu fixe ?

Les intérêts perçus d’un titre à revenu fixe (dépôts et obligations) sont appelés "revenu" par les juristes et le législateur. Mais ils ne constituent pas vraiment un revenu, ou alors marginalement. En effet, un "revenu" est ce que l’on peut consommer durant une période tout en demeurant aussi riche à la fin de cette période qu’à son début.

L’intérêt qu’on perçoit sert donc d’abord de "remboursement anticipé", une sorte de provision pour reconstituer la valeur réelle d’un capital prêté. De quoi compenser donc l’érosion monétaire qui découle notamment de l’inflation des prix; selon que l’intérêt perçu dépasse l’inflation ou lui est inférieur, se dégage en effet un revenu nominal positif ou négatif. Mais l’impôt est perçu sur le tout, y compris sur le "remboursement", ce qui occasionne souvent un revenu réel net négatif.

Prenons un exemple avec un taux moyen nominal brut des bons d’Etat d’environ 0,5 % - proche de la situation actuelle. Dans un an, après application d’un précompte mobilier de 30 %, l’épargnant qui a investi 100 euros aura en principe 100,35 euros. Mais, en fait, ce montant ne représentera plus en pouvoir d’achat constant que 98,38 euros, tenant compte d’une inflation qui avoisine les 2 % en Belgique. S’y ajouterait donc demain la taxe sur les comptes-titres (0,15 %), ce qui rendrait l’intérêt réel net perçu encore plus négatif, à -1,77 %. Le vrai revenu serait donc en fait imposé à 100 % et le capital lui-même à hauteur de 1,77 % !

2. L’épargnant se débarrassera de ses illusions

Malheureux seront donc ceux qui souscrivent à une obligation à long terme (10 ans) qui procure aujourd’hui un rendement brut nominal de 0,78 %, et ceci à la veille d’une hausse des taux d’intérêt, que l’on annonce inéluctable lorsque la Banque centrale européenne (BCE) cessera ses achats massifs d’obligations. Après avoir compris que, dans ces conditions confiscatoires, ces investisseurs perdent de l’argent, ils réagiront : ils épargneront moins, autrement et ailleurs. Et l’Etat empruntera plus cher à un coût réel net qui ne sera plus négatif.

3. Qu’en est-il du capital à risque ?

La taxe sur les comptes-titres, appelée certainement à augmenter (comme l’histoire le démontre pour toutes les assiettes taxables nouvelles), est un impôt idéologique, censé compenser un abaissement promis du taux d’impôt des sociétés de 34 % à 25 %, voire jusqu’à 20 %.

Aujourd’hui, ceux qui investissent du capital à risque (les actionnaires) supportent un taux d’impôt des sociétés de 34 %, un précompte de 30 % sur le dividende mobilier (portion du bénéfice net distribué), à quoi s’ajouterait la taxation de 0,15 % des comptes-titres. Si tout le bénéfice net est distribué par une société cotée, le taux d’impôt global dépassera donc 55,3 %. Si deux tiers du bénéfice sont distribués, l’impôt total s’établira à 48 %. De quoi se poser une question très simple : les actionnaires dirigeants de sociétés n’auraient-ils pas intérêt à se payer des salaires, plutôt que des dividendes ?

Si le taux d’impôt des sociétés est abaissé à 25 % (ce qui pourrait s’accompagner de la suppression de la panoplie si compliquée des niches fiscales et autres intérêts notionnels…), le capital à risque ne sera plus taxé qu’à 49 % ou 40 % selon qu’une société distribue l’intégralité du bénéfice réalisé ou seulement deux-tiers de celui-ci.

Cela aurait donc un effet positif pour ceux qui investissent du capital à risque et, en conséquence, pour la capacité d’investissement des entreprises belges. La compensation pour les finances publiques ne serait pas une taxe idiote (mondialement inédite) sur les comptes-titres, mais bien un relèvement du précompte mobilier touchant aussi les dividendes de sociétés étrangères.

4. Le scénario noir d’une taxation excessive

Taxer davantage l’immobilier et le capital à risque, comme certains l’imaginent, découragerait donc encore plus l’investisseur. L’investisseur immobilier supporte déjà des droits d’enregistrement, de mutation et de succession. L’investisseur en capital à risque subit, quant à lui, un cumul d’impôt des sociétés et de précompte sur dividendes dépassant le taux marginal le plus élevé de 50 % applicable aux revenus professionnels.

De nouveaux impôts imaginés sur le capital (par les partis de gauche) porteraient le prélèvement fiscal et parafiscal à un record européen. De manière dramatique, cela permettrait de mesurer le degré d’étatisation et de collectivisation d’une société.

Trop d’impôt tue l’impôt : assiettes et taux nouveaux de ce type auraient pour conséquence de diminuer la croissance et les recettes fiscales, non sans alourdir le service de la dette publique et son poids relatif. Trop taxés, les riches se délocaliseraient : outre des Belges, des immigrés fiscaux provenant du dernier pays à maintenir l’impôt sur la fortune, la France - mais qui va le supprimer sur la fortune mobilière -, quitteront la Belgique. Des impôts sur leurs flux de dépenses et de revenus s’évaporeront.

Il y a donc ce que l’on voit (les soi-disant recettes de la taxe sur les comptes-titres) mais surtout ce que l’on ne voit pas : la délocalisation et la contraction du capital à risque que l’on peut investir, pour contribuer à développer l’économie.

L’impôt sur le capital à la belge (OPINION)
©Blaise Dehon
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