Glenn Close, "late bloomer", "bunny boiler", et éternelle outsider
- Publié le 14-11-2018 à 11h34
- Mis à jour le 14-11-2018 à 11h53
Révélée tardivement à l’âge de 35 ans, la comédienne américaine s’est fait une spécialité des rôles de femmes indépendantes ou dominatrices.Au début de The Wife, Joan, le personnage que joue Glenn Close, apprend que son mari a reçu le prix Nobel de littérature. La récompense d’une vie au service des Lettres. La comédienne connaîtra-t-elle à son tour une reconnaissance tardive en remportant, enfin, son premier oscar ?
D’aucuns le lui souhaitent. Si un oscar ne fait pas la talent - combien de ses pairs, prestigieux, n’en ont jamais reçu ? - Glenn Close ne bouderait pas son plaisir. "Dans le cinéma, c’est la plus haute reconnaissance que vous puissiez obtenir. Elle représenterait beaucoup pour moi" confiait-elle récemment au Guardian.
La dernière fois que Glenn fut close de la statuette, c’était en 2011, pour son rôle de domestique transgenre dans Albert Nobbs. Elle perdit face à la championne toutes catégories, sa cadette de deux ans, Meryl Streep (vingt et une nominations, trois consécrations).
Afin de conjurer le sort, trente ans après sa première nomination pour Fatal Attraction (photo en tête d'article), qui la révéla au grand public, la sortie de The Wife, présenté au festival de Toronto dès septembre 2017, a été postposée d’un an. Sans doute à raison : Meryl Streep était nommée l’année dernière pour The Post et Frances McDormand l’emporta pour Three Billboards…
Un premier oscar à septante et un ans résumerait bien la carrière de celle qui se qualifie de "late bloomer", révélation tardive. Elle avait trente-cinq ans quand elle s’imposa en mère écrivain (déjà) et féministe de Robin Williams dans Le Monde selon Garp (1982).
Cette arrivée tardive au grand écran, via les planches, s’explique par une enfance et une adolescence aux marges, de par l’appartenance de ses parents à ce que Glenn Close considère comme une secte, le Moral Re-Armament. De surcroît, son père emmena la famille dans le Zaïre de Mobutu, dont il fut le chirurgien personnel. La jeune Glenn passe son adolescence dans des pensionnats de jeunes filles. "J’étais réprimée, paumée et culpabilisée" résumait-elle au Guardian en 2017. Mariée de force avant d’entrer à l’université, elle divorce à 22 ans, fonde une troupe de théâtre et prend son indépendance.
Quand le cinéma la découvre, elle n’a rien de la jeune première et est à rebours des canons de son époque. Mais son physique atypique et son talent la distinguent. Adepte de l’intériorité, c’est une actrice qui joue par soustraction, préférant l’émotion et la retenue à la performance. Son regard ou un simple mouvement des lèvres suffisent à traduire dans un frémissement la pire des menaces ou la plus profonde détresse. "Force et intelligence" résume Christopher Hampton qui l’a dirigée plusieurs fois sur les planches. Elle transmet ses qualités à ses personnages.
A Hollywood, trente-cinq ans est un âge ingrat pour les comédiennes, celui où elles ne peuvent plus jouer les séductrices mais sont encore trop jeunes pour interpréter les matriarches. L’outsider Glenn Close en fit sa distinction. Avec Fatal Attraction d’Adrian Lyne, elle invente la "bunny-boiler". Un néologisme né d’une scène fameuse du film où, à quarante ans (!), Glenn Close incarna la femme fatale ultime : Alex Forrest fut un croque-mitaine sexuel, en plein retour du puritanisme sur fond d’épidémie du sida. (En 1992, Sharon Stone enfoncera le clou - pardon : le pic à glace - dans Basic Instinct face au même Michael Douglas.)
La légende hollywoodienne a retenu son refus initial de retourner une version plus spectaculaire de la scène finale. "Vous pouvez me fait interner, mais rien ne m’y forcera" aurait-elle lancé aux producteurs qui voulaient suivre l’injonction du public - "Kill the bitch !" aurait-on dit dans les screenings tests. L’actrice l’estimait (à raison) invraisemblable et trouvait qu’elle réduisait Alex au rang de psychopathe, alors que la version initiale et son interprétation suggérait un traumatisme et laissait sa part de culpabilité à son amant.
Tout en regrettant encore ce changement, l’actrice concède ce que sa carrière doit à Alex. L’année suivante, elle doublait la mise avec son incarnation, magistrale, de la marquise de Merteuil dans Les Liaisons Dangereuses de Stephen Frears (1988), autre femme indépendante et dominatrice, mais fragile sous sa carapace de séduction. Depuis, elle en a fait collection, au risque, parfois, de l’enfermement dans le typecasting pour producteur paresseux. Mais toujours avec brio. Elle a régulièrement endossé la première des rôles féminins alors atypiques.
Sa Cruela de Vil fashionista des 101 Dalmatiens et sa suite (1996 et 2000) anticipe l’incarnation de son modèle évident (la rédactrice en chef de Vogue, Anna Wintour) par Meryl Streep dans Le diable s’habille en Prada (2006). Même sentiment concernant la directrice de journal qu’elle joua dans The Paper de Ron Howard (1994), inspirée de Martha Graham, patronne du Washington Post, qu’incarnera Meryl Streep, encore, dans The Post de Steven Spielberg. Et comment ne pas voir une anticipation de Claire Underwood de House of Cards dans sa composition en vice-présidente de fer de Air Force One (1997) - Robin Wright pourrait d’ailleurs jouer sa fille voire une jeune Glenn Close.
Mais l’actrice reste néanmoins l’éternelle outsider : célébrée pour ses rôles, mais peu exposée ni forcément bankable (même si elle fait régulièrement des caméos peu mémorables dans des blockbusters, comme, récemment, dans le premier Gardiens de la Galaxie).
Tout le monde connaît son nom, mais on la cite rarement spontanément dans sa liste d’actrices préférées ou de meilleures actrices - malgré la considération sans faille dont elle jouit.
Un effacement qu’elle assume et qu’elle attribue à son refus de jouer le jeu de l’industrie. Elle fuit Los Angeles comme les cocktails mondains. Elle reste discrète dans les médias. Ce qui explique, peut-être, ses échecs successifs aux oscars, où l’entregent importe autant que la performance.
Depuis le début des années 2000, l’actrice privilégie le théâtre. Elle s’y est encore récemment distinguée dans l’adaptation en comédie musicale de Sunset Boulevard, dans une mise en scène de son vieil ami Christopher Hampton et dont une version cinéma est en préparation. Son aura, sa filmographie, la place qu’elle occupe dans l’inconscient en font l’idéale incarnation de la star recluse Norma Desmond, à la mesure de Gloria Swanson, interprète originale du rôle. Elle aussi maintes fois nommée aux oscars et jamais récompensée…