"Nos pressions vont faire revenir l’Iran à la table des négociations", assure le représentant américain pour l'Iran
- Publié le 19-10-2018 à 12h10
- Mis à jour le 19-10-2018 à 12h12
Les États-Unis mettent en garde : faire des affaires en Iran favorise cette "économie opaque". Entretien avec Brian Hook, du département d’État américain.Dans deux bonnes semaines, les États-Unis vont accentuer la pression sur l’Iran. Washington, qui a quitté en mai l’accord international sur le programme nucléaire iranien conclu en 2015, va réinstaurer des sanctions contre les secteurs énergétique et bancaire du pays des mollahs. Brian Hook, représentant spécial pour l’Iran au département d’État, pense que cela va "ramener l’Iran à la table des négociations". Les avis de ce conseiller, habitué des postes haut perchés sous la présidence Bush, nourrit les décisions de Mike Pompeo. La Libre l’a rencontré lors de son passage éclair, cette semaine, à Bruxelles.
L’arrêt de la Cour internationale de justice (CIJ) qui demande que les sanctions n’entravent pas la fourniture des biens humanitaires va-t-il changer quelque chose à la mise en œuvre des sanctions américaines ?
Non. Nous menons notre politique de sanctions de manière souveraine. La CIJ n’a pas la compétence de nous dire comment nous devons faire avancer nos objectifs de sécurité nationale. La politique des sanctions des États-Unis ne vise pas le commerce humanitaire, cela n’a jamais été le cas, pour quelque pays que ce soit. Dans chaque régime de sanctions déployé dans le monde, nous avons de larges exceptions qui permettent la vente de nourriture, de médicaments et d’appareils médicaux par des Américains ou des non-Américains.
Les États-Unis ont beau dire qu’ils ne veulent pas un changement de régime en Iran mais vous savez bien que la détérioration des conditions de vie, que les sanctions vont sans doute accélérer, pourrait y mener à plus de grèves ou de manifestations que ces derniers mois et peut-être même à une révolution et un changement de régime. À quel point l’Administration Trump envisage-t-elle la faisabilité d’un tel scénario ?
Le futur de l’Iran est totalement dans les mains du peuple iranien. Les États-Unis n’ont pas à le décider pour lui. Nous avons des objectifs de sécurité nationale, sur lesquels nous sommes très concentrés : la prolifération des missiles, le terrorisme financier, les attaques informatiques, les transferts de milliards de dollars pour Assad…
Nous élaborons nos plans en fonction de ces objectifs-là, non d’un changement de régime. C’est seulement comme cela que ça marche. Cette dictature religieuse nuit à nos intérêts, à ceux des Européens et d’autres. Cela doit changer.
M. Pompeo a dit sa déception après l’annonce des Européens du "special purpose vehicule", un fonds de créances commun, pour que des entreprises puissent continuer à commercer avec l’Iran sans tomber sous le coup des sanctions américaines. Est-ce si contrariant pour les États-Unis que les Européens poursuivent une autre approche du dossier ?
Ce mécanisme est surtout symbolique car il n’y a presque pas de demande pour un tel dispositif. Plus de cent grandes entreprises en Europe ont décidé, face au choix qu’elles avaient entre le marché américain et le marché iranien, de privilégier leurs affaires aux États-Unis. Nous ne les avons pas sanctionnées, nous leur avons proposé un choix et elles ont pris leur décision en fonction de leurs propres intérêts économiques.
Ce n’est vraiment pas bon de continuer à faire des affaires avec l’Iran. C’est une économie opaque. Le régime iranien ne respecte pas un tas de normes internationales car si c’était le cas, il dévoilerait où l’argent va vraiment. Et il va vers des endroits très sombres et violents. Les investisseurs étrangers qui vont en Iran encourent d’énormes risques pour leur réputation. S’ils font des affaires avec l’Iran, ils facilitent les flux d’argent vers Assad, le Jihad islamique palestinien, ainsi que la prolifération de missiles en Irak, au Yémen, au Liban.
Pensez-vous qu’il est possible de changer cela ?
Si nous avons comme politique de faire des "affaires comme d’habitude" avec l’Iran, ce qui était la politique de l’Administration Obama, ce régime ne va ressentir aucune pression pour réformer ses normes bancaires. L’ayatollah (Khamenei) a un fonds spéculatif personnel, avec des milliards et des milliards de dollars, ce qui est étrange pour un religieux d’être un multimilliardaire. Mais telle est l’hypocrisie profonde de ce régime. Le peuple iranien est de plus en plus fatigué de cela, de voir combien ses moyens d’existence ont été détournés.
Nous pensons que les Iraniens peuvent avoir un meilleur niveau de vie avec un nouvel accord qui remplace l’accord actuel mais couvre aussi les activités balistiques et d’autres choses. C’était une grossière erreur de ne pas inclure les missiles balistiques intercontinentaux dans l’accord actuel. En effet, ce n’est pas tout pour un régime révolutionnaire de développer une bombe nucléaire, il faut encore les transformer en arme.
Avez-vous des contacts avec les autorités iraniennes pour discuter d’un nouvel accord.
Le Président et le secrétaire d’État ont dit être ouverts à un nouvel accord. Mais nous entendons que les autorités iraniennes ne veulent pas nous rencontrer. L’ayatollah a déclaré publiquement qu’il réclame l’hostilité avec les États-Unis. C’est dur de négocier avec des gens hostiles. Nos pressions vont les faire revenir à la table des négociations. Nous appliquerons les pressions nécessaires à réaliser nos objectifs. C’est juste le début.
Que partagez-vous encore avec l’Europe sur l’Iran ?
Je pense que mes homologues européens partagent la même estimation de la menace. Il est impossible d’ignorer les faits : l’Iran a étendu son agression régionale. Et nous ne pouvons permettre que la préservation de l’accord sur le programme nucléaire se fasse aux dépens de la stabilité régionale.
La question pour les Européens est : comment allez-vous faire pour reconnaître cela sans causer la sortie de l’Iran de l’accord ? En en étant sortis, les États-Unis ne subissent plus les mêmes contraintes diplomatiques que l’Union européenne. Cela nous permet une grande marge de liberté pour poursuivre nos objectifs de sécurité nationale et créer le levier diplomatique nécessaire à obtenir un nouvel accord.