Pourquoi le torchon brûle entre Erdogan et Trump
- Publié le 20-08-2018 à 06h10
- Mis à jour le 28-08-2018 à 08h19
Le président turc a profité du congrès de son parti, samedi à Ankara, pour défier les Etats-Unis.Nous ne nous livrerons pas à ceux qui se présentent comme notre partenaire stratégique, alors qu’ils s’efforcent de faire de nous une cible stratégique", a lancé M. Erdogan lors d’un discours à Ankara.
"Certains croient pouvoir nous menacer avec l’économie, les sanctions, les taux de change, les taux d’intérêt et l’inflation. Nous avons mis au jour vos manigances et nous vous défions." Le président turc s’exprimait lors d’un congrès du Parti de la justice du développement (AKP, islamo-conservateur) à l’issue duquel il a été reconduit à sa tête avec l’ensemble des 1 380 votes exprimés, selon l’agence de presse étatique Anadolu.
Tensions avec les démocrates
La tension est donc maximale entre les présidents turc et américain. Pourtant, en novembre 2016, Recep Tayyip Erdogan était un des premiers à se féliciter de l’élection du républicain à la Maison-Blanche. Il faut dire que les derniers temps avec l’administration Obama avaient été rudes et les relations américano-turques des plus tendues. C’est que les Etats-Unis avaient décidé de s’appuyer en Syrie sur les milices kurdes du YPG, proches des "rebelles" kurdes du PKK, pour lutter contre l’Etat islamique. La tension allait encore monter d’un cran après la tentative de coup d’Etat manquée du 15 juillet 2016. Les Etats-Unis condamnaient trop mollement ce putsch, selon Ankara, qui demandait, sans l’obtenir, l’extradition du prédicateur Fethullah Güllen, exilé en Pennsylvanie et présenté par le pouvoir turc comme l’instigateur de ce coup d’Etat. Dans la foulée, la justice américaine lançait une enquête pour trafic d’or à destination de Téhéran, en contravention de l’embargo imposé contre l’Iran par Washington, contre la banque publique turque Halkbank. Plusieurs proches d’Erdogan se retrouvaient ainsi dans le collimateur américain. Dans ce contexte, l’arrivée de Trump, candidat anti-establishment, en rupture complète avec son prédécesseur, avait de quoi séduire l’homme fort d’Ankara.
Eté catastrophique
Finalement, la lune de miel ne débutera jamais. Pis, aujourd’hui, le ton est presque à la rupture. En cause, les sanctions (gel des avoirs aux Etats-Unis) prises depuis le 1er août par le président américain contre les ministres de la Justice et de l’Intérieur turcs. Deux ministres ciblés parce qu’ils sont "les dirigeants des institutions responsables au sein du gouvernement turc de la mise en œuvre des violations sérieuses des droits de l’homme en Turquie". Le 10 août, Donald Trump en remet une couche en annonçant, via Twitter, le doublement des taxes américaines sur l’acier et l’aluminium turcs. Des mesures, et la perspective de nouvelles sanctions, qui feront dévisser la livre turque.
Au centre de cette crise, le pasteur Andrew Brunson, installé en Turquie depuis 23 ans et arrêté en octobre 2016, dans la valse des rafles qui ont suivi le coup d’Etat avorté. Pour Ankara, Brunson, qui dirigeait une paroisse évangélique presbytérienne, était de mèche avec des putschistes. Brunson a toujours clamé son innocence. Pour Erdogan, il s’agissait d’envisager un troc avec Washington. Le pasteur contre le prédicateur Güllen, l’ennemi juré d’Erdogan, l’homme considéré comme l’instigateur du coup d’Etat. Impossible pour Washington, d’autant qu’au fil des mois de sa détention, Brunson est devenu un symbole pour la communauté évangélique américaine. Mike Pence, le vice-président américain, est lui aussi un chrétien évangélique, c’est lui qui a été un des premiers à brandir la menace de sanctions contre Ankara. Trump a ensuite pris le relais, poussé dans le dos par le lobby évangélique.
Erdogan a mal évalué le risque. Washington se serait aussi cabré à la suite de l’échec de tractations secrètes entre les deux capitales. Les deux Etats avaient négocié la libération du pasteur en échange d’une réduction substantielle de l’amende infligée par le Trésor américain à la banque publique turque Halkbank. Le deal aurait dû se concrétiser fin juillet. Mais, au dernier moment, Erdogan a voulu faire monter les enchères en exigeant l’abandon complet des poursuites contre la banque. Un petit jeu qui a irrité Trump qui, quelques jours plus tard, lançait le train des sanctions. Un article évoquant ce deal a été publié sur le site du grand journal turc "Hürriyet". Il ne sera resté que 24 heures sur le site avant de disparaître. L’éditorialiste de ce même journal, souvent présenté comme le porte-parole officieux du pouvoir a publié, le 14 août, une chronique dans laquelle il explique que si de nouveaux éléments devaient apparaître dans le dossier du pasteur, celui-ci pourrait retrouver le chemin de la liberté. La désescalade passe par là. Un élément factuel permettrait à Erdogan d’infléchir sa position sans perdre la face.