Taxer les géants du Web sera un casse-tête
- Publié le 22-09-2017 à 15h18
- Mis à jour le 22-09-2017 à 15h19
La Commission européenne a lancé un vaste chantier en vue de taxer plus efficacement les géants du Web. Alors que la France a lancé sa propre initiative avec neuf autres Etats, la Commission privilégie une autre option. La proposition française de taxer les géants du numérique sur base de leur chiffre d’affaires a eu le mérite de mettre cette question à l’agenda. Ce jeudi, Valdis Dombrovskis, vice-président de la Commission européenne, a lancé un nouveau programme en vue d’aboutir à une taxation "équitable" de l’économie digitale.
Si les Européens sont globalement d’accord avec cet objectif, ils semblent désunis sur la façon d’y arriver. Pour l’heure, dix pays (dont l’Italie, l’Espagne et l’Allemagne mais pas la Belgique) ont rallié la proposition française de taxer les géants du Web sur base de leur chiffre d’affaires.
Relancer l’assiette commune
Cette action groupée (et d’autres unilatérales) ne plaît pas à la Commission européenne qui y voit un danger pour le marché unique. Ce danger a poussé l’exécutif européen à faire un état des lieux du problème et des pistes de solutions pour mieux taxer l’économie numérique.
Si la Commission européenne n’écarte pas la proposition française, elle privilégie une autre approche pour faire payer aux Google, Facebook ou Amazon leur juste part d’impôt. Selon l’exécutif européen, le projet d’assiette commune consolidée pour l’impôt sur les sociétés (Accis) est la meilleure option pour faire passer les géants du numérique à la caisse.
Pour rappel, le projet Accis consiste à taxer les multinationales en fonction de leur présence dans chaque pays, qui est mesurée en fonction d’une série d’indicateurs (actifs, ventes, emploi…). Ce projet s’imposerait à toutes les sociétés, qu’elles soient numériques ou pas. Le problème est qu’Accis ne fait pas l’unanimité parmi les Etats membres. Sur la table depuis 2011, il requiert justement une décision à l’unanimité.
Par ailleurs, la Commission européenne a relevé plusieurs difficultés posées par la proposition française de taxer le chiffre d’affaires. "Comment peut-on définir une entreprise digitale", "qu’est-ce qui constitue son chiffre d’affaires", "cette taxation serait-elle compatible avec les accords bilatéraux contre la double imposition et avec les traités de libre-échange ?", se demande la Commission. Dans un monde idéal, elle estime qu’il serait judicieux d’avancer avec l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) sur ce sujet. Faute de quoi, elle déposera ses propres propositions au printemps 2018.
Taxer les transactions
Si elle privilégie la réforme Accis, la Commission européenne a aussi présenté trois solutions de court terme. La première est la proposition française de taxer le chiffre d’affaires des géants du Web. Les deuxième et troisième options consisteraient à prélever une commission sur les paiements ou transactions réalisés par les consommateurs ou entreprises avec les géants du Web installés dans d’autres pays. A l’heure actuelle, si on ne sait pas quelle solution va émerger, on sait déjà que ce sera un fameux casse-tête.
Pourquoi une refonte globale du système de taxation est nécessaire
La numérisation croissante de l’économie a permis aux géants du Web de payer des impôts sans commune mesure avec leurs profits réels. Selon la Commission européenne, les entreprises digitales paient, en moyenne, un impôt de 9 %, c’est-à-dire moins de la moitié de celui dont s’acquittent les entreprises traditionnelles.
Or le secteur digital prend de plus en plus de poids dans l’économie, au risque de mettre en péril les recettes fiscales des Etats. Entre 2008 et 2016, les revenus des cinq plus importants magasins en ligne ont grimpé de 32 %, en moyenne, par an. Sur la même période, l’ensemble du secteur "retail" n’a progressé que de 1 % par an.
Pourquoi est-il compliqué de taxer les entreprises du numérique ? En réalité, les règles fiscales ne sont plus adaptées au monde actuel. Par exemple, la Belgique ne peut taxer les bénéfices d’une entreprise que si cette entreprise dispose d’un établissement stable dans notre pays. Jusqu’à l’avènement du numérique, cette condition de l’établissement stable ne posait pas de problèmes aux Etats.
Mais les entreprises digitales sont tout à fait capables de vendre leurs produits et services dans un pays sans y avoir d’établissement stable. Par exemple, il est possible de vendre un accès à du streaming musical à des Belges depuis un autre pays. Ainsi, il est possible pour une entreprise digitale de vendre ses services dans un pays sans y payer d’impôts.
Pour remédier à cela, il est nécessaire de modifier cette règle de l’établissement stable. En créant notamment la notion d’établissement stable numérique. On ajouterait aux critères actuels des critères de présence digitale.
Prix de transferts à modifier
Un autre élément à modifier concerne les prix de transferts, c’est-à-dire les montants que se facturent entre elles les différentes entités d’une même multinationale. La règle générale des prix de transferts est qu’une entreprise doit facturer un service ou un bien au prix du marché.
Or il est compliqué de mesurer la valeur de la propriété intellectuelle d’Apple ou de Facebook. Cette lacune permet à des entreprises du numérique de faire transiter d’énormes sommes d’argent d’un pays à l’autre pour rémunérer la propriété intellectuelle. Et c’est justement dans des entreprises enregistrées dans des paradis fiscaux qu’est logée la propriété intellectuelle.