Cadences infernales, minutage des tâches, contrats précaires: bienvenue dans l'enfer des call centers belges
Du 22 au 26 octobre, les syndicats organisent des actions de sensibilisation dans de nombreux centres d’appels du pays, pour dénoncer notamment les conditions de travail désastreuses. Plusieurs entreprises sont pointées du doigt.
- Publié le 22-10-2018 à 18h15
- Mis à jour le 22-10-2018 à 18h28
Du 22 au 26 octobre, les syndicats organisent des actions de sensibilisation dans de nombreux centres d’appels du pays, pour dénoncer notamment les conditions de travail désastreuses.
Comme chaque année en automne, se tient une semaine d’action mondiale dans les contacts centers. "Nous mettons cette année en lumière l’insupportable pression qui est mise sur le les épaules des 500.000 travailleurs du secteur" explique Claude Lambrechts à nos confrères de La Dernière Heure. Il est le secrétaire national du syndicat de la Centrale nationale des employés (CNE).
Cadences infernales, objectifs (parfois irréalistes) à atteindre, contrôle de performance permanent, horaires difficiles et contraignants, flexibilité, contrats précaires... Bien souvent, avec de telles conditions de travail, un haut niveau de stress des travailleurs régit dans les contacts centers. "C'est un secteur super difficile, il y a un minutage permanent des tâches, les cadences sont très élevées et même les pauses pipi sont minutées et en permanence négociées par les employeurs qui tentent de les réduire au minimum" fustige Youssef Chihab, permanent CNE et spécialiste sur les questions relatives aux call centers.
La situation en Belgique
Au niveau du profil des travailleurs, ce sont très souvent des femmes qui sont à mi-temps sous contrat intérimaire via lesquels la législation de ce type de contrat n'est pas toujours respectée.
Et en Belgique, on compte près de 90.000 travailleurs dans ce secteur pour quatre gros opérateur, dont IPG et Webhelp, qui sont les deux principaux. Pour le premier, le syndicat a réussi à obtenir des avancées majeures, notamment le respect de la législation des contrats intérimaires et de meilleures conditions de travail.
Mais du côté de Webhelp, c'est plus épineux. "Nous les avons mis en demeure récemment pour cause de non-respect de la législation des intérimaires, d'ailleurs le bureau d'intérim en question va également leur demander de la respecter mais pour le moment, nous attendons toujours des réponses" avance Youssef Chihab. Entre temps, le syndicat avait désigné un travailleur délégué syndical au sein de la société, "qui a été viré depuis" précise-t-il. Mais depuis un an et de nouvelles élections sociales, un délégué syndical est enfin présent au sein de l'entreprise.
De grandes entreprises belges sous-traitent ce genre de services, comme Touring Assistance et Proximus.
Et généralement, ce sont les clients-donneurs d’ordre qui sont à l’origine d’un dumping social et salarial féroce au sein du secteur. Pour faire simple, ils en demandent toujours plus pour un prix toujours plus serré. "Jugez plutôt : le prix moyen de facturation des services est passé de €40/h à €28/h en 15 ans. Quant au système de facturation, il est passé d’une facturation au mois à un prix par appel, majoré ou minoré en fonction des résultats" ajoute Claude Lambrechts.
Pour les travailleurs, cette course au low cost a de lourdes répercutions sur les conditions de travail et les salaires. Les contacts centers offrant les conditions de travail les moins bonnes sont avantagés sur le marché, et dès que les syndicats améliorent les conditions de travail dans un centre d’appel, d’autres acteurs apparaissent sur le marché et cassent les prix. Cela a aussi pour conséquence directe un recours de plus en plus fréquent à l’externalisation à l’étranger. Ce que n'avait pas hésité à faire Bruxelles Propreté il y a quelques années par exemple. En installant des call centers à Istanbul, la société IPG visait la communauté Turque vivant en Flandres, "et des contrats leur avaient été proposés pour qu'ils aillent vivre et travailler là-bas, ainsi ça leur revenait moins cher mais les employés gagnaient moins pour des conditions de travail encore pires" révèle Youssef Chihab.
Avant de poursuivre : "Pour diminuer les coûts, de nombreuses entreprises délocalisent à l'étranger, souvent au Maroc et en Turquie et le problème c'est qu'on met en concurrence les travailleurs, ce qui finit par précariser le secteur".
En Belgique, la majorité des employés du secteur travaillent en Belgique, il n'y en aurait qu'une dizaine à l'étranger selon le syndicat de la CNE.
Les syndicats font bouger les lignes
Pour lutter contre cette course à la compétitivité, les organisations syndicales militent pour l’instauration d’un dialogue social et l’adoption de normes communes spécifiques aux contacts centers au niveaux belge et européen.
La semaine d’action des contacts centers, initiée depuis 2006 par UNI ICTS (le Syndicat mondial des travailleurs des télécoms et des centres d’appel), est l’occasion de sensibiliser les travailleurs. UNI ICTS a aussi pour mission d’approfondir la coopération entre les différentes délégations des contacts centers et a d’ailleurs réuni les organisations syndicales européennes du 8 au 11 octobre dernier à Anvers pour coordonner l’action syndicale.
Une action de sensibilisation symbolique
Durant la semaine d’action dans les contacts centers, les organisations syndicales distribueront symboliquement des presse-tubes qui permettent de vider le dentifrice "jusqu’à la dernière goutte" à l’image des pressions subies par les travailleurs. "Nous mettrons également en évidence l’importance pour les travailleurs du secteur d’être affilié auprès d’un syndicat. Chez Touring Assistance, nous avons par exemple fait une campagne de sensibilisation, et de nouvelles conditions de travail sont en place depuis ça avec tous les efforts de nos délégués syndicaux. Les conditions de travail ne sont pas encore acceptables, on aimerait vraiment arriver à une régulation du secteur" conclut Claude Lambrechts, ecrétaire nationale du syndicat de la Centrale nationale des employés (CNE).
"Nous ne sommes que des numéros"
Après 11 ans de carrière au sein de trois grandes entreprises spécialisées dans le contact center, Marie* ne pense plus qu'à une seule chose "quitter son job dès qu'une opportunité se présentera". Les raisons ? "La pression est de plus en plus élevée, on est vraiment considéré comme de simples numéros et le plus important c'est de faire du chiffre, du chiffre et toujours du chiffre" insiste-t-elle. Alors qu'elle travaille dans une société de taille plus modeste et qu'on lui avait assuré des tâches plus variées et de meilleures conditions de travail, rien n'a changé depuis qu'elle est arrivée.
"Plus l'entreprise a pris du volume, plus on a ressenti le cachet du call center, c'est-à-dire plus de pression, d'attentes élevées et où on rentre dans ce moule où seule la productivité compte" regrette Marie.
Et le plus grand problème pour elle dans ces cas-là, c'est la passation de pouvoir entre l'employeur et le client donneur d'ordres. "Depuis quelque temps, la mobilité interne est assurée par le client donneur d'ordres et plus par notre employeur. Du coup, il fait ce qu'il veut".
Résultat, Marie se retrouve toujours à passer uniquement des appels malgré les promesses tenues lors de l'embauche. "Et en plus, on nous demande de faire de la vente, ce qui n'était pas du tout prévu, beaucoup n'y sont pas formés d'ailleurs et n'ont donc pas les compétences".
Dans la société de Marie, tout passe donc par le donneur d'ordres et depuis que c'est le cas, "il y a une réelle démotivation générale et le taux d'absentéisme est élevé" constate-t-elle.
*Le prénom a été modifié