Ingrid, les ondes wi-fi ne sont sans doute pas coupables

Contribution externe
Ingrid, les ondes wi-fi ne sont sans doute pas coupables
©D.R.

Une opinion de Julien Hendrickx et Maxime Taquet, respectivement professeur de mathématiques appliquées à l'UCL et chercheur à la Boston University; médecin chercheur à l'Université d'Oxford et chercheur post-doctorant à la Harvard Medical School.
Les traitements pour les patients se disant atteints d’électrosensibilité - qui souffrent réellement - font encore l’objet de recherches, mais les thérapies cognitivo-comportementales semblent les plus prometteuses.

Dans l’article "Danger des ondes : ‘Une catastrophe sanitaire est en train de se jouer’ " (LLB 26 octobre 2018), Ingrid, prénom d’emprunt, nous explique être électrosensible et en avoir eu la confirmation par une expérience scientifique. Souffrant entre autres d’arythmie cardiaque, de bouffées de chaleur et d’insomnies, elle a constaté que ses maux disparaissaient lorsqu’elle éteignait le routeur wi-fi et qu’ils réapparaissent lorsqu’elle le rallumait. Mais peut-on réellement en conclure que les ondes du wi-fi sont la source de ses symptômes, comme elle le suggère ?

Imaginons qu’un ami nous dise qu’il est persuadé que les araignées sont dangereuses pour la santé. Chaque fois qu’il en voit une dans sa chambre, il se met à souffrir de palpitations et d’insomnies. Sitôt que sa femme tue l’araignée, ses symptômes s’estompent. Chaque fois qu’une autre araignée surgit, ses symptômes réapparaissent. En conclurions-nous que les araignées sont effectivement dangereuses ou serions-nous plutôt amenés à croire que cet ami est atteint de phobie ?

Expérience à l’aveugle

Pour répondre à ces questions, il faudrait en fait cacher la cause des symptômes (allumer ou éteindre secrètement le wi-fi, introduire ou sortir secrètement une araignée dans la garde-robe) et demander à notre ami s’il ressent ou non les symptômes. Bien sûr, après avoir réalisé l’expérience une seule fois, nous ne pourrions pas savoir si le résultat est dû à un simple coup de chance ou non. L’expérience devrait donc être répétée un grand nombre de fois pour être certain que chaque fois que le wi-fi est allumé, les symptômes apparaissent et chaque fois qu’il est éteint, les symptômes disparaissent. C’est ce que l’on appelle une expérience à l’aveugle et c’est ce que les scientifiques utilisent pour tester, entre autres choses, l’efficacité d’un médicament ou les risques qu’une substance cause le cancer.

Quel traitement ?

Si une expérience à l’aveugle avait été réalisée dans le cas d’Ingrid, il est fort à parier qu’elle n’aurait pas ressenti les symptômes plus fréquemment lorsque le wi-fi est allumé que lorsqu’il est éteint. Comment le savons-nous ? Parce que de telles expériences à l’aveugle ont été réalisées chez plus de mille personnes "électrosensibles". Leur conclusion est que ces personnes ne perçoivent pas plus les symptômes lorsque le wi-fi est allumé que lorsqu’il est éteint, tant qu’elles ne le savent pas. Pour remettre ces conclusions en question, une simple anecdote ne suffit pas : de nouvelles expériences rigoureuses devraient être réalisées.

Tirer des conclusions sur base d’expériences non rigoureuses présente un réel danger, particulièrement à l’heure où ces conclusions peuvent rapidement être diffusées via les réseaux sociaux. Revenons tout d’abord au cas d’Ingrid et des autres patients "électrosensibles". Chercher à tout prix à éviter les ondes dans un monde où elles sont de plus en plus présentes risque d’être une source de stress insoutenable. De plus, elle pourrait être amenée à avoir besoin d’ondes pour d’autres raisons médicales (imagerie, radiothérapie…) et s’en priver pourrait avoir des conséquences désastreuses. Les traitements pour les patients se disant atteint d’électrosensibilité font encore l’objet de recherches mais les thérapies cognitivo-comportementales semblent les plus prometteuses. Celles-ci tentent de changer la perception que les patients ont des ondes plutôt que de les encourager à les éviter.

La souffrance d’Ingrid est réelle

De façon plus générale, des croyances incorrectes basées sur des expériences peu rigoureuses peuvent mener à des mauvaises décisions et à des prises de risque inutiles. Il n’y a aucun problème à ce qu’une personne éteigne son routeur wi-fi la nuit. Mais qu’en est-il si des associations de patients "électrosensibles" cherchaient un soutien politique pour interdire ou limiter les ondes dans les lieux publics, les écoles ou les hôpitaux. L’impact sur notre système éducatif et nos soins de santé pourrait être non négligeable. Par ailleurs, en maudissant une technologie sur base d’anecdotes, on s’expose à toutes sortes de manipulation. En particulier, ces anecdotes sont le pain bénit des promoteurs de dispositifs censés protéger des ondes qu’ils vendent à bon prix à un public dupé. C’est pourquoi il est capital de distinguer une impression basée sur une anecdote ou une pseudo-expérience du résultat d’expériences scientifiques rigoureuses.

La souffrance qu’Ingrid subit est bien réelle et nous espérons qu’elle trouvera des remèdes durables à ses maux. Cependant, les ondes wi-fi n’en sont vraisemblablement pas coupables. Les remettre en cause peut mener à plus de tort que de bien à la fois pour Ingrid et pour la société en général.

Titre et chapeau sont de la rédaction. Titre original : "Wi-fi et électrosensitivité : soyons aveugles".

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