Christian Brotcorne (cdH) comprend la grogne judiciaire: "Entre le discours et les faits concrets, il y a un monde de différence”
- Publié le 19-03-2018 à 15h51
- Mis à jour le 19-03-2018 à 22h09
Le député cdH Christian Brotcorne est membre de la commission Justice de la Chambre. Au sujet du rassemblement des acteurs du monde judiciaire prévu ce mardi, à 15 heures, sur les marches du Palais de Justice de Bruxelles, il se montre compréhensif. “Je comprends leur volonté d’interpeller le monde politique à propos de l’état de la justice car il y a, en effet, beaucoup à en dire.”
Vision comptable
Christian Brotcorne ne nie pas des qualités certaines au ministre de la Justice, Koen Geens (CD&V). “Sur sa volonté de réformes, je n’ai pas de difficultés à le suivre et je crois ses intentions sincères mais entre le discours et les faits concrets, il y a, hélas, bien souvent un monde de différence.”
Pour M. Brotcorne, le problème vient de l’approche extrêmement comptable que le gouvernement a de la justice, une vision que le ministre assume pleinement. “Je constate que, à la différence de ses prédécesseurs, le gouvernement actuel n’a pas épargné les départements de la Justice et de l’Intérieur, impactés comme les autres par des économies linéaires.”
Cela conduit, regrette le député humaniste, à des décisions dommageables pour le monde de la justice mais surtout pour le citoyen. “L’exemple le plus parlant est la décision prise par M. Geens de ne remplir les cadres des juridictions qu’à hauteur de 90% alors que c’est la loi qui fixe ces cadres. Ajoutez à cela que les places vacantes ne sont publiées au Moniteur qu’au départ du titulaire d’une fonction judiciaire alors qu’auparavant ce départ était anticipé et que l’on ne tient pas compte des absences de longue durée qui frappent certain magistrats et vous vous étonnerez que les juridictions travaillent avec des effectifs insuffisants.”
Un dangereux mouvement de privatisation
Christian Brotcorne pointe par ailleurs du doigt un mouvement de privatisation d’une justice qui est, pourtant, par essence, un service public. “On sent une volonté de lui enlever toute une série de compétences. Je ne suis pas hostile à un certain degré de déjudiciarisation mais on va très loin”. Et l’élu CDH de citer plusieurs exemples: “le recouvrement des dettes incontestées est désormais un monopole d’huissiers, il ne nécessite plus l’intervention d’un juge; le ministère public ne donne plus son avis dans les affaires familiales ou de droit du travail alors qu’il avait souvent connaissance de situations ignorées par le juge du fond qui pouvait en tenir compte dans sa décision, etc.”
M. Brotcorne n’est pas hostile au développement de la médiation “mais pas si c’est uniquement dans le but de sortir certains litiges de la sphère judiciaire. En outre, le système n’est pas viable sans incitants fiscaux ou financiers”.
Il s’inquiète encore de la volonté du gouvernement de créer, à Bruxelles, une cour anglophone chargée d’arbitrer les différends commerciaux entre sociétés internationales. “On va ponctionner la cour d’appel de Bruxelles pour faire fonctionner cette juridiction qui coûtera cher et tout cela alors que la boutique a d’énormes difficultés à tourner au quotidien.”
Autre sujet de préoccupation: la volonté de réduire les procédures, qui, selon lui, met en danger le principe du procès équitable. “Multiplier les chambres à conseiller unique, limiter le droit de faire appel ou opposition, regrouper les justices de paix, faire peser sur elles de nouvelles obligations en donnant la compétence du juge de paix sur des litiges allant jusqu’à 5000 euros, ce n’est pas simplifier la justice, c’est l’affaiblir et les droits des justiciables avec”.
Coût élevé et vision sécuritaire
M. Brotcorne s’inquiète aussi du coût de l’accès à la justice: “l’augmentation des droits de greffe, l’imposition d’une TVA de 21% sur les honoraires des avocats, l’imposition d’un ticket modérateur à ceux qui ont recours à l’aide juridique, tout cela aboutit à ce que les citoyens, et souvent les citoyens les plus fragiles, sont désormais appelés à co-financer le fonctionnement de la justice. Ce que beaucoup n’ont pas les moyens de faire. Ils renoncent donc tout simplement à faire valoir leurs droits.”
Enfin, Christian Brotcorne se plaint du fait que, pendant que M. Geens défend l’idée que la prison doit être la solution ultime et prône les sanctions alternatives, il ne se passe pas de semaine sans que des élus de la majorité déposent des textes ou tiennent des discours visant à durcir les peines, à limiter les possibilités d’octroi de la liberté conditionnelle ou à installer des peines de sûreté.
“De façon plus générale, et bien que je comprenne qu’après les attentats de Paris et de Bruxelles il a fallu protéger notre population contre la menace terroriste, je n’apprécie pas beaucoup le discours sécuritaire ambiant, ni l’adoption de lois qui sont souvent jugées, a posteriori, illégales par la Cour constitutionnelle. Des lois bien souvent votées en force par la majorité, en dépit des mises en garde des professionnels de terrain et des élus de l’opposition.”