Affirmer que les académies de musique relèvent de "l’activité socioculturelle de loisir" est mensonger, grossier et dégradant

Contribution externe
Dire que les académies de musique relèvent de "l’activité socioculturelle de loisir" est mensonger, grossier et dégradant
©HAULOT ALEXIS

Ce texte est un droit de réponse à l'opinion de Madame Messiaen, paru le 24/10/2018Il est cosigné par des directeurs, sous-directeurs et membres de l’association des Académies de la Région de Bruxelles Capitale, des membres du Conseil de l’Enseignement des Communes et des Provinces ainsi que de la Fédération des Etablissements Libres Subventionnés Indépendants (1).

Nous concevons qu’ailleurs, en Europe, l’enseignement de la musique soit organisé autrement. Chaque pays possède ses spécificités propres, qui relèvent de facteurs politiques, culturels, économiques, sociétaux. Notre objectif n’est pas ici de discuter de ces facteurs mais d’apporter un éclairage sur ce qui se fait dans nos académies en Belgique.

Les académies, du côté francophone (ou ESAHR, Enseignement Secondaire Artistique à Horaire Réduit comprenant musique, danse, arts de la parole, et arts plastiques, visuels et de l’espace) dépendent de la Fédération Wallonie-Bruxelles et de leurs Pouvoirs Organisateurs (2). L’enseignement est gratuit jusqu’à 12 ans et particulièrement démocratique pour les tranches d’âges supérieures (3), ce qui est assez unique en Europe.

Ces académies sont régies par des décrets et des arrêtés gouvernementaux, un projet pédagogique et artistique d’établissement approuvé par le pouvoir organisateur, un Conseil des études, organe majeur en matière d’organisation de l’établissement mais aussi d’évaluation et d’orientation des élèves. Le décret organisant les académies balise l’accès à la fonction de professeur en imposant les titres de capacités nécessaires, à savoir des diplômes obtenus dans une école supérieure des arts (Masters, 1ers Prix, agrégations) ou bien des équivalences de titres étrangers ou encore des reconnaissances d'expérience utile. Aucun pouvoir organisateur ne peut donc demander à la Fédération Wallonie-Bruxelles de subventionner un emploi si ces règles ne sont pas strictement observées. Les cours sont quant à eux donnés conformément à des programmes approuvés par le Gouvernement et des visites d’inspection ont lieu chaque année pour s’assurer de la cohérence de l’enseignement donné.

Affirmer par conséquent, "qu’on engage n’importe qui dans certaines matières (sic)" et que les académies relèvent de "l’activité socioculturelle de loisir (sic)" est mensonger, grossier et dégradant pour le travail et les efforts accomplis par nos professeurs.

Comment ignorer le jazz?

Les finalités de l’ESAHR sont reprises à l’article 3 du décret du 2 juin 98 ;

"Concourir à l'épanouissement des élèves en promouvant une culture artistique par l'apprentissage des divers langages et pratiques artistiques ; donner aux élèves les moyens et formations leur permettant d'atteindre l'autonomie artistique suscitant une faculté créatrice personnelle ; offrir un enseignement préparant des élèves à rencontrer les exigences requises pour accéder à l'enseignement artistique de niveau supérieur." Ces finalités doivent également tenir compte de l'environnement social, culturel et économique de l'établissement, tel que précisé dans le projet pédagogique et artistique d’établissement.

On pourrait penser, pour atteindre ces finalités - rappelons au passage que Jean-Claude Vanden Eynden, piano, Shadi Torbey, chant, Werner Van Mechelen, chant, Jan Michiels, piano, Yossif Ivanov, violon, Lorenzo Gatto, violon, Thomas Blondelle, chant, Marc Bouchkov, violon et Jodie Devos, chant, tous élèves de la Chapelle ou de l’un de nos conservatoires nationaux ont été lauréats ou finalistes du concours Reine Elisabeth - que la solution réside en une approche unidirectionnelle consistant à recopier des modèles qui ont fait leurs preuves dans le passé. C’est une formule qui fonctionne peut-être pour certains élèves particulièrement assidus mais qui ne tient pas compte des réalités de notre société.

Bien sûr l’apprentissage de la musique à travers les chefs d’œuvres est primordial : Bach, Beethoven, Schubert, Scriabine, Stravinsky et tant d’autres sont des sources inépuisables d’inspiration, d’invention, de beauté (4). Mais comment ignorer le jazz et toutes les musiques qui en découlent, les traditions du monde, les musiques actuelles dans leur plus grande diversité et les interactions passionnantes engendrées par toutes ces rencontres ?

De très grands artistes qui jouent ou qui ont joué sur les multiples scènes jazz, rock ou pop du monde n’ont jamais renié leur filiation à la tradition classique. A ce titre, le travail des jeunesses musicales montre non pas un choix délibéré de repousser cette musique, mais bien une volonté de brosser un paysage musical complet en réunissant "toutes celles et ceux qui, de Wolfgang Amadeus Mozart à Cole Porter, de Franz Schubert à Barbara, de Robert Schumann à Edith Piaf, ont chanté l’amour et la difficulté de dire je t’aime" (5).

Nous faisons preuve de passion

Oui, nous rencontrons parfois des difficultés dans notre travail. Le temps consacré à chaque élève s’est réduit, les listes d’attente sont importantes, les élèves surchargés d’activités extra scolaires ou absorbés par les réseaux sociaux. Des quotas et contraintes administratives sont imposés aux directions chaque année pour répondre aux normes de la Fédération et le matériel ou les bâtiments sont parfois vétustes. Mais nous avons moissonné large et fait preuve d’imagination et de passion pour récolter un résultat de qualité, en favorisant notamment les pratiques collectives à travers les cours d’ensembles, en développant de nouveaux cours (6) et en invitant l’élève à explorer son propre potentiel artistique. Les collaborations entre académies se montrent particulièrement fructueuses et des projets comme Academix réunissent chaque année des centaines d’élèves issus de nos académies dans près de 60 concerts joués devant un public nombreux et enthousiaste (7).

Transmettre les savoirs est ce qui nous stimule au quotidien. Mais ce n’est pas tout. Nous sommes convaincus que seule une approche multidirectionnelle, résolument créative et ouverte au monde d’aujourd’hui permettra, notamment à celles et à ceux qui "consomment sans effort de la musique à la mode (sic) ", de comprendre, pour leur plus grand plaisir, que l’instrument n’est pas seulement celui que l’on joue mais qu’il est nous ! S’enfermer dans le passé, ou pire décréter qu’hier était mieux qu’aujourd’hui est parfaitement idiot lorsqu’on réalise combien toutes les formes de musiques sont des objets à travailler, à partager, à vivre.

1) : Cette opinion est signée par : Catherine Lambrecht, Véronique Lierneux, Carine De Vinck (Institut Jaques-Dalcroze), Thierry Cammaert, Véronique Delemazure, Benoit Collet, Olivier Maltaux, Muriel Buki, Giovanni Mastroserio, Savina Le Juge, Pierre Pique, Louis Schoonjans, Olivier De Spiegeleir, Thierry Fievet, Yves Deguelle, Vincent Fontaine, Philippe Massart, Karin Rochat, Serge Clément, Denis Van der Brempt, Jean Michel Tellier, Véronique Ravier, Fabio Schinazi, directeurs, sous directeurs et membres de l’association des Académies de la Région de Bruxelles Capitale.

Caroline Descamps, Carlo Giannone, Frédéric Debecq, conseillers au CECP (Conseil de l’Enseignement des Communes et des Provinces)

Monsieur Yves Dechevez pour la FELSI (Fédération des Etablissements Libres Subventionnés Indépendants)

2) Les communes pour l’officiel subventionné (102 académies), ou des asbl pour le libre subventionné (10 établissements).

3) En 2018, le droit d’inscription s’élevait à 74 euros pour les élèves de 12 à 18 ans et à 184 euros à partir de 18 ans.

4) "La musique de variété a envahi les classes au détriment du répertoire (sic)".

5) Concert 2, Spero e Sospiro

6) Pratique des rythmes du monde, musique électroacoustique, improvisation, composition, instruments patrimoniaux/anciens, danse jazz/contemporaine etc.

7) Académix, 17 mars 2019, de 10 à 20h, studios Flagey. Entrée gratuite.

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