Chris Marker se dévoile à Bozar
- Publié le 18-09-2018 à 18h05
- Mis à jour le 23-09-2018 à 14h39
Après la Cinémathèque française, le Palais des Beaux-arts propose dès ce mercredi un passionnant voyage dans l’oeuvre du plus mystérieux des cinéastes cultes.
Du 3 mai au 29 juillet derniers, la Cinémathèque française accueillait la grande exposition Chris Marker, les 7 vies d’un cinéaste, qui nous emmenait à la rencontre d’un réalisateur aussi culte que méconnu, dont il n’existe quasiment aucune photo et qui se cache sous un faux nom. Marker est né Christian François Bouche-Villeneuve en 1929 dans une famille de la bonne bourgeoisie française qui deviendra collabo…
Ce que l’on découvrait, au gré de cette balade dans une oeuvre pluridisciplinaire d’une incroyable variété, c’est en effet combien Marker ne peut se résumer à La jetée, son film le plus célèbre en 1962, qui inspira L’armée des 12 singes à Terry Gilliam trente ans plus tard…
Marker, le touche-à-tout
Ce parcours, on peut l’emprunter dès ce mercredi à Bozar, coproducteur de l’exposition avec la Cinémathèque française. Désormais intitulée Chris Marker. Memories of the Future, celle-ci a été légèrement remaniée. Si elle est toujours construite sur les différentes facettes de l’oeuvre de Marker (le photographe, le documentariste, l’éditeur des guides de voyage « Petite Planète » au Seuil, le militant politique, le passionné de nouvelles technologies, l’amoureux des chats…), elle a été allégée, offrant une vision plus synthétique et dès lors plus lisible de son travail.
Commissaire de l’exposition aux côtés de Raymond Bellour et Jean-Michel Frodon, la Bruxelloise Christine Van Assche a plongé avec ses collègues dans les archives de Chris Marker (rachetées par la Cinémathèque française un an après la mort du réalisateur, disparu le 29 juillet 2012 à l’âge de 91 ans) pour tenter de défricher une oeuvre hors norme, qui mêle « films, documentaires, fiction, installations multimédias, site Internet, expérimentations sonores ». Ou même une autobiographie numérique sous forme de CD-ROM intitulée Immemory (1998), que l’on peut consulter ici. A moins que l’on préfère s’amuser avec l’ébauche d’un programme conversationnel mis au point par Marker dans les années 80, lointain ancêtre de nos assistants vocaux actuels…
Trois films in extenso
On retrouve évidemment à Bruxelles les grands moments forts de l’expo. Soit la projection, in extenso, de trois de ses films: Les statues meurent aussi, essai sur l’art africain et violente charge contre la colonisation signée avec Alain Resnais en 1953, Le Fond de l’air est rouge, somme de trois heures réalisée en 1978 sous forme d’un bilan désenchanté des mouvements contestataires nés dans les années 60, et bien sûr l’iconique La jetée.
Où l’on se rend compte que même sa seule fiction, un moyen métrage de 28 minutes, n’est pas un film comme les autres! Il s’agit en effet d’un collage de photos, dont l’idée aurait été soufflée à Marker par son ami Jacques Ledoux, créateur de la Cinémathèque de Bruxelles qui joue le rôle du savant-fou dans ce film prémonitoire qui, plus d’un demi-siècle plus tard, n’a rien perdu de sa force d’évocation quand à l’avenir de l’homme et de la planète.
A Bruxelles, une salle est également consacrée à L'héritage de la chouette, série documentaire en treize épisodes réalisée en 1989, aux débuts de La Sept (future Arte). Un projet ambitieux qui tente d’évaluer le poids de la pensée grecque antique sur le monde contemporain qui marque le début d’une riche collaboration avec Arte, pour qui Marker signera cinq films. Dont Les chats perchés, son dernier documentaire important en 2004, où il enregistrait l’agitation politique dans les rues de Paris…
Un cinéaste avant-gardiste
A Paris, la Cinémathèque consacrait une rétrospective intégrale à Chris Marker à l’occasion de cette expo. A Bruxelles, Cinematek n’a étrangement pas souhaité être associée au projet. C’est donc du côté de Bozar Cinéma que les cinéphiles auront rendez-vous pour poursuivre l’exploration de l’oeuvre de Marker au grand écran. Et ce à travers une dizaine de soirées spécifiques, en présence d’invités.
« A travers cette programmation atypique, nous avons voulu réactiver l’apport de Marker, sa contribution au cinéma », explique Juliette Duret, responsable de Bozar Cinéma. Laquelle explique également combien, à l’heure où chacun de nous prend des photos, des vidéos ou des notes avec son smartphone, nous somme tous un peu les héritiers d’un cinéaste singulier, qui a toujours refusé les contraintes de production du cinéma traditionnel pour aborder son travail en solitaire…
Lundi prochain, les 24 septembre, Bozar recevra par exemple Arnaud Lambert, qui viendra présenter Chris Marker, Never Explain, Never Complain. Un parfait complément à l’exposition, puisque ce documentaire coréalisé en 2016 avec Jean-Marie Barbe s’intéresse à l’engagement cinématographique et politique du cinéaste. Le lendemain, la Française Maria Luca Castrillon dévoilera, elle, Lettre à Inger, en présence de la productrice française Inger Servolin, grand nom du cinéma militant qui a débuté avec Chris Marker.
L’empreinte de Chris Marker
On pourra également venir écouter des cinéastes comme Nicolas Klotz et Elisabeth Perceval (qui donneront une masterclass le 6/10) ou Julien Faraut le 8/10 (qui a repris, à la demande de Marker, son premier film Olympia 52), mais aussi l’artiste contemporain chinois Bo Wang (15/10), la vidéaste Marie Voigner (le 24/10) ou encore le Brésilien João Moreira Salles. Le 20 décembre, le frère de Walter Salles dévoilera No Intenso Agora, un film fortement marqué par Le fond de l’air est rouge et Joli Mai de Marker. Tous ces artistes aux parcours divers viendront témoigner de l’influence de Chris Marker sur leur travail.
Enfin, en clôture le 6 janvier prochain, Christine Van Assche introduira une projection de Sans soleil (1982), l’un des films les plus emblématiques de Chris Marker, pensé comme un collage d’images tournées aux quatre coins du monde par l’infatigable voyageur, au Japon, au Cap Vert, en Guinée-Bissau, mais aussi dans le San Francisco du Vertigo d’Hitchocok, film de chevet de Marker auquel il rendait déjà hommage dans La jetée…
« Chris Marker. Memories of the Future », jusqu’au 6 janvier 2019 à Bozar. Fermé le lundi. Entrée: 6-8€. Rens.: www.bozar.be.
Marker, l’intellectuel
Si l’exposition est essentiellement consacrée au travail visuel de Chris Marker, le catalogue publié par la Cinémathèque française rend également hommage au Chris Marker écrivain. Quand il se lance dans la vie active après la guerre (où il a été membre de la résistance et de l’armée américaine), le jeune homme de 26 ans se rêve en effet écrivain. En 1949, il publiera même au Seuil un premier roman très remarqué, Le Coeur net, récompensé du prix Orion en 1950 mais qui ne sera pas suivi d’un second roman (pourtant annoncé sur la troisième de couverture)…
Cocurateur de l’exposition, l’écrivain Raymond Bellour met en avant cette dimension inattendue de l’oeuvre de Marker: « Fondamentalement, Marker est un écrivain qui s’est mis à l’image. Il a écrit tous ses films, un roman, des essais… Chez lui, le rapport entre les mots et l’image est totalement indissociable. Il y a une dimension essayiste très particulière dans ses films, qui leur donne un ton très singulier et facilement reconnaissable… »
Dans le catalogue, François Crémieux consacre ainsi un bel article au Marker intellectuel, en s’intéressant aux 70 essais qu’il publia entre 1946 et 1952 dans la revue Esprit. Où il est évidemment question de cinéma, mais aussi d’art, de jazz, de chanson, de philosophie et des idées.
Très richement illustré, ce catalogue passe en revue l’ensemble de la carrière de Marker à travers des textes très fouillés. Mais il lui laisse également la parole, en reproduisant en fac-similé quelques-uns de ses textes, très variés et souvent drôles, qu’ils aient été écrit pour ses guides de voyage ou pour la revue Esprit…
« Chris Marker », catalogue de l’exposition édité par la Cinémathèque française, sous la direction de Christine Van Assche, Raymond Bellour et Jean-Michel Frodon (400 pages, 400 illustrations, 45€)