Une nouvelle espèce humaine ? "Cette petite découverte aux Philippines ne possède aucun intérêt scientifique !"
- Publié le 11-04-2019 à 14h29
- Mis à jour le 11-04-2019 à 14h54
Des chercheurs ont annoncé mercredi avoir découvert une nouvelle espèce humaine aux caractères morphologiques singuliers, qui vivait sur l'île de Luçon, aux Philippines, il y a plus de 50.000 ans.
L'analyse de treize restes fossiles (dents, phalanges de pied et de main, fragments de fémur) trouvés dans la grotte de Callao, et appartenant à au moins trois individus dont un enfant, ont conduit ces scientifiques à considérer qu'il s'agissait d'une nouvelle espèce, qu'ils ont nommée Homo luzonensis.
Pour l'historien paléoanthropologue belge et professeur de Préhistoire à l'Université de Liège Marcel Otte, cette nouvelle espèce n'en est pas une. Il se montre fort critique sur la portée de la publication. "Cette découverte anodine affecte deux mécanismes pervers en paléoanthropologie. Le premier : faire des sous aux dépens de la presse et des médias. Seules les grandes revues (Science ou Nature) font suivre leurs articles aux rédactions. Il s'agit donc de publier dans ces grandes reveues pour se faire connaître. Les découvertes vraiment sérieuses et fondamentales restent dans de revues spécialisées inaccessibles aux canaux retentissants. Ces revues 'à points' se font payer très cher pour y publier au dépens des laboratoires qui espèrent eux-mêmes en tirer profit... Ces revues tirent ainsi leurs propres bénéfices par la force de leur diffusion. Entretemps, de nombreuses découvertes en Chine sont discrètement publiées dans des revues spécialisées, sans faire cet étalage médiatique... Certains, comme mon ancien recteur Bernard Rentier, tentent cependant de réagir par des publications en 'open access'."
"Il faut vendre une belle histoire sur nos origines"
Le second point, poursuit-il, "est encore plus fondamental, et propre à l’appréhension du néant : il faut vendre une belle histoire sur nos origines, afin de rassurer ..." Selon une théorie qu'il critique et qu'il qualifie de "biblique", "nous sommes une espèce (!) récente, d'origine africaine et via le Levant Sud. Dans cette même vision, les autres découvertes (sinanthropes, néandertaliennes, homo erectus) ne peuvent évidement pas faire partie de la même espèce que la nôtre. J'appelle cela du racisme rétrospectif, d'autant plus lâche que ces représentants sont tous décédés. Le jeu est facile !"
Or, selon lui, "toutes les découvertes comportementales prouvent qu'il s’agit d'une seule espèce depuis les origines australopithèques (outils, feu, habitats, prédations, prévisions, sépultures...), mais ce n'est pas orthodoxe et la terreur est imposée par les courants dominants, essentiellement américains".
Ainsi, souligne encore le scientifique belge, "cette petite découverte aux Philippines ne possède aucun intérêt scientifique, sinon de confirmer l'évolution régionale partout vers la modernité sans aucun apport extérieur (les auteurs ne semblent pas l'avoir compris eux-mêmes). Il est évident qu'entre il y a deux à un million d'années ( en Chine, en Indonésie) et aujourd’hui (les populations locales), il y eut toute cette évolution intermédiaire. ll ne s'agit certainement pas d'une nouvelle espèce ! Sur le plan biologique, elle était définie depuis très longtemps; et on utilise ce concept et ce terme n’importe comment. Ce serait au mieux un taxon."
Dans la définition la plus neutre possible de ce dernier terme, "il s'agit d'une catégorie, observable des faits, donc uniquement liée à une condition d’observation spécifique. Lorsque on ignore la valeur de cette entité (filiation, liaison, signification) on s'en tient au simple "taxon" c'est-à-dire à l'apparence de ce phénomène. Ce terme et ce concept devraient être beaucoup plus souvent utilisés, et ils sont pratiques car on peut les modifier, autant que l'on peut en changer la valeur..."