"On a collé une étiquette sur Bruxelles: capitale djihadiste, trou à rats…"
Dans "Hellhole", le Flamand Bas Devos tente un portrait de Bruxelles au lendemain des attentats. Entretien.
- Publié le 20-03-2019 à 14h03
- Mis à jour le 20-03-2019 à 17h40
Dans "Hellhole", le Flamand Bas Devos tente un portrait de Bruxelles au lendemain des attentats.En février dernier, cinq ans après y avoir présenté son premier film Violet , Bas Devos retrouvait la Berlinale pour dévoiler en avant-première mondiale Hellhole. En salles ce mercredi, ce film à la beauté sombre plonge dans la complexité de Bruxelles, une ville que le jeune cinéaste flamand aime et où il habite depuis dix-huit ans.
Ce film est-il d’abord une réaction aux attentats du 22 mars 2016 ?
J’étais déjà en train d’écrire un film sur Bruxelles, qui parlait d’une ville compliquée, variée, avec des gens qui partagent le même espace mais, au fond, quoi de plus au-delà de ça ? Et puis il y a eu les attentats à Paris en novembre 2015. Tout à coup, la ville a commencé à changer, avec l’apparition de militaires dans la rue… Je me suis dit que je ne pouvais pas faire un film sur Bruxelles sans parler de ce qui était en train d’arriver. J’ai donc commencé à réécrire le scénario. Et puis il y a eu les attentats de Bruxelles, la crise migratoire, nos F-16 en Syrie… Autant de données avec lesquelles je devais travailler. Car je ne voulais pas faire un film qui parle d’un Bruxelles fictionnel. Par contre, le cœur du scénario est resté le même, est peut-être même devenu plus clair.
Cette difficulté à cohabiter dans un même espace au-delà des différences est-il spécifique à Bruxelles ?
Non, mais c’est Bruxelles que je connais le mieux. C’est une ville extraordinaire, ne fût-ce que pour la langue. À Bruxelles, la première question est toujours : "Est-ce que vous parlez français ? néerlandais ? anglais ?" Il y a plein de métropoles qui ont des populations très diverses, mais il y a souvent une langue dominante qui relie les gens. À Bruxelles, cela complique encore les choses. Si on parle des attentats, je ne les ai pas du tout vécus de la même façon qu’Hamza Belarbi, qui joue le rôle de Mehdi. Pour nous deux, c’était aussi un traumatisme, mais la présence de militaires dans les rues signifiait autre chose pour lui. Moi, j’avais peur, mais je pouvais me dire qu’ils étaient là pour me protéger, alors qu’un type comme Hamza verra plus un danger, se sentira peut-être plus visé… Pour faire ce film, j’ai dû sortir de mon cercle. J’ai beaucoup parlé avec des gens à Molenbeek, à Anderlecht. Et j’ai senti que cette belle idée d’un Bruxelles où l’on vit tous ensemble, c’est notre perspective à nous…
Le fait d’être flamand, appartenant donc à une minorité, change-t-il votre regard sur la ville ?
Cela n’a jamais été problématique. Mon niveau d’éducation, ma couleur de peau, mon sexe me mettent dans une position dominante… Je viens d’Essen, tout au nord du pays. Au début, je rentrais chez mes parents le week-end. Et, chaque fois, à la friterie, il y avait ce fonctionnaire, qui bossait à Bruxelles, qui parlait vraiment d’un endroit que je ne connaissais pas. Là, je me suis rendu compte que, pour beaucoup de Flamands, Bruxelles était une ville inconnue, même s’ils y travaillaient. Alors que pour moi, c’est chez moi. Ce qu’on ne connaît pas, on ne peut pas l’aimer…
Hellhole est un film choral, avec un jeune d’origine maghrébine, un médecin flamand, une fonctionnaire européenne… Comment avez-vous imaginé les personnages qui composent ce portrait de Bruxelles ?
Ça a commencé avec une idée : qu’est-ce que cela signifie "être chez soi" ? C’est quoi la différence entre ce qu’on nomme en anglais "house" et "home" ? Mais aussi quelle est l’articulation entre espace privé et espace public. À ce moment-là, pour faire le portrait d’une ville, je peux filmer les extérieurs mais aussi les intérieurs, pour montrer comment les gens habitent l’espace. Un appartement, c’est un miroir d’une personnalité. J’étais par exemple curieux de voir des appartements de Maghrébins, car dans mon petit cercle, je n’avais quasiment pas d’amis d’origine maghrébine, alors que c’est une communauté très importante à Bruxelles. J’étais aussi curieux de savoir comment on habite un lieu où l’on ne se sentira jamais chez soi, comme tous ces gens qui viennent bosser dans les institutions européennes.
Le film parle aussi d’une forme d’aliénation. Ce qui relie ces personnages si différents semble être une sorte de mal-être sociétal…
Après les attentats, le monde a collé une étiquette sur la ville : "Molenbeek", "capitale djihadiste", "trou à rats"… Même si tu es rationnel, cela finit par te rentrer dans le corps. Cela, je l’ai ressenti. C’est quelque chose qui peut être imposé de l’extérieur, par Trump, par des politiciens qui n’habitent pas Bruxelles, par les médias, par Eric Zemmour, qui voulait bombarder Molenbeek…
Pourtant, Hellhole n’est pas un film politique…
Non mais il essaye de faire ressentir quelque chose, de montrer qu’il est impossible de formuler une réponse facile à la complexité. Les militaires dans la rue, par exemple, c’était une réponse politicienne facile et agressive, qui nie la réalité en fait. Si tu es extérieur à la ville, tu peux te dire que tout va bien car l’armée est là. Mais moi, chaque matin, avec ma petite fille d’1 an, je croisais des militaires avec des fusils mitrailleurs ! Si tu habites là, cela augmente au contraire la peur…