Comment Theo Francken décourage les Guinéens de venir en Belgique
- Publié le 24-02-2018 à 09h37
- Mis à jour le 24-02-2018 à 14h37
Le secrétaire d’Etat affirme avoir obtenu des engagements de la Guinée pour baisser l’immigration illégale.Une colonie de vautours fouille le monceau d’ordures qui recouvre les abords de la plage de Camayenne, à Conakry. Indifférents, des pêcheurs à moitié immergés lancent et ramènent inlassablement leurs filets. En bord de mer, les gargotes à poissons laissent entrevoir de jeunes garçons d’une vingtaine d’années, le regard perdu à l’horizon.
"Pourquoi tant de Guinéens viennent-ils en Belgique ?" La question émane d’un journaliste guinéen, lors de la conférence de presse organisée ce jeudi à Conakry par Theo Francken (N-VA), secrétaire d’Etat à la Migration et Freddy Roosemont, directeur-général de l’Office des étrangers. Leur message, diffusé sur les télés, sites web et journaux locaux, s’adresse aux jeunes guinéens : ne venez pas en Belgique illégalement.
La réponse du secrétaire d’Etat fuse. "Je ne sais pas. C’est plutôt à moi de vous poser la question. Pourquoi choisissez-vous la Belgique ?" L’assemblée opine, l’air entendu.
Les chiffres, en effet, sont interpellants. 13 995 Guinéens ont demandé l’asile en Europe en 2016, contre 6 110 un an plus tôt. Ils sont 901 à avoir formulé la même demande dans notre pays en 2017, où ils représentent la 4e nationalité la plus représentée.
Un nombre jugé anormalement élevé s’agissant d’un pays d’à peine 13 millions d’habitants, avec lequel la Belgique n’a pas de lien historique ou colonial.
Juste après la Syrie, l’Irak et l’Afghanistan
"Seuls la Syrie, l’Irak et l’Afghanistan ont formulé davantage de demandes d’asile que la Guinée. Vous voyez en quelle compagnie vous êtes… Ce n’est pas normal parce que votre pays est stable, démocratique, avec des élections. Il n’y a pas de guerre civile ni d’insécurité généralisée", a ainsi lancé Freddy Roosemont à l’assemblée de journalistes guinéens.
Tout n’est pas rose pour autant, en Guinée, classée 183 sur 188 à l’indice de développement humain. Sur place, le dénuement de la population guinéenne est extrême. L’enseignement est largement défaillant, le tourisme, pratiquement inexistant. Les conflits ethniques freinent considérablement le développement économique. Et les mariages forcés, tout comme les mutilations génitales (97 % des femmes) y sont toujours largement pratiqués.
Les (rares) Occidentaux rencontrés en ville sont pourtant unanimes : le Guinée est un pays magnifique et plein de potentiel.
De nombreux jeunes guinéens semblent pourtant ne pas partager la seconde partie de cette analyse.
Ces impressionnantes statistiques de demandes d’asile ont été décisives dans la décision de mener cette mission belge à Conakry, qui s’est déroulée de mardi à jeudi. En ligne de mire : une amélioration de la collaboration pour l’identification des demandeurs d’asile, souvent sans papiers, afin de faciliter les retours au pays.
Contrat rempli, à en croire Theo Francken, qui de retour en Belgique ce vendredi, se déclare satisfait des avancées obtenues. Il nous affirme avoir obtenu l’engagement de l’ambassadeur de Guinée à Bruxelles d’aller plus loin en matière de concrétisation des retours volontaires. Une réunion de suivi est prévue la semaine prochaine. "J’ai clairement senti une volonté du pouvoir guinéen de lutter contre la migration illégale", ajoute le secrétaire d’Etat. Encore faudra-t-il que l’Etat guinéen, défaillant dans bien des domaines, parvienne à transformer les paroles en actes…
Tout au long du séjour, dans un style que certains ne lui connaissent pas forcément, Theo Francken (N-VA), arrivé grippé à Conakry, s’est montré plutôt diplomate au cours de ces entretiens avec les autorités guinéennes, mais aussi avec la presse locale. Clair et ferme dans son message. Mais mesuré, presque apaisant.
"Nous allons continuer le combat contre la migration clandestine. Les Guinéens sont les bienvenus quand ils viennent par les voies légales. Ils ne le sont pas pour venir par les routes irrégulières. C’est trop dangereux. Et cela ne leur donne pas de futur chez nous, ni de chance d’avoir des papiers", s’est-il exprimé devant les médias locaux. "Ce n’est pas ce que nous voulons comme immigration en Europe. Nous ne sommes un pays où coulent le lait et le miel pour ceux qui n’ont pas le droit de séjour."
L’animal politique refait surface
L’animal politique peut cependant refaire surface assez rapidement. Lors d’une conférence de presse animée, mercredi, il a largement commenté la politique belge, provoquant même un certain malaise chez certains membres de la délégation. En vrac, Francken a fustigé sévèrement le traitement jugé injuste que lui ont réservé la presse francophone dans l’affaire soudanaise ou des visites domiciliaires , et surtout, le PS d’Elio Di Rupo.
Quant aux ministres guinéens, ils n’ont pas manqué, à de multiples reprises, de saluer la visite de la délégation belge.
Logique : la collaboration économique belge au développement, entamée en 2015 avec la Guinée, constitue un argument diplomatique de poids. Un investissement belge de 37,7 millions d’euros est prévu en Guinée entre 2018 et 2022 pour des programmes liés à l’eau potable, l’agriculture ou encore l’entrepreneuriat.
Une manière de développer l’activité économique, pour éviter à la jeunesse locale de risquer sa vie à travers le Sahara, la Libye, puis la Méditerranée.
Enfin, l’essentiel : le message a-t-il été entendu par les candidats au départ ? "D es jeunes viennent me voir dégoûtés, traumatisés après avoir été refoulés de Libye", confie un journaliste guinéen à Theo Francken. "Ils me disent : ‘Vais-je retenter ma chance en Europe ? Je ne sais pas. Peut-être…’"