Sous le champagne, l’art fascinant des fantasmes souterrains
- Publié le 22-04-2019 à 09h15
- Mis à jour le 22-04-2019 à 09h17
Depuis quinze ans, les caves du champagne Pommery à Reims proposent des expositions in situ d’art actuel.
Devant le château bleu élisabéthain des champagnes Pommery-Vranken, à Reims, l’artiste Tania Mouraud a placé une grande fresque avec les mots de l’Ecclésiaste transformés en code-barres : « Vanitas vanitatum, omnia vanitas », « Vanité des vanités, tout est vanité ». Un rappel qui ne manque pas de piquant quand on pénètre dans le royaume du champagne.
Mais la phrase ouvre bien le parcours labyrinthique dans les souterrains du vignoble que propose cette année Hugo Vitrani, commissaire au Palais de Tokyo, choisi pour cette 14e Expérience Pommery d’art contemporain qui se prolonge jusqu’au 15 juin. Nous voilà prévenus, on entrera dans le monde de la nuit et de ses fantasmes.
Régulièrement, de petits groupes de visiteurs accompagnés d’un guide, s’enfoncent dans les caves en descendant l’escalier de 116 marches pour entamer un chemin de deux km à 30 m de profondeur, par une température constante de 10 degrés et une humidité de 98 %.
Le dédale des caves creusées dans la craie, abrite 22 millions de bouteilles de champagne, de la « normale » au « jéroboam ».
L’art contemporain s’est invité dans ces crayères (carrière de craie) depuis 2003. C’est l’homme d’affaires belge Paul-François Vranken et son épouse Nathalie, qui en ont eu l’idée dès qu’ils avaient racheté le champagne Pommery au groupe LVMH. Ils étaient fascinés par la personnalitéinvente de la veuve Pommery qui dirigea longtemps le domaine. Elle avait commandé en 1882, au sculpteur Gustave Navlet, quatre immenses bas-reliefs à la gloire du champagne, réalisés au fond des caves, et qu’on peut toujours admirer. Pommery commanda aussi en 1903, à Emile Gallé, le maître de l’Art Nouveau, la sculpture du Grand Foudre de Pommery, immense tonneau de 100000 bouteilles qu’on découvre à l’entrée des caves.
Flamme de briquet
Les Vranken ont voulu d’emblée perpétuer ce mariage entre le champagne et l’art et ce fut vite le succès avec 140000 visiteurs chaque année.
Le premier artiste invité fut Olivier Strebelle. Depuis le spectre des artistes s’est élargi et bien des grands noms comme Daniel Buren, se sont piqués au jeu de créer des oeuvres pour ces caves. Pas question bien entendu de placer des simples tableaux avec l’humidité qui y règne !
Pour l’expo actuelle, la quatorzième, Hugo Vitrani a privilégié la culture graffiti et le monde des souterrains et de la nuit.
Dès l’escalier qui plonge dans les entrailles de la terre, on est dans l’ambiance avec une installation sonore et les plafonds couverts de dessins réalisés à la flamme de briquet par Olivier Kosta-Théfaine à la manière des jeunes de banlieues quand ils squattent les immeubles.
La visite d’une heure vous dira tout du champagne mais aussi de ces artistes si vous choisissez un tour « art contemporain » (une brochure/plan explique aussi les oeuvres).
Dans la pénombre, avec juste quelques flaques de lumière, au milieu des montagnes de bouteilles et des paniers d’osier sur rails qui servaient à véhiculer les breuvages, on découvre les 20000 douilles déposées au sol par Mathias Faldbakken qui avertit qu’on entre dans un univers hors-la-loi.
La Belge Aline Bouvy introduit une note d’humour en plaçant sur les murs divers sympathiques rats blancs sculptés.
Sur une vidéo nichée dans une cavité, un homme explique les règles du commerce comme à l’unif, mais on découvre alors qu’il est un dealer de drogue expliquant son business (de Mohamed Bourouissa).
Régulièrement, le parcours débouche dans une énorme crayère, comme une cathédrale montant jusqu’à l’air libre. Dans l’une d’elle, l’artiste de la scène graffiti, Antwan Horfee a installé un château gonflable noir et blanc renversé. Le château symbole du vignoble, devient grotte et est « gonflé d’air et d’ego », explique Hugo Vitrani.
Une autre star du graffiti, SKKI, a transformé la crayère Bacchus en salle de rave party avec sur les murs, des néons verts stroboscopiques aux formes calquées sur les moisissures des murs.
Dans une autre crayère, la Britannique Holly Hendry inverse l’intérieur et l’extérieur en plaçant d’immenses tuyaux de ventilation grimpant jusqu’au au ciel, comme les boyaux du lieu.
On découvre ainsi les oeuvres d’une vingtaine d’artistes. On retiendra encore les silhouettes noires et blanches de l’Américain Cleon Peterson qui simulent avec humour des dangereux bandits menaçant les visiteurs.
Pour se remettre de ces émotions, la visite comprend une coupe de champagne (jus de fruit pour les enfants).
Domaine Pommery-Vranken à Reims, jusqu’au 15 juin. Plusieurs types de visites possibles: pommery.tickeasy.com