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Comment un site de rencontre fait de la prostitution estudiantine son crédo

La vaste campagne du site RichMeetBeautiful en Belgique a immédiatement fait réagir les universités et les pouvoirs publics. Car si l’entreprise vend du « Fifty shades of grey » hautement glamourisé, la réalité, elle, est celle de la prostitution étudiante.

Analyse - Journaliste au service Société Temps de lecture: 5 min

D ix affiches publicitaires mobiles exposant notre campagne. » « Cibleront les universités de Bruxelles, pour se déployer dans les prochaines semaines vers d’autres villes alentours. » « Nous estimons enregistrer 300 000 inscriptions de membres belges d’ici la fin de l’année 2018. » La nouvelle campagne promotionnelle démarre en trombe : un communiqué de presse a été envoyé à de nombreuses rédactions et les camionnettes publicitaires sont effectivement de sortie. Un peu comme une grande surface annoncerait sa nouvelle implantation en Belgique. Une chaîne de prêt-à-porter sa nouvelle collection. Sauf qu’il s’agit ici… de prostitution.

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Le site RichMeetBeautiful est en effet un « site de rencontres » un peu singulier, qui propose de mettre en contact des « sugarbabies », soit des jeunes étudiantes, avec des « sugardaddies », c’est-à-dire des hommes d’âge mûr, à la situation financière confortable. Sur le papier, et dans le discours du CEO de cette entreprise norvégienne, Sigurd Vedal, ce n’est rien d’autre que l’incarnation des histoires de « Cendrillon » ou « Fifty Shades of Grey » (sic !) : des jeunes femmes qui recherchent de l’attention, de beaux bijoux et une vie de luxe et des hommes d’expérience, puissants et aisés, qui cherchent « surtout de la compagnie ». En réalité, il s’agit, comme d’autres sites ayant fait leur apparition ces dernières années (Seeking arrangement, etc.), de prostitution étudiante.

La Belgique, cible prioritaire

Les universités et les pouvoirs publics ne s’y sont pas trompés. Dès ce week-end, des universités flamandes de la capitale s’inquiétaient de la présence de ces affiches publicitaires mobiles XXL (5 mètres sur 3) aux abords de leurs établissements bruxellois, comme le révélait Het laatste Nieuws dans son édition en début de semaine. Ce lundi, c’est un professeur de droit international de l’ULB, François Dubuisson, qui postait un cliché de ce camion posté Avenue Franklin Roosevelt. Les établissements et les pouvoirs publics ont rapidement réagi, tentant par différents moyens, de faire rentrer les indésirables au garage (lire ci-dessous). Ils auront fort à faire : RichMeetBeautiful fait désormais de la Belgique un marché prioritaire après son implantation dans les pays scandinaves cet été. La demande serait très importante ici, assure le dirigeant. Avant toute publicité, en un week-end, la plateforme compte déjà plus de 20.000 inscriptions en Belgique…

« Depuis Fifty Shades of grey, les femmes sont plus libérées »

Reste que ces entreprises sont difficilement attaquables, comme l’explique Renaud Maes, docteur en sociologie, l’unique chercheur à avoir mené une enquête sur la prostitution étudiante en Belgique. « Ces firmes ont généralement des avocats très calés. Elles trouveront toujours des canaux d’action. Elles sont par ailleurs très hypocrites : elles nient généralement qu’il s’agit de prostitution et interdisent par exemple des discussions liées à la tarification sur leur plateforme… Tout en sachant très bien que ces discussions se font hors ligne. Ils ont parfaitement conscience des types de jeunes qu’ils recrutent – à savoir des étudiant(e)s en difficulté financière ou en rupture avec leurs parents – et de l’impact que cela peut avoir. »

Le discours de Sigurd Vedal se veut évidemment aux antipodes de cette réalité. « On ne promeut pas la prostitution, mais l’aspect financier fait partie de toute relation. Car c’est ça la clef : il s’agit bien de relations romantiques entre deux personnes qui posent leurs propres conditions. Nous n’avons pas à faire la police et à contrôler la façon dont les gens conçoivent leurs relations. Les femmes cherchent des hommes puissants, intelligents, brillants. C’est sans doute le plus fascinant, cette très forte demande chez les femmes. Depuis “Fifty shades of Grey”, elles sont plus libérées et peuvent exprimer ces demandes. » Oui, il est bien question de « libération » dans la bouche de Sigurd Vedal…

« Faire face à une urgence pécuniaire »

Renaud Maes, quant à lui, est formel : tous les étudiants et étudiantes qu’il a pu rencontrer sont entrés dans ce type d’activité pour « faire face à une urgence pécuniaire »  : « systématiquement, il s’agit à un moment de trouver très rapidement de l’argent pour faire face à une situation de précarité. Ensuite, les revenus peuvent devenir très importants et des mécanismes d’affiliation se mettent en place. Les jeunes ont alors des difficultés à revenir à un niveau de vie inférieur… » Autre image version paillettes renvoyées aux oubliettes : cette idée selon laquelle il s’agit principalement de cadeaux, de week-ends dans des hôtels de luxe et de concerts à l’opéra. Le travail sur le terrain de Renaud Maes autant que le reportage en caméra cachée de RTL TVI (diffusé la semaine dernière) démontrent que les tarifications sont très rapidement évoquées (à l’heure, à la soirée ou à l’acte). « Nous excluons tous les jours des personnes qui évoquent des payements sur notre plateforme, se défend Sigurd Vedal. Mais il y a tous les jours des vidéos de viol sur Facebook. Nous avons des règles, on fait de notre mieux, mais comme les autres sites, on ne peut pas tout contrôler… »

Le phénomène étant relativement nouveau, il est encore compliqué d’avancer si les « sugar babies » ferment boutique une fois leur diplôme en poche ou si elles s’enfoncent dans ce commerce. Renaud Maes a en tout cas déjà observé des cas d’étudiant(e)s qui, en augmentant le nombre de clients, finissent par sécher les cours pour assurer cette activité… et décrocher de leurs études. D’autres qui, ne pouvant plus bénéficier d’allocations d’insertion à leur sortie de l’université, continuent à se prostituer.

« Ce qui me paraît le plus important à pointer, conclut Renaud Maes, c’est que la prostitution étudiante s’appuie sur la précarisation grandissante des étudiants. Si l’on veut réellement endiguer cette prostitution, il ne suffit pas d’empêcher que la publicité arrive aux étudiants mais il faut faire en sorte qu’elle ne soit pas pertinente et lutter contre la précarité ! »

 

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7 Commentaires

  • Posté par Arnould Philippe, mardi 26 septembre 2017, 11:46

    En gros, vous êtes en train de nous sortir les stéréotypes sexistes à propos des belles femmes qui se marient avec des hommes riches qui ne sont que des putes… Le puritanisme et la pudibonderie reviennent en force.

  • Posté par Van Steen Willy, mardi 26 septembre 2017, 11:23

    La décadence, il n'y a pas d'autre mot!

  • Posté par Vermeulen Gregory, mardi 26 septembre 2017, 8:17

    Personnellement, je ne serais pas aussi catégorique. Il y a quand même une très grosse différence avec la prostitution, dans ce sens que personne n oblige ces jeunes filles ou jeunes hommes a accepter et à s'y inscrire ! Il y a d'autres possibilités pour gagner de l'argent en étant étudiant, moi même et mon épouse avont dû travailler pour pouvoir payer nos études. Bien entendu, on ne gagne pas autant d'argent ni dans un laps de temps aussi court. Le problème c'est qu'actuellement les étudiants, veulent déjà avoir un appart à 600 eur par mois, la voiture, le dernier GSM à la mode, les sorties...... Je pense que le problème est là !

  • Posté par Petitjean Marie-rose, mardi 26 septembre 2017, 9:24

    Vraiment ? Vous en connaissez beaucoup personnellement, de tels étudiants ?

  • Posté par Malka Pierre, mardi 26 septembre 2017, 0:20

    Quoique les politiques fassent, la publicité est totalement assurée : effet Streisand. Tout le monde sait maintenant c'est qu'est un sugar daddy. Ils peuvent déjà retirer leur publicité elle est au delà de leur espérance. Pour la plainte concernant l'article 380, ca a déjà été tenté dans plusieurs pays européens (+- la même base) et établir la prostitution dans un cas comme celui ci est très compliqué, il faut plus que des sérieux soupçons. Il faudrait des preuves très sérieuses. La seule chose utile serait de faire interdire le site (et les autres), ce qui est extrêmement difficile. De très nombreux sites de ce genre existent en toute impunité, ceux-ci ne promeuvent pas la prostitution en apparence et d'autres libertés viennent en aide à ces sites. On est face à un fléau engendré par la pauvreté et la fragilité des personnes qui s'engagent là-dedans. Ce contre quoi il faut lutter ce sont les raisons pour lesquelles des étudiant.e.s se prostituent durant leurs études. Soigner la cause, pas le symptôme.

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