Santé des migrants: les hébergeurs limitent la casse
Médecins du monde a compilé les données de ses consultations auprès des migrants du parc Maximilien. Bonne nouvelle : l’hébergement citoyen réduit considérablement la gravité des symptômes observés. Les témoignages relatifs aux violences policières, en revanche, inquiètent.
Ç a fait mal ? » Regard de détresse du jeune Soudanais assis dans le cabinet médical improvisé, bouche ouverte, le pouce de l’infirmier écrasé contre la dent. On dirait bien. « La dent est infectée mais pas assez pour aller aux urgences. » Aïe. Le garçon s’en tire avec une tablette de paracétamol et un conseil : les clous de girofle, ça anesthésie et c’est moins rude pour le foie.
Fin septembre, un groupe d’ONG ouvrait, après des semaines de tractations, un « hub humanitaire » à destination des migrants en transit du parc Maximilien. Un même lieu, prêté par la Ville de Bruxelles, où ils pourraient trouver à la fois informations, vêtements et repos. La possibilité aussi de pouvoir assurer un semblant de suivi médical et psychologique. Avec ses limites. Le rendez-vous dans trois ou quatre semaines chez le dentiste ? On oublie.
« C’est une population en transit, qui ne se projette pas, explique Francisca Bohle-Carbonell, la responsable médicale du « hub ». Revenir pour un rendez-vous dans une semaine, ça paraît loin. Ils ne seront peut-être plus là dans une semaine. » L’enquête sociale pour obtenir une aide médicale d’urgence dure de toute façon trente jours.
Depuis l’ouverture du centre, les équipes de Médecins du monde ont scrupuleusement consigné les informations issues de leurs consultations (213 en octobre, 348 en novembre), compilant ces données dans des rapports mensuels auxquels Le Soir a eu accès (lire ci-dessous).
Sans surprise, le premier motif de consultation tient aux ravages du froid. Une consultation sur quatre concerne des infections respiratoires. C’est le cas de Youssef, un jeune Erythréen arrivé il y a quelques jours à Bruxelles. Il a développé des difficultés respiratoires, au niveau du nez, quand il était au Soudan. Jusqu’à présent, l’exercice physique le soulageait, pas besoin de médicaments, explique-t-il en anglais. « Mais avec le froid et les nuits passées dans la rue à Paris, c’est devenu plus gênant. » Sa poitrine commence à lui faire mal. Ça inquiète visiblement l’infirmier qui l’envoie chez la médecin, après une dernière question : « Ici, vous dormez où ? »
Dans une maison. Enfin un lieu en dur, hébergé chez l’habitant comme la quasi-totalité des patients du jour. Pour l’équipe, c’est rassurant. Le patron de Médecins du monde le rappelle d’ailleurs à l’occasion, comme un slogan : on peut soigner dans la rue, pas guérir. Ces dernières semaines, quelque 350 personnes ont ainsi été logées chaque soir. Le groupe Facebook qui organise l’hébergement rassemble désormais 26.000 personnes. « On a été surpris de l’impact de l’action citoyenne, relève Francisca Bohle-Carbonell. Très concrètement en novembre, on a eu 22,4 % d’infections respiratoires hautes – des rhumes – contre 2 % d’infections respiratoires basses, qui affectent les poumons par exemple et sont plus sérieuses. Sans l’hébergement citoyen, ce serait l’inverse. Pour nous, c’est aussi très rassurant de savoir qu’ils sont là. La santé n’est pas une priorité pour les migrants qu’on rencontre. Les gens qui les hébergent y sont par contre souvent attentifs et peuvent les encourager à passer nous voir, voire les envoyer directement chez leur généraliste. »
La douleur à la poitrine n’a pas l’air d’inquiéter la toubib, Youssef s’en sort avec spray – ce qui le laisse un peu sceptique. Le médicament pourra être récupéré gratuitement dans une pharmacie du centre-ville avec laquelle Médecins du monde a un accord. Mais c’est loin. Et souvent terrifiant pour les migrants de sortir du périmètre connu du parc et de la gare. Alors la plateforme citoyenne dépêche chaque jour des bénévoles pour jouer les accompagnateurs.
Malgré l’arrêt des opérations de la police locale depuis le 15 octobre – après une intervention très contestée de la police lors du dispatching des migrants vers des hébergements –, la peur de la police et de ses contrôles reste très prégnante, à en croire les équipes médicales. Le rapport d’activité de novembre constate une hausse des cas de douleurs ostéo-articulaires, dont la part a plus que doublé en un mois, sur un nombre de consultations en augmentation. « Il s’agit souvent de blessures dues à violences de la police ou à des chutes lorsqu’ils essayaient de fuir. Il y a une atmosphère de crainte, de peur de se faire attraper qui est constamment là. Lorsqu’on doit envoyer quelqu’un à l’hôpital, il faut vraiment qu’on prévienne qu’il y aura une présence policière, des agents de sécurité, mais que ça va aller. Parfois, c’est compliqué. »
Les médecins ont consigné une vingtaine de témoignages relatifs aux violences policières – « seulement ceux qui en ont parlé spontanément, on veut créer un climat de confiance, pas les interroger » –, dont certains sont glaçants : des coups, des vols, la brutalité.
« Au mois de septembre, il y a eu une rafle au parc. J’ai été maltraité et me suis retrouvé avec une blessure aux genoux et aux coudes. Ils m’ont enfermé un mois dans un centre », raconte ainsi un Soudanais de 24 ans. D’autres : « J’avais les mains menottées derrière le dos et ils m’ont frappé », « Ils m’ont attrapé à Zeebrugge… Oh oui ils étaient violents : ils m’ont plaqué par terre avec beaucoup de force et ont écrasé mon visage avec leurs pieds… Ça a duré longtemps », « La police a pris tous mes médicaments, toutes mes affaires. Ils étaient à trois… » Un Libyen, 23 ans : « La police m’a dit “shut up !” et je leur ai répondu “You shut up !”, je devenais fou, ils m’ont fait repenser aux prisons en Libye. »
Contactée, la police Bruxelles se refuse à tout commentaire pour l’instant. Une enquête du Comité P a été diligentée début août, dans la foulée d’accusations de racket et de violence à l’égard de migrants dans le parc. Côté fédéral, on affirme que les témoignages seront étudiés avec attention, même s’il est « toujours difficile d’enquêter sur des généralités telles que décrites dans ce cas, étant donné qu’il s’agit d’allégations à l’encontre de la police sans spécification de lieu ou de moment précis. »
« Ça ne nous amuse pas de pointer toujours la police, note Pierre Verbeeren, le secrétaire général de Médecins du monde. Le problème, c’est qu’à force d’avoir un discours politique qui pointe les migrants en situation irrégulière comme des criminels, on finit par se comporter comme tels. »
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