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Yves Bigot: «TV5 relie 270 millions de francophones dans le monde»

A l’occasion de la Semaine de Langue française, rencontre avec son patron Yves Bigot (ex-RTBF), qui, pour « Le Soir », trace les défis de cette « entreprise unique au monde ». Et présente un nouveau magazine mensuel, « Les Haut-Parleurs ».

Entretien - Journaliste au pôle Economie Temps de lecture: 8 min

Depuis le 17 mars, et jusqu’au 25 mars, la langue française est en fête aux quatre coins de la planète. Le français, troisième langue sur internet, c’est 274 millions de personnes dans 198 pays. Tous ont un trait d’union audiovisuel : TV5 Monde, première chaîne francophone au monde.

La chaîne culturelle diffusera ce vendredi (17h45) le premier numéro des Haut-Parleurs. Adapté d’un concept né sur You Yube il y a deux ans, ce nouveau magazine mensuel propose à des jeunes francophones de se transformer en reporter, pour traiter un phénomène d’actualité. Le premier numéro se penche, précisément, sur la francophonie.

Yves Bigot préside aux manettes de cette entreprise un peu hors du commun, de par sa nature, ses missions et son fonctionnement. Enfant du rock, du foot et de la télé, il a trimballé sa griffe aux quatre coins du paysage médiatique et musical français (Phonogram, Europe 1, France Inter, RTL, France 2, les Victoires de la musique, Fnac Music…) et belge (RTBF, Arte…). Il évoque pour nous les enjeux de TV5.

Quelle place TV5 Monde peut-elle occuper dans un monde audiovisuel dominé par les Anglo-Saxons ?

Elle est importante. TV5 est présente dans 354 millions de foyers, partout sur la planète, jusqu’en Chine et Corée du Nord. Non seulement nous y diffusons les programmes francophones de nos chaînes partenaires, dont la RTBF. Mais nous y sommes également porteurs de la promotion de la langue française, dans sa modernité. En cela, je suis très en phase avec le discours d’Emmanuel Macron prononcé mardi à l’Académie française, qui considère la francophonie non plus comme elle a pu être dans le passé, une sorte de vestige de la décolonisation, mais plutôt comme une langue qui est partagée par de plus en plus de locuteurs dans le monde (on nous annonce 400 millions en 2025, 700 millions en 2050, 1 milliard en 2065). Ce n’est plus la langue de la France. TV5 représente les 84 Etats membres de l’organisation internationale de la francophonie, chacun avec ses particularités. Nous assurons non seulement la promotion de la langue, mais derrière cela, celle aussi des entreprises, des artistes, des créateurs, etc. Notamment en Chine qui est l’un des pays où le Français se développe le plus. On sort donc de la francophonie traditionnelle.

Le monde francophone n’est pas un tout homogène. Comment vous adaptez-vous aux particularismes ?

C’est le prix de notre audience. Nous devons être pertinents en RDC, au Mali, au Sénégal, à Madagascar, en Suisse, en Belgique, au Canada… En cela, nous sommes une entreprise unique au monde. Nous devons réinventer notre modèle quotidiennement. Cela se traduit aussi dans la diversité de notre personnel. Notre journal Afrique est présenté en alternance par une Gambienne et une Congolaise. Le rédacteur en Chef Afrique est Sénégalais. Notre journal quotidien, « 64’ en français », est présenté en alternance par un Franco-Algérien et un Belge. Le directeur de l’information est Suisse. Chacun amène sa sensibilité, son regard sur le monde. Par ailleurs, depuis mon arrivée, j’ai voulu justement que l’on développe des programmes qui seraient l’expression de cette multilatéralité et de cette francophonie partagée, aussi avec le concours de nos chaînes partenaires (France Télévision, la RTBF, de la RTS suisse et de Radio Canada).

Comment faites-vous pour traduire cela dans vos programmes ?

TV5 Monde c’est 9 chaînes généralistes, que nous spécialisons en fonction des différentes régions du monde, et trois chaînes thématiques, dont, par exemple une chaîne pour enfants, qui participe beaucoup à la promotion, au soutien et à l’apprentissage du français. En Afrique, notre programme phare, est le « Journal Afrique ». Nous y coproduisons également beaucoup de séries, qui font de grosses audiences sur le continent. Au Maghreb, nous produisons le magazine « Maghreb Express », très regardé dans le monde arabe. On vient de lancer un nouveau magazine mensuel qui s’appelle « Objectif Monde », qui propose un regard croisé sur les grandes questions du monde, comme les revenants du djihad, la question de l’égalité hommes-femmes. Le prochain numéro sera consacré à la légalisation du cannabis… ou pas : le Canada, par exemple le légalise, la France y est totalement opposée. Et qu’en pensent la Suisse, la Belgique ? C’est notre manière, justement, de pouvoir débattre et traiter les différentes sensibilités du monde francophone. On n’a pas du tout les mêmes approches selon que l’on soit francophone en Amérique du Nord ou en Europe, voire même au sein de l’Europe.

Quel est le modèle économique de TV5 Monde ? Vous êtes en bonne santé financière ?

On n’en a jamais assez pour assurer notre mission d’être la première chaîne de la francophonie, avec en plus une mission spécifique d’apprentissage et d’enseignement du français, ce qui est inhabituel pour entreprise de télévision. On est un modèle unique au monde. Nous sommes financés par cinq Etats ; la France, la Suisse, le Canada, le Québec et la Fédération Wallonie Bruxelles. Notre budget 2018 est de 112,5 millions d’euros. La France représente les deux tiers de la partie subventionnée. La Fédération Wallonie Bruxelles nous donne 8,33 millions.

On dit que la « télé de papa » est morte. Elle se délinéarise. Elle est boudée par les jeunes. Comment TV5Monde affronte les mutations du paysage audiovisuel ?

Comme tout le monde, on n’a pas le choix. On fait de notre mieux. On a créé une rédaction bimédia qui doit penser ses contenus pour le support traditionnel (la bonne vieille télévision linéaire) et tout l’univers numérique, nos sites, nos applications, nos réseaux sociaux. Nous avons plus de 15 millions d’abonnés à nos réseaux. On essaie de créer des programmes spécifiquement destinés au numérique, comme de petites fictions, des documentaires, des modules d’infos… Ce qui est plus compliqué pour nous (mais tout est plus compliqué à TV5 de toute façon…) c’est le fait que nous soyons diffusés partout sur la planète. On doit dès lors gérer des situations extrêmement différentes, entre le Japon, la Russie ou la RDC, la réception des programmes et de la télévision n’est pas du tout la même. On est obligé de ménager tous les modèles. On a donc lancé une appli pour que les Africains puissent télécharger la totalité de notre offre en profitant du wifi public. On doit à la fois être en haute définition, mais rester en basse définition pour certains pays. On est obligé de produire et diffuser les deux signaux, alors qu’en Asie du sud-est on nous demande déjà la 4K. Et tout cela a évidemment un coût.

L’audiovisuel public traverse une zone de turbulences en Europe. Doit-il se réinventer ?

Nous participons à ce débat, en France, où nous assistons à toutes les réunions. Il y a un défi particulier pour le numérique et, très vraisemblablement, par rapport la disparition annoncée de la télévision et de la radio traditionnelles. On ne sait pas à quel horizon. Dix ? 20 ans ? Mais on sait que c’est en cours. Nous devons donc adapter nos modèles en permanence, notamment pour nous adapter aux publics plus jeunes, qui ont des sujets de préoccupations et des habitudes de consommation différents. Il y a trois aspects dans cette évolution nécessaire. Un : les contenus, la création. Ensuite : la question de la distribution et du marketing des programmes (comment faire pour acheminer les programmes et les faire connaître au plus grand nombre ?). Et enfin, la troisième question, actuellement en débat en France, celle du financement et de la gouvernance. Mais cet aspect-là ne doit évidemment n’être qu’au service des deux précédents. Sinon, on se trompe d’objectif.

À lire aussi Alerte au tsunami sur l’audiovisuel public européen

Est-ce qu’il y a un ADN commun entre TV5 et Arte (dont vous avez été le directeur en Belgique) ?

Oui, bien sûr, on en est l’expression à TV5Monde. Un des moyens de faire des choses un peu différentes et qui font avancer le « schmilblick » culturel, c’est de travailler ensemble. Arte, au départ, c’est un évidemment un projet politique et culturel pour que la France et l’Allemagne travaillent main dans la main, pour panser les plaies de trois guerres mondiales. Et monter combien on a, Français et Allemands, culturellement en commun. Quand on a monté Arte Belgique, il y avait une évidence historique au fait que la Belgique devienne le troisième pays dans le projet. TV5 Monde se revendique, bien sûr, comme chaîne francophone, mais surtout comme chaîne culturelle, comme Arte. Parce que c’est par la culture que la paix entre les peuples existe. Il s’agit de la culture au sens large, qui inclut le sport, la mode, la gastronomie. toutes les pratiques humaines, si possible à l’exclusion de la guerre. La paix, on ne l’obtient que quand on comprend par la culture qui est l’autre et qu’on admire aussi ses artistes, ses créateurs, sa manière de vivre…

Après avoir quitté Phonogram France (devenu Mercury), en 1997…

Je ne l’ai pas quitté, j’ai été viré…

Justement… Peu après, vous aviez confié que vous auriez été incapable de porter un projet comme la « Star academy ». Si, aujourd’hui, vous étiez encore la direction des programmes de la RTBF, vous pourriez incarner « The Voice » ?

Non, clairement, je n’aurais pas pu le faire. Mais je suis d’autant plus admiratif que mon successeur, François Tron, ai eu l’idée et le courage de la faire. Et avec succès. Moi je ne l’aurais pas fait parce que c’était s’engager pour 12 ou 14 semaines dans un domaine où, à l’époque, ce genre de programmes était en question pour le service public. La BBC faisait ce genre d’émissions, mais pas dans le monde francophone. Quand j’ai été viré, c’était l’époque des « boys bands ». Moi, je ne sais pas faire les « boys bands », ni les vedettes de télé réalité. Pas parce que je ne les aime pas, mais parce que ce n’est pas une musique que je comprends. Donc, j’ai été viré au bon moment…

 

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