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Forcer la chance

Chez Island, à Etterbeek, trois plasticiennes questionnent le contemporain et l’étendue des possibles.

Temps de lecture: 4 min

La mise en garde « Don’t Push Your Luck » nous enjoint de ne pas s’aventurer trop loin, au-delà de ce qui est considéré comme raisonnable. Sous cet angle, trois artistes contemporaines – Olivia Hernaïz, Soohyun Choi et Ruth Waters – contestent le statu quo et s’interrogent : le moment est-il venu de prendre des risques ? Devons-nous seulement accepter ce qui nous est offert ? Si notre génération est statistiquement dans la pire des situations, n’est-il pas temps de forcer sa chance ? Au sein d’un espace galerie non lucratif créé par deux artistes et repris par Emmanuelle Indekeu, dans le quartier Jourdan, elles explorent les frontières entre consommation, cognition et communication. « Island se concentre sur les artistes encore méconnus du grand public, parfois fraîchement diplômés ou qui ne sont pas encore représentés en galerie. Les artistes invités ne sont pas contraints par une ligne curatoriale spécifique, ni par des préoccupations mercantiles. Island leur offre une plateforme d’expérimentation, qui permet un spectre large de points de vue et même des propositions antithétiques », explique Emmanuelle Indekeu.

Née en 1985 à Bruxelles, Olivia Hernaïz possède une double identité de juriste et d’artiste. Partie étudier à la Goldsmiths University de Londres, elle a réalisé que la scène artistique anglo-saxonne était davantage ouverte aux femmes. Conviée à exposer en solo chez Island, elle a choisi d’inviter deux anciennes camarades de master à partager l’espace avec elle : la Coréenne Soohyun Choi (Séoul, 1989) et l’Anglaise Ruth Waters (Royaume-Uni, 1986). « On a énormément parlé, échangé sur nos travaux, ce qui correspond à une pratique acquise pendant nos études. Comment faire évoluer son travail par la discussion, explique Olivia Hernaïz. On a décidé de ne pas travailler en commun car chacune possédait déjà son sujet de prédilection, mais on ressent des échanges très organiques entre nos propositions. »

Olivia Hernaïz, «
The Pathfinders, the Hand and the Trees
», diorama, médiums mixtes et audio, 2019, 3.000 euros.
Olivia Hernaïz, « The Pathfinders, the Hand and the Trees », diorama, médiums mixtes et audio, 2019, 3.000 euros. - DR

Combattre les moulins

En 2016, Olivia Hernaïz était lauréate du prix annuel d’art contemporain ArtContest. Elle y présentait une installation baptisée Make yourself comfortable (2016), où elle tentait de réveiller l’animal politique en elle, (in)volontairement endormi par des discours trop complexes ou simplistes. S’improvisant décoratrice d’intérieur, voire femme au foyer chevronnée, elle avait créé un espace hybride entre la salle de réunion et le salon familial, à la croisée du politique et du domestique.

Dans une précédente installation, I had no idea (2015), l’artiste interpellait des inconnus dans le métro londonien en leur demandant de lui soumettre des idées d’œuvres d’art, qu’elle réalisait ensuite en suivant leurs consignes. Pour cette exposition-ci, Olivia Hernaïz se demande jusqu’à quel point les hommes prendront des risques en pariant sur un succès hypothétique. Elle présente ainsi une trilogie autour de la quête humaine pour l’inatteignable, sur la base de dioramas, tout en écoutant une histoire racontée. Les histoires présentées ici n’ont ni commencement ni fin, et les protagonistes essaient ni plus ni moins de trouver une issue. Malheureusement, chaque tentative est vaine, chaque communication se révèle hors de portée, perturbée, impossible.

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Ruth Waters a quant à elle concentré ses recherches sur les anxiétés suscitées par le modèle de réussite. Sa nouvelle vidéo, Emotion Over Raisin, met en scène une session de thérapie collective basée sur la méditation consciente. La vidéo suit les chemins de la pensée de chaque participant, effectuant des allers-retours entre la pièce où ils sont assis et les destinations particulières où leurs esprits les mènent. L’omniprésence du tic-tac de l’horloge en arrière-plan souligne notre conscience perpétuelle du passage du temps et notre désir croissant de temps « bien employé » entre travail et loisir. Quant à Soohyun Choi, travaillant au croisement de plusieurs langues, elle questionne les limites du possible à travers la romance et le désir au sein des relations entre hommes et femmes, dans le contexte culturel coréen encore très conservateur. Recréant l’atmosphère d’une pièce de karaoké coréen, elle s’approprie une chanson pop des années 80, métaphore évidente et plutôt absurde des attitudes patriarcales en amour. Trois propositions artistiques en phase avec nos préoccupations sociétales, qui n’oublient pas cependant que seul l’humour, parfois, nous sauve.

« Push Your Luck », jusqu’au 28 avril, Island, 69 rue Général Leman, 1040 Bruxelles, du jeudi au samedi de 14 à 18 heures ou sur rendez-vous. www.islandisland.be

 

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