Au sommet de l'Allemagne, le "grand nez" européen qui renifle la pollution (REPORTAGE)
- Publié le 12-10-2018 à 14h57
- Mis à jour le 12-10-2018 à 15h05
Pour arriver à la “Schneefernerhaus”, il faut d’abord quitter les forêts aux couleurs automnales, et les petits villages faits de chalets aux balcons de bois ajourés, typiques des Alpes bavaroises. Ce n’est qu’à la sortie du train, qui semble grimper en ligne droite dans la montagne, que l’on aboutit dans la blancheur des neiges éternelles, à quelque 2500 mètres d’altitude. Accroché à flanc de montagne, le carré gris de cet ancien hôtel se détache sur le blanc du glacier. On atteint l’édifice lui-même via un téléphérique, dominant la vallée, et les quelques humains, qui à l’état de fourmis, tentent de grimper à pied à travers le glacier “Schneeferner”, sous un ciel d’un bleu pur.
Digne d’une carte postale ? Probablement. Nous sommes ici dans un lieu très apprécié des touristes, au sommet de l’Allemagne – le pic du Zugspitze culmine à 2962 mètres – et autrefois, la Schneefernerhaus, située sous le sommet, à 2650 mètres, était d’ailleurs un hôtel. Désormais, c’est une station de recherches spécialisée dans l’environnement, où les scientifiques du monde entier viennent placer leurs instruments de mesure de l’atmosphère.
“Ici, c’était l’ancienne cafétéria de l’hôtel, indique le géophysicien Till Rehm, montrant une large pièce, dont les fenêtres donnent sur la vallée, qui à présent accueille bureaux et ordinateurs. C’est énorme, vous voyez. On réserve cette pièce pour des campagnes. Des groupes qui viennent prendre des mesures, pour un jour, une semaine, un mois, ce qu’ils veulent… Les scientifiques peuvent louer des espaces et mener leur expérience. L’avantage ici, comme c’est un ancien hôtel, c’est que l’on a beaucoup de place. On a gardé les chambres aussi pour les scientifiques qui logent ici, mais les lits sont nouveaux ! Typiquement, ils viennent plutôt disposer leurs instruments ici et les calibrer, et rentrent ensuite à la maison. Ils font leurs analyses depuis leur institution. Ils ont accès à leur instrument via Internet. On a une très bonne connexion avec la fibre optique ici.”
Le coup du vaudou Problème, ces instruments sont parfois capricieux. “Il y a une sorte de vaudou, ici !”, s’amuse le scientifique. “Des instruments qui avaient marché depuis 3 ans à Munich peuvent s’arrêter de fonctionner ici, car la pression de l’air est basse ; vous devez aussi les modifier pour qu’ils supportent les conditions extrêmes : le froid, les radiations UV élevées…”
Les instruments sont placés à l’extérieur, notamment sur les terrasses à demi couvertes de neige et qui dominent la vallée. Les tubes et objets métalliques de toutes tailles scintillent, alignés sous un soleil aveuglant. C’est via ces tubes que se font les prises d’échantillons d’air, pour le CO2 par exemple. Le lieu est en fait une sorte de grand “nez” qui “sniffe” les molécules présentes dans l’air. “De façon surprenante”, continue Till Rehm, lunettes de soleil sous le nez, la localisation du centre n’a pas été choisie, parce que l’air des Alpes bavaroises est particulièrement plus pur ou propre qu’ailleurs. “Même si cela l’est pour certains paramètres. En fait, ce qui est intéressant dans la localisation, c’est qu’on est ici éloigné des sources, explique-t-il. Donc, ce qu’on mesure ici, ce seront des concentrations de fond, ambiantes. Le CO2 qu’on va mesurer, par exemple, c’est la concentration qu’on trouvera partout sur Terre. Ce n’est pas celui d’une source particulière où la concentration sera plus élevée, mais celle de base, de référence.”
Interdiction de fumer sur la terrasse Le site est également idéal pour étudier d’autres matières, en particulier les polluants, comme les Pops (persistent organics pollutants), les PFC ou le dioxyde. “On est une bonne place pour les étudier, car dans les régions froides, ces substances sont ‘positives’. On les mesure davantage que dans la vallée. Donc les sources sont ailleurs mais ces substances sont amenées ici dans les régions froides, à cause d’un processus chimique appelé la condensation froide. C’est assez surprenant car on on pourrait penser qu’ici, c’est un environnement immaculé, et très propre… Par exemple, le DDT a été interdit en Europe dans les années 70, mais c’est encore très utilisé dans les pays tropicaux à cause de la malaria, c’est transporté à longue distance à travers le globe, et se dépose dans les régions froides, comme ici ou les régions polaires.” La Schneefernerhaus enregistre également de hauts niveaux de mercure. “Pas parce qu’on en a une source tout près ; en fait cela vient de la consommation du charbon. Nous n’avons pas d’usine à charbon ici, mais beaucoup de précipitations (2003 mm par an), donc ça fait descendre pas mal de particules présentes dans l’air, comme le mercure.”
C’est pour cela qu’il est interdit de fumer sur les terrasses, zone où se trouvent les instruments. “On a les prises de mesures d’aérosols et si vous vous tenez tout près de l’entrée d’air, eh bien, cela se trouvera sur les détecteurs et vous allez enregistrer des hauts niveaux de poussières, ou de toxines…”
Et de poursuivre, en indiquant un cylindre métallique de plusieurs mètres de haut, juste à côté de lui. “Ici, nous nous trouvons sous l’entrée d’air pour les prises de mesures du CO2. Ce qui veut dire qu’on mesure probablement 2PPM de plus que normalement ! C’est en effet un problème d’avoir des gens ici. D’ailleurs regardez, il y a une corde là, pour dissuader les gens de circuler près des instruments. Mais souvent, il y a de forts vents, ce qui disperse les choses. Mais bien sûr, il y a aussi des sources en bas…”
En effet, on entend des cris étouffés ; à quelques centaines de mètres en contrebas, à l’entrée du téléphérique, les touristes, en cette fin de matinée, commencent à se multiplier. “C’est un processus compliqué, pour l’agence environnementale ou les scientifiques, de bien distinguer ce qui est ambiant de ce qui est des sources locales. Pour cela, on utilise des statistiques, ou encore la direction du vent”, précise le géophysicien.
Les échantillons sont envoyés à travers des tubes vers les laboratoires à l’intérieur, avant d’être analysés par les instruments aménagés dans les petites salles, bondées de machines en tout genre. Le site est un maillon important du réseau européen de surveillance de la Terre Copernicus (lire ci-contre) et est considéré aussi comme un centre de référence pour l’Organisation météo mondiale de l’Onu.
Copernicus garde un œil sur la planète depuis vingt ans
CO2, C0, Ozone, No, NoX, aérosols… Chaque jour, la station du Zugspitze a la mission de livrer des données concernant ces composés chimiques au réseau européen Copernicus, qui étudie le climat et la composition de l’atmosphère de notre planète.
Copernicus est le réseau d’observation de la Terre, mis en place par la Commission européenne. Il rassemble l’ensemble des données obtenues à partir de satellites environnementaux et d’instruments de mesure sur site.
L’objectif est d’obtenir une vue globale et complète de l’état de la planète. Avec sept satellites Sentinelle en orbite qui livrent quotidiennement plusieurs téraoctets de données, Copernicus est le plus gros fournisseur au monde de données d’observation de la Terre.
Valider les mesures satellitaires “Les mesures faites ici au point le haut d’Allemagne sont de très grande valeur, assure Vincent-Henri Peuch, directeur adjoint des Services Copernicus au Centre européen pour les prévisions météorologiques à moyen terme, car elles sont faites en altitude, ce qui veut dire qu’elles sont représentatives d’une grande partie de l’Europe et de la planète. Cela veut dire que ces mesures ne sont généralement pas polluées par des sources à proximité immédiate (il faut néanmoins retirer certaines données si le vent apporte des masses d’air de la zone avec les télépheriques en bas ou de la vallée). L’erreur sur chacune de ces mesures est extrêmement faible. Et cela, c’est extrêmement important, cela permet en particulier d’évaluer nos modèles de prévision de la composition chimique de l’atmosphère et du climat, savoir dans quelle mesure ils sont fiables ou pas. On peut avoir une extrême confiance dans la qualité des mesures qui sont faites ici.”
Une autre utilisation capitale est qu’elles permettent d’ajouter de la valeur aux mesures satellitaires. “Les satellites ont l’avantage d’avoir une couverture spatiale énorme, bien plus forte qu’un seul point comme ici sur une montagne, continue Vincent-Henri Peuch . Par contre, les mesures qui sont faites ici, on en est extrêmement sûrs. Donc, on s’en sert pour calibrer les mesures des satellites, et faire en sorte qu’à l’aide de points comme ici – il y en a assez peu dans le monde – on s’assure que les données des satellites soient fiables, calibrées par rapport à ces points de référence.”
Outre ces mesures terrestres, l’autre façon de compléter les données satellitaires de Copernicus sont les mesures de l’atmosphère prises par avion. Le programme Copernicus vient de fêter ses 20 ans. Nous y reviendrons dans une prochaine édition.
So. De, au Zugsptize.