Cette taxe sur le capital qui met les banquiers en émoi
- Publié le 24-08-2017 à 11h22
- Mis à jour le 24-08-2017 à 11h27
Le projet de taxe de 0,15 % sur les comptes-titres suscite beaucoup de questions et de craintes dans les banques du pays. Il se raconte que c’est Charles Michel lui-même qui serait venu avec cette mesure.
Dans le monde feutré des banquiers, c’est l’effervescence. Le sujet qui les préoccupe pour le moment est la taxe de 0,15 % sur les comptes-titres décidée lors du dernier conclave budgétaire fin juillet. "C’est inapplicable. Comment y arriver sans un cadastre des fortunes ? On commence à 0,15 %, mais le taux ne va-t-il pas vite être majoré à plus d’un pourcent ? Cela ne rapportera jamais les 250 millions annoncés. Ils n’auront pas la moitié", entend-on dire dans les QG des banques.
Il se raconte aussi dans les couloirs des institutions financières du pays que c’est le Premier ministre lui-même qui est venu avec cette mesure qui lui avait été soufflée à l’oreille, quelques mois auparavant, par une éminence grise proche du MR. Plutôt que d’imposer une taxe sur la plus-value défendue par le CD&V mais impossible à mettre en pratique, pourquoi ne pas mettre en place une taxe de 0,15 % sur le capital, aurait-on suggéré au cabinet de Charles Michel.
Subtil équilibre
Toujours selon les informations des banquiers (sur lesquelles nous n’avons pas obtenu de confirmation du côté du Premier ministre), cette taxe faisait partie d’un subtil équilibre entre les différentes demandes des partis de la majorité : à la N-VA, on a donné la baisse de l’impôt des sociétés, à l’Open VLD, on a accordé une mesure qui vise à encourager le capital à risque par une exonération de précompte sur un montant forfaitaire de dividendes. Et au CD&V, on a aussi promis une partie des recettes de la privatisation de Belfius pour les coopérateurs d’Arco, qui ont été victimes du démantèlement de Dexia.
On est donc dans le cadre d’un traditionnel accord politique avec toutefois, cette fois, une mesure hautement symbolique, qui suscite beaucoup d’agitation (et de réunions de techniciens) chez les banquiers. Au point où on peut se demander s’ils ne vont pas tout faire pour faire changer d’avis le gouvernement Michel.
"C’est le ministre des Finances (NdlR, Johan Van Overtveldt) qui est chargé d’élaborer les textes. Nous n’avons pas plus d’informations que ce qui est écrit dans la presse. A ce stade, nous ne sommes pas en mesure de réagir ni de nous opposer au projet. Mais on se pose des questions", nous explique Rodolphe de Pierpont, le porte-parole de Febelfin, la fédération du secteur financier.
Et une question clé est de savoir quel rôle sera appelé à jouer le banquier. Il se raconte que les banquiers seraient effrayés à l’idée de la charge de travail supplémentaire que cela pourrait représenter. Surtout si la mesure manque de clarté ou de cohérence. Exemples : qu’entend-on par un compte-titre ? Quelle valorisation devra être prise en compte ?
Dépenses en informatique
Du côté de chez Febelfin, on se dit en tout cas "ouvert au dialogue", tout en rappelant quelques taxes du passé qui se sont avérées impraticables. Cela fut le cas de la récente taxe sur la spéculation ou de la mesure introduite en 2012 sur le précompte 21 % + 4 %, qui n’était pas modulable par les banques et qui a du être retirée. "Ce genre de mésaventure n’est bonne pour personne. Cela fait perdre de la confiance. De plus, ce sont des millions de dépenses en informatique qu’on a pu mettre à la poubelle", souligne Rodolphe de Pierpont.
Les banquiers s’étonnent aussi que cette taxe de 0,15 %, qui peut être considérée comme un impôt sur le capital, soit introduite par un gouvernement de centre-droit. D’autant qu’elle s’ajoute à d’autres mesures (comme l’augmentation du précompte à 30 % ou la hausse de la taxe sur les opérations de Bourse) qui touchent directement des personnes disposant d’avoirs. Mais pour un banquier averti, le risque politique du MR, de l’Open VLD ou de la N-VA est assez faible. "Car l’électorat de droite ne voudra jamais voter à gauche ou PTB même si son patrimoine a été davantage taxé." Il est vrai que du côté de la presse néerlandophone, on a assez unanimement salué la baisse de l’impôt des sociétés.
Un prélèvement compliqué à mettre en œuvre sans cadastre des fortunes
Dès l’annonce de l’instauration d’une taxe de 0,15 % sur les comptes-titres, le secteur bancaire s’est insurgé à propos des complications techniques posées par cette mesure. A partir du seuil de 500 000 euros, le contribuable sera taxé, dès le premier euro, sur l’ensemble de ses avoirs placés sur un ou plusieurs comptes-titres.
Cette nouvelle charge administrative dérange fortement le secteur bancaire. "Que va-t-il se passer si un compte est détenu par deux ou plusieurs titulaires ?, explique un banquier. Un compte de 1,5 million d’euros enregistré au nom de plusieurs personnes n’est pas forcément détenu à parts égales. Si l’un des titulaires détient 50 % du compte et les deux autres 25 % chacun, l’information n’est pas connue. Or celle-ci est nécessaire pour calculer l’éventuel dépassement du seuil de 500 000 euros."
En outre, la technique de la division de son compte-titres en plusieurs comptes (pour passer sous le seuil de 500 000 euros) sera très compliquée à contrer par l’Etat. Cette situation fait un peu penser à l’exonération fiscale dont jouissent les comptes d’épargne jusqu’à 1880 euros d’intérêts. "Il est très simple de passer sous le plafond d’exonération en répartissant ses avoirs entre plusieurs livrets, ajoute ce banquier. A l’heure actuelle, le fisc ne connaît pas les montants placés sur les comptes d’épargne. L’Etat reçoit simplement, de façon anonyme, le précompte mobilier prélevé par la banque lorsque les intérêts perçus sur un compte d’épargne dépassent le plafond de 1880 euros."
Selon certains observateurs, le moyen le plus efficace pour prélever la nouvelle taxe sur les comptes-titres serait donc d’instaurer un cadastre des fortunes. "Comme pour la taxation des comptes d’épargne, il serait plus efficace de disposer d’un cadastre des fortunes, confie ce banquier. C’est assez simple à mettre en œuvre, on le fait déjà pour les comptes détenus à l’étranger." Cette option est cependant très délicate politiquement.
Directive anti-abus efficace ?
En outre, la mesure anti-abus brandie par certains devrait surtout être dissuasive. Cette mesure générale vise à mettre en échec toute action dont l’unique but est d’éviter l’impôt. "Cette mesure anti-abus incitera les contribuables à ne pas prendre des mesures pour éviter la taxe sur les comptes-titres, décode ce banquier. Mais si le fisc ne connaît pas l’avoir des comptes, il ne pourra appliquer cette mesure anti-abus."
Par ailleurs, si le secteur bancaire ne peut pas pousser le gouvernement à faire marche arrière sur son projet de taxation des comptes-titres, il militera probablement pour une application qui lui facilite la vie. Par exemple, un prélèvement de la taxe par compte sans consolidation des avoirs. Ou bien pour un prélèvement de la taxe à charge des contribuables.
Enfin, selon ce banquier, il serait plus efficace de taxer les banques en fonction des avoirs qu’elles détiennent pour leurs clients sur des comptes-titres. A charge pour ces institutions financières de répercuter ces coûts en frais de garde.