Marc Filipson : "En Belgique, Amazon n'a qu'à bien se tenir"
- Publié le 16-09-2017 à 11h40
- Mis à jour le 21-10-2017 à 11h46
Le patron de la librairie Filigranes expose ses recettes actuelles et sa stratégie pour faire face à la puissance commerciale du géant Amazon: "On va aussi se lancer dans la vente en ligne parce qu'il y a une véritable demande dans certains pays. En Belgique, Amazon n'a qu'à bien se tenir, parce que Filigranes a une vitrine." Marc Filipson évoque également la législation sur le prix unique du livre, la suppression de la "tabelle" et le coût de l'imprimante de livres. Marc Filipson est l'Invité du samedi de LaLibre.be.
Quel est votre secret pour combattre les géants du Net comme Amazon ?
La recette est simple : l'accueil, la convivialité, le savoir-faire, le stock, une équipe de passionnés. Aujourd'hui, Filigranes est devenu un lieu de destination. Dans le quartier, il n'y a pas de boucherie, de parfumerie... Ceux qui viennent dans le coin, c'est pour la librairie. Nous répondons à la demande : Internet est disponible partout, les étudiants peuvent s'installer pour travailler, les adultes peuvent se poser à une table pendant que les enfants se promènent, des gadgets sont à vendre... Mais, surtout, nous disposons du stock en permanence. Lorsqu'un livre démarre, on ne va pas bêtement en prendre six, on en prend directement 50 ou 100 puisqu'il y a une faculté de retour, on peut les renvoyer. Mes collègues, eux, ne prennent pas de risques.
Pourquoi ne commandent-ils pas davantage si, de toute façon, l'éditeur rachètera les livres renvoyés ?
Ils n'ont pas compris, ils n'osent pas ! Ce n'est pas une question de place, c'est un état d'esprit : il faut être commerçant. Les libraires qui se veulent élitistes et qui n'osent pas vendre sont cependant de moins en moins nombreux.
Qui sont vos concurrents directs ?
Il n’y en a pas ! Soyons clairs, il n’y a pas de concurrence, il n’y a que des jaloux. Notre concept est même recopié à l’étranger... et j’en suis fier. Cela démontre que Filigranes, ça fonctionne. Nous sommes la plus grande librairie de plain-pied. De plus, en termes de références, nous sommes de loin la première librairie francophone, avec 180.000 références. Nous sommes tous complémentaires, même si les clients se rendent dans telle ou telle librairie pour la qualité du service, les conseils ou pour le stock disponible.
Donc, vraiment, aucune concurrence ?
Non. Enfin, peut-être que la seule concurrence qui persiste, c’est sur les appels d’offres. Mes collègues n’ont toujours pas compris qu’il ne fallait pas renchérir sur les ristournes sur ces appels d’offres. Ils perdent tous les bénéfices, ils en perdent même de l’argent si on tient compte des frais. Heureusement, la fixation du prix unique va imposer un même prix partout.
Pensez-vous pouvoir exporter votre concept ?
Oui, cela se fera probablement le 1er août 2018 mais je ne sais pas encore où. J'ai la chance inouïe d'être 100% actionnaire donc c'est moi qui prends les décisions. On va aussi se lancer dans la vente en ligne parce qu'il y a une véritable demande dans certains pays. En Belgique, Amazon n'a qu'à bien se tenir, parce que Filigranes a une vitrine. On est dès lors certains d'avoir la clientèle.
L'hégémonie d'Amazon vous a-t-elle obligé à revoir votre offre ?
Pas du tout ! Beaucoup considèrent que l'avantage d'Amazon, c'est la rapidité. C'est faux ! Ils envoient en 24h s'ils ont le stock mais, si la demande est importante, ils ont la même rupture que n'importe quel libraire. Les frais de transports sont élevés mais que vous commandiez un livre ou 1000 livres, ils sont les mêmes, donc nous envoyons des commandes tous les jours. Mes collègues, eux, n'en envoient qu'une à deux par semaine. Ils ne font aucune économie, le coût est radicalement le même ! Sauf qu'ils font attendre le client...
Que vous inspire l’imprimante à livres, qui permet de produire n'importe quel livre sur demande en quelques minutes ?
Avoir une telle machine, c'était mon rêve, j'imaginais les clients voir des livres s'imprimer devant eux. Mais cela ne sert absolument à rien ! A quoi est-ce destiné ? Pour ceux qui veulent faire des bouquins à compte d'auteur ? Ou pour éditer un livre qui n'est plus sur le marché ? C'est un leurre... Et si je veux l'utiliser pour imprimer les bouquins en rupture de stock, la machine coûte trop cher.
Avez-vous eu peur du succès du livre numérique ?
J'avais des craintes pour les publications, notamment les revues et quotidiens. Mais, comme pour les livres pour enfants ou les livres "beaux-arts", les gens aiment le format papier. On a tendance à l'oublier mais tous les libraires peuvent commander des livres sur tablette et nous recevons notre commission. Pour nous, le livre numérique ne représente que quelques milliers d'euros par an parce que nous communiquons mal.
Que pensez-vous du "prix unique" du livre ?
Que du bien ! Nous l'appliquons depuis quasi toujours. Je suis un peu responsable du fait que, depuis des années, les grandes surfaces ne font plus de remises sur le dictionnaire, le Livre des Records, Astérix, Dan Brown, Amélie Nothomb... Fnac, Carrefour, Club et autres faisaient la bêtise de se battre pour les vendre au prix le plus bas. C'était complètement fou puisque c'est là-dessus qu'ils gagnent le plus d'argent. De toute façon, les gens vont l'acheter... Aujourd'hui, la grande distribution a compris que, sur les produits d'appel, il ne faut plus faire de grosses remises. Le milieu du livre est assez simple : le prix d'un livre est le même partout. Et nous avons une remise sur base du prix de vente, entre 20 et 42%.
Que va changer la loi ?
Certains magasins font encore des promotions. En faisant passer une loi sur le prix unique, en théorie, ils ne pourront plus. Les grandes surfaces auront malgré tout encore le droit de faire des remises sur 10 ou 15 ouvrages par an. Si on autorise les remises, alors le prix unique... c'est du bullshit ! Si la loi passe, ça doit être le prix unique radical. Quand Jack Lang a fait supprimer la carte de fidélité, cela a sauvé les librairies. Les 5% de remise sur présentation d'une carte de fidélité, cela doit cesser. A nous de faire autrement pour fidéliser la clientèle et que les gens viennent Nous, nous proposons une carte "Fridelity" mais si je peux, je la supprime.
La fin de la "tabelle", qui permet de vendre plus cher un livre importé, est-elle une bonne chose à vos yeux ?
Instauré il y a plus de 30 ans pour faire face aux frais de douane et de transport des livres importés, ce mécanisme est devenu une forme de "vol manifeste" avec la suppression des frontières et la fin des taux de changes entre monnaies. Cela fait des années que Filigranes et d’autres libraires retirent la tabelle sur les livres achetés en France. Lorsque j’ai pris cette décision, j’ai perdu 700.000 euros de recettes en net sur une seule année. C’est donc une bonne chose dans l’absolu. Mais voilà, cette tabelle permet aux grossistes de nous offrir un service qui n’existe pas en France. La fin brutale de la tabelle en Belgique va représenter une immense claque pour certains libraires, qui devront peut-être même mettre la clé sous le paillasson, mais aussi pour les grossistes. Personnellement, je crains surtout de perdre ce service, d’allonger les délais de livraison et – finalement – de rendre un gros service à Amazon. Sans la tabelle, on va un peu plus craindre Amazon. Bref, c’est une grosse erreur !