L'hypnose en réalité virtuelle: le futur de la médecine se dessine déjà au Chirec ?
- Publié le 26-09-2018 à 14h14
- Mis à jour le 26-09-2018 à 15h19
Les équipements de réalité virtuelle entrent peu à peu dans la pratique médicale pour aider les patients à gérer le stress et la douleur liés à certains examens.
Pour moi, c'est devenu comme…une drogue! J'ai vraiment besoin d'aller sur mon petit nuage pour pouvoir suivre mon traitement de manière optimale". Embarquée pour cinq semaines de radiothérapie suite à une seconde tumeur découverte au sein, Manivanh Penh n'imagine plus se rendre à une de ses séances, sans la précéder de quelques instants bienfaisants et si relaxants d'hypnose clinique en réalité virtuelle. Un masque sur les yeux raccordé à un casque sur les oreilles, confortablement installée, et la voilà partie pour une promenade aquatique relaxante. Une douce plongée dans les fonds marins, à s'évader au gré des ondulations des petits poissons et d'une apaisante "baleine-guide".
"Bon voyage!", lui souhaite d'une caresse bienveillante de la main, le Dr Veronica Mendez-Mayorga, radiologue sénologue au Chirec, sur le nouveau site Delta à Bruxelles. Totalement conquise par ce dispositif nommé Oncomfort, la spécialiste propose désormais d'office cette séance d'hypnose à toutes ses patientes amenées à subir une biopsie mammaire. Quoique, pour la plupart d'entre elles, "subir" n'est plus vraiment le terme approprié, ce dispositif visant précisément à réduire l'anxiété et la douleur grâce à l'hypnose clinique en réalité virtuelle. Histoire de ne plus appréhender une résonance magnétique, une séance de radiothérapie, la mise en place d'un dispositif sous-cutané pour chimiothérapie...
"Maintenant, tournez votre attention vers votre respiration"
"Bienvenue à Aqua, votre expérience aquatique relaxante, entame la voix, avec douceur. Cette expérience a été créée pour vous. Vous pouvez dès à présent voir comment elle fonctionne en promenant votre regard autour de vous, en bougeant votre cou et votre visage dans toutes les directions, afin de découvrir le paysage qui vous entoure." Un phare, des mouettes, la mer… Et puis, on plonge dans les fonds marins, algues, coquillages, petites poissons multicolores avant l'apparition de la baleine.
"N’hésitez pas à mettre du plaisir et de la curiosité dans cette expérience afin d’en ressentir les effets bénéfiques et ludiques. (…) Maintenant, tournez votre attention vers votre respiration. Sans rien changer, notez l’air qui entre et l’air qui sort. Cela se fait. Peut-être par les narines, peut-être par la bouche. Notez le rythme régulier et personnel de votre souffle, qui se fait de façon automatique alors même que vous ne faites rien. Posez-vous la question suivante : la température de l’air qui entre est-elle la même que celle de l’air qui sort ? Souvent, Nous ne prêtons pas attention à notre respiration, alors que c’est un outil puissant et simple que l’on peut utiliser pour se sentir plus tranquille rapidement. (…) Vous avez probablement remarqué que vous avez de la compagnie. Cette baleine-guide va faire un peu de chemin avec vous. Voyez comme elle nage, voyez le mouvement qui se fait, n’est-ce pas que ce mouvement de balancement est tout aussi tranquille et régulier que celui de votre respiration ?"
Pour Manivanh, ce voyage en 3 D dans les profondeurs marines est devenu incontournable avant sa séance de radiothérapie, elle dont le corps est encore marqué par cette douloureuse première biopsie réalisée sous anesthésie classique et sans hypnose. "Au fur et à mesure des séances, j'arrive de plus en plus détendue. Presque dans un état d'euphorie", nous dit-elle, tout sourire.
Rendre l'hypnose accessible à un maximum de patients
L'idée de proposer ce concept est venue de Diane Jooris, CEO Oncomfort, psychologue clinicienne de formation, alors qu'elle faisait de l'hypnose clinique en salle d'opération dans le plus grand centre contre le cancer des Etats-Unis, le MD Anderson Cancer Center à Houston. "Via l'hypnose clinique, j'aidais les patients à ne pas devoir être endormis pendant l'opération. Il n'était cependant vraiment pas facile d'avoir du personnel formé, disponible et qui connaît les techniques. Souvent, il n'y a qu'un hypnothérapeute par hôpital, ou une infirmière, un anesthésiste ou un radiologue formé à l'hypnose".
D'où la volonté de trouver une solution qui permettrait de généraliser l'hypnose clinique et la rendre accessible à un maximum de patients. Et cela, de manière beaucoup moins chronophage pour le personnel de santé. "Je voulais trouver un système pour pouvoir délivrer des sessions d'hypnose clinique de manière automatisée, très immersive pour le patient, mais aussi multilingue". C'est ainsi qu'a été conçu le dispositif Oncomfort, qui se compose principalement d'un masque visuel, un casque audio et un smartphone. "Nous avons développé les logiciels qui sont des dispositifs médicaux. En fonction de l'indication médicale, on choisit le type d'environnement, la durée et la langue du patient".
Le choix entre sept modules
A ce jour, sept modules sont ainsi proposés. Ils ont pour noms Aqua, Amo, Spacio, Nuva, Kimo, Stella… Sont de durées variables, soit de 2 minutes, par exemple pour une prise de sang chez un enfant, à 60 minutes, pour une prothèse de genou, en passant par 13 minutes, pour un geste médical invasif sous anesthésie locale ou loco-régionale. L'un s'adresse aux 6-12 ans, d'autres aux 13 ans et plus, aux 6-14 ou aux 6-18 ans. Ils sont recommandés tantôt avant, pendant ou après des gestes médicaux anxiogènes, avant et/ou pendant une chimiothérapie, avant une IRM, une radiation, un scanner… Ils nous baladent dans un univers aquatique, une forêt… Pour Manivanh, la mer est son clairement son échappatoire.
L'idée n'est pas de raconter une histoire ou voir défiler de jolies images, "il s'agit véritablement d'un processus hypnotique, insiste le Dr Mendez-Mayorga. C'est validé par une équipe scientifique, notamment par le Pr Marie-Elisabeth Faymonville de l'ULg. Mais le but n'est certainement pas pour autant de remplacer une anesthésie. Il faut voir ce dispositif comme un adjuvant qui permet de réduire les dosages nécessaires, ainsi que la prémédication".
L'hypnose permet en effet de modifier l'état de conscience d'un patient et de jouer sur son anxiété et sa perception de la douleur ou d'autres effets secondaires d'un traitement. Il y a une phase d'induction, où l'on aide le patient à lâcher prise, puis de dissociation, où il ne va plus sentir les stimuli et avoir une perception du temps complètement modifiée. Si nécessaire dans la durée de l'intervention, il y aura ensuite une phase d'approfondissement, qui précède une phase d'éveil. Selon les patients, la perception sera individuelle et donc la réceptivité fort variable. Entre 3 et 5 % des patients n'apprécient pas cette approche.
Plusieurs services intéressés par le dispositif
Utilisé au départ dans les services de radiologie et radiothérapie (pour l'implantation de dispositifs sous-cutanés), le système a fait depuis lors son entrée aux soins intensifs, en pédiatrie, en gynécologie, à la clinique de la douleur (douleur chroniques, infiltrations)… Au Chirec, onze appareils additionnels ont ainsi été commandés et sont actuellement testés dans différents services sur les sites de Delta et de Braine-l'Alleud. Aujourd'hui, on peut cependant dire que l'approche est entrée dans la pratique quotidienne et les affiches placardées dans les salles d'attente invitent clairement les patients à la découvrir.
Un des avantages du système est que le patient peut apprendre par la suite à gérer son stress lui-même, en réutilisant les techniques de visualisation, de respiration... Un autre bénéfice est celui des moindres effets post-opératoires liés à l'anesthésie; le retour à la maison est plus rapide et plus facile. Pour le médecin, l'avantage est que "je ne dépends de personne, explique encore la radiologue sénologue. A Delta, nous avons voulu que la médecine intégrative fasse partie du service de la Clinique oncologique. En outre, le fait que la patiente soit totalement immergée dans un univers qui la désolidarise du geste technique l'apaise pendant la réalisation de la procédure. Cela nous permet de travailler dans des conditions beaucoup plus calmes et sereines. De plus, avec ce système, je n'ai plus le regard de la patiente, plein d'angoisse, qui se fixe sur mon visage, en l'occurrence assez expressif. Je l'emmène dans un voyage et je la vois se détendre, ses doigts de pied qui se relâchent, sa respiration qui devient souple... Ce système a franchement changé ma vie de médecin".
A savoir
On estime que 60 à 80 % des patients ressentent un niveau d'anxiété aiguë au début d'un nouveau traitement, avant ou pendant un geste invasif. La perception de la douleur est fortement liée à l'anxiété. De ce fait, l'anxiété des patients a une influence importante sur les médecins (durée et qualité du geste, environnement de travail stressant, ...) et les institutions médicales (temps d'occupation des salles, allocation des ressources, réadmissions,...).
Oncomfort utilise des interventions psychologiques validées scientifiquement, comme l'hypnose clinique, les thérapies cognitives comportementales ou la réduction du stress basée sur la pleine conscience.
Société créée en 2015 aux Etats-Unis, Oncomfort a été transférée en Belgique où six projets de recherche sont actuellement en cours. La France, l'Inde, la Corée, notamment, se sont également montrées intéressées.
Le kit prêt à l'emploi est vendu au prix de 699 €. En plus, l'hôpital paie une licence annuelle. Pour l'instant, dans la plupart des hôpitaux, le patient n'est pas facturé.