Pour l'Italo-Belge né à Cosino (Sicile) en 1943 et dont la carrière a d'abord commencé en italien lors d'un radio crochet, son récent triomphe de ce côté-ci de l'Atlantique, et sur le tard (à 57 ans), n'est pas aussi surprenant qu'il y paraisse. Après avoir vendu plus de 90 millions d'albums à travers la planète, l'artiste que beaucoup ont dénigré revient au Québec pour une série de récitals amorcée en avril dernier. Après huit ans d'absence, le "gentil naïf" revient avec un spectacle de près de trois heures où se rencontrent anciennes et récentes chansons. C'est d'ailleurs là , le talon d'Achille de cette tournée. Entre l'enthousiasme débordant du public qui chante et parfois hurle les classiques (Tombe la neige, C'est ma vie, Inch'Allah, Mourir dans tes bras...) et le lourd silence qui accompagne les nouvelles pièces, le spectacle est inégal en émotion.
Accompagné d'un orchestre de quinze musiciens dont un quatuor à cordes, Adamo nous rappelle qu'il n'est pas qu' "un chanteur de pomme" et que son intérêt va aussi vers des sujets plus graves. Son récent album Par les temps qui courent n'hésite d'ailleurs pas, avec des textes plus engagés, à casser l'image du gentil garçon qui le poursuit depuis le début de sa carrière. On peut comprendre que l'auteur de Les filles du bord de mer ait, après 40 ans de carrière, un besoin bien légitime de s'exprimer sur la guerre au Kosovo par exemple. Toutefois, on peut regretter que ces chansons "sérieuses" arrivent dans le spectacle comme un cheveu sur la soupe, entre deux morceaux, dirons-nous, plus légers.
Un récital façon montagnes russes (qui ne donne toutefois pas la nausée), le plaisir de revoir celui qui fut avec Johnny Hallyday, Sylvie Vartan ou France Gall une idole des années 60 reste intact. Un bonheur que nous avons poursuivi par une entrevue exclusive avec l'auteur-compositeur-interprète belge.
Comment vous portez-vous par "Les temps qui courent" ?
Comme tout le monde, j'ai subi le choc. Mardi dernier, nous nous sommes demandé s'il fallait annuler ou pas. Mais nous avons assumé notre rôle d'amuseur. C'est vrai que dans des moments comme ceux-là , on se sent un peu dérisoire face à l'événement. Mais je dis à mon public que j'ouvre une parenthèse de relative insouciance, le temps de quelques chansons. J'ai dans mon répertoire, certaines chansons qui parlent justement de cette folie des hommes qui mardi dernier, a vraiment atteint un point culminant.
Comment expliquez-vous votre succès québécois ?
J'ai depuis maintenant 35 ans, le privilège de venir au Québec et d'y avoir un public même si je ne suis pas venu aussi souvent que je l'aurai voulu. Depuis l'année dernière, grâce à l'association de ma chanson C'est ma vie avec ce produit qu'est le lait, cette chanson a une deuxième vie. Il y a maintenant des jeunes qui chantent cette chanson avec moi et ça me touche, je remercie la vie de m'avoir fait ce cadeau.
J'ai l'impression qu'après 40 ans de carrière, l'image du gentil garçon naïf, de l'imbécile heureux que la France vous a collée est derrière vous et qu'elle laisse la place au respect. C'est plutôt tardif, non ?
C'est vrai que pendant quelques années, il y a eu un malentendu par rapport aux chansons de mes débuts qui étaient le reflet de ma personnalité du jeune homme de 20 ans que j'étais. Certaines personnes n'ont pu imaginer que j'ai évolué avec le temps et que mes chansons ont suivi mon âge, qu'elles sont devenues plus graves. Ça a duré dix ans mais depuis 7 ou 8 ans les médias français me prennent un petit peu plus au sérieux. Même des quotidiens comme Le Monde ou Libération écrivent que je ne suis pas forcément l'imbécile heureux que l'on croyait. Donc, ce n'est pas trop tard parce que j'espère chanter le plus longtemps possible et que j'ai toujours eu un public devant moi qui lui, savait qui j'étais. Toutefois, la reconnaissance me fait plaisir.
A 57 ans, on vous place enfin parmi les grands auteurs francophones aux côtés de Aznavour, Souchon, Cabrel. Ce n'est pas un peu tard comme reconnaissance de l'auteur Adamo ?
Je ne peux pas juger moi-même. Si vous le pensez, ça me fait plaisir. Avec le recul, quand j'écoute mes premières chansons, c'est vrai qu'elles sont empreintes de naïveté mais elles ont eu un tel succès que la barre était placée très haut. C'est vrai que j'ai eu l'impression d'avoir écrit de meilleures chansons par la suite, mais qui elles, n'ont pas eu les faveurs du public. On ne peut pas tout avoir. Encore une fois, je suis en pleine activité et donc je me donne encore une dizaine d'années pour asseoir définitivement mon image d'auteur-compositeur.
Dans quelques semaines vous sortez votre premier roman chez Albin Michel, est-ce que c'est aussi une façon d'imposer l'écrivain, l'homme des mots que certains s'obstinent à ne pas voir ?
Peut-être, il y a un peu de ça en effet. Vous savez, je n'ai pas fait ce roman avec une idée de revanche mais d'abord pour me faire plaisir. D'ailleurs, je me disais que s'il ne sortait pas, ce n'était pas grave, parce que j'aurai été au bout de mon idée. Il a fallu un concours de circonstance pour que mon bouquin arrive au comité de lecture de chez Albin Michel. Quelqu'un de chez eux avait contacté mon bureau afin d'obtenir une photo pour illustrer un livre sur la chanson française. C'est ma sœur qui a eu le culot de leur signaler que je venais d'écrire un roman. Mais franchement, s'il s'avérait que grâce à ce roman certaines personnes prennent ma façon d'écrire plus au sérieux, tant mieux. Mais ce n'était pas le but à l'origine.
Il y a quelques années vous avez fait paraître un recueil de poésie, j'imagine qu'elle occupe encore beaucoup de place dans votre vie.
La poésie, c'est une façon de voir les choses, comme disait Brel dans sa chanson des Vieux amants "devenir vieux sans être adulte", c'est-à -dire ne pas perdre sa faculté d'émerveillement. Cela contribue à essayer de trouver de la poésie là où il pourrait y en avoir.
Vous êtes ambassadeur auprès de l'Unicef, quel regard portez-vous sur les attentats de New York, Washington et Pittsburg ?
(silence) Je suis abasourdi. On a l'impression qu'on peut fixer des limites à l'abomination et elles sont dépassées d'un coup. Moi, je ne suis pas partisan du "œil pour œil dent pour dent", je ne crois pas que la riposte militaire soit la bonne solution. C'est vrai que j'ai écris Inch'Allah fin 66 et maintenant, on est obligé de penser à ce conflit-là qui entretient cette haine entre le monde musulman et le monde occidental. Il faudrait régler le problème au Moyen Orient. J'ai même changé deux strophes de la chanson pour aller plus dans le sens de la paix parce que je me suis rendu compte que j'avais été mal compris dans la version originale. En tant qu'ambassadeur de l'Unicef, je ne peux pas grand chose. Tout ce que je peux faire, c'est appeler un retour à la raison dans les deux camps. Nous sommes beaucoup à espérer mais comment le faire comprendre à ceux qui ont le pouvoir ? Je dois vous avouer que comme vous, j'ai de la peine à trouver un peu de réconfort dans la poésie, en ce moment.
Vous êtes accompagné par quinze musiciens, tous québécois. C'est la première fois que vous faites appel à une équipe locale, pourquoi ?
J'ai aussi chanté au Japon avec un orchestre symphonique local mais ici dans la formule traditionnelle d'une tournée, c'est la première fois. J'ai eu le goût de le faire lors de certaines émissions auxquelles j'ai participé au Québec et où je me suis rendu compte que les musiciens locaux avaient un punch, une modernité que mes musiciens n'avaient pas ou plus, dans le mesure où cela fait des années que je travaille avec la même équipe. La routine s'est peut-être installée et a diminué les enthousiasmes. J'ai redécouvert certaines chansons.
Cela veut-il dire qu'un album live pourrait voir le jour avec des musiciens québécois ?
On a évoqué la chose. Ça ne sera pas forcément le cas cette fois-ci mais disons que je sais à présent que j'ai un orchestre sur place et en effet, on va peut-être choisir un auditorium ou un théâtre particulier pour enregistrer un album live.